L'Iliade Scène 1 : La querelle

Voici l'histoire de la colère d'un homme, de tous les maux qu'elle valut aux Grecs, et de tous les héros qu'elle envoya, morts, chez Hadès.

Achille était cet homme, et sa colère s'enflamma lors de sa querelle avec le grand roi Agamemnon. Il advint que les Grecs firent prisonnière Chryséis, fille d'un prêtre d'Apollon, et elle fut donnée au roi Agamemnon. Son père offrit pour elle une riche rançon, mais Agamemnon le renvoya durement.

Le vieillard s'en alla, mais quand il eut atteint le rivage, il invoqua Apollon et appela sa malédiction sur les Grecs.

Apollon descendit de l'Olympe, arc sur l'épaule et carquois bien fermé. Il envoya dans le camp des Grecs des flèches de maladie, tant et si bien que des bûchers ne s'arrêtaient pas de brûler les cadavres, nuit et jour.

« Apollon est irrité, dit le devin des Grecs, parce que la fille de son prêtre n'est pas retournée dans son pays. Il ne cessera pas d'envoyer ses flèches funestes avant qu'elle ne soit de retour, et que n'aient été faites les offrandes convenables. »

Alors Agamemnon se leva plein de rage. « Que la jeune fille soit donc rendue pour le salut de l'armée, dit-il. Mais je ne serai pas frustré de ma récompense. Trouvez-moi un dédommagement, ou bien j'enverrai des hommes à la baraque d'Ulysse ou d'Ajax ou d'Achille, et je prendrai pour moi l'une de leurs captives. »

« Cupide Agamemnon, répliqua Achille, je prendrai mes vaisseaux et rentrerai chez moi, plutôt que de rester ici pour être insulté et entasser pour toi des richesses. »

« Rentre chez toi avec tes vaisseaux et tes hommes, lui répondit Agamemnon. Je ne te supplierai pas de rester. Mais maintenant, pour te montrer qui est le plus fort, j'enverrai prendre dans ta baraque la jeune Briséis, qui est ta récompense. Ainsi, les autres sauront qu'il ne faut pas m'irriter de la sorte. »

Ces mots frappèrent au coeur de l'orgueilleux Achille. Il interpella Agamemnon en paroles brutales.

« Sac à vin ! Oeil de chien et coeur de cerf ! Écoute à présent ce serment solennel. Aussi sûrement que ce sceptre que je tiens ne repoussera jamais plus, ne produira plus ni feuilles ni rameaux, tout aussi sûrement le jour viendra où tous les Grecs regretteront Achille. Et quand tes hommes tomberont par centaines sous les coups d'Hector le Troyen, tu te frapperas la poitrine, dans ton dépit de ne pas avoir honoré le plus vaillant des Grecs. »

À ces mots, Achille jeta par terre son sceptre aux clous d'or, puis s'assit, tandis qu'Agamemnon lui jetait des regards furieux.

Après quoi, l'assemblée fut congédiée et Achille, suivi de ses hommes, regagna sa baraque et ses vaisseaux.

Agamemnon s'empressa de renvoyer Chryséis sur un bateau aux ordres d'Ulysse. Mais il n'oubliait pas sa querelle avec Achille. Il dépêcha deux hérauts à la baraque d'Achille, pour lui ramener Briséis.

Quand les hommes eurent emmené Briséis en pleurs, Achille, la mort dans l'âme, se retira au bord de la mer. Et il appela sa mère, Thétis, la nymphe marine, qui était assise auprès de son père, le dieu de la mer. Elle sortit des eaux, comme une vapeur, vint s'asseoir à côté d'Achille et le caressa de sa main.

« Mon enfant, lui dit-elle, pourquoi pleures-tu ? Parle-moi sans détour, afin que je puisse partager ton chagrin. »

Aussi, quoique la déesse connût toute chose, Achille lui raconta ce qui lui était arrivé ce jour-là.

« Va trouver Zeus, lui demanda-t-il quand il eut fini son histoire. Prends-lui les genoux, et persuade-le, si tu peux, d'aider les Troyens et de refouler vers leurs vaisseaux les Grecs décimés. Cela montrera à Agamemnon quelle fut sa folie d'insulter son meilleur guerrier. »

Thétis s'éleva aussitôt vers le ciel. Là, elle trouva le père des dieux assis à l'écart sur le plus haut sommet de l'Olympe. Elle s'accroupit à ses pieds et lui prit les genoux.

« Zeus père, lui dit-elle en suppliant, si jamais je t'ai rendu quelque service, exauce le voeu que je fais. Honore mon fils qui est destiné à mourir si jeune, et qui vient d'être insulté par Agamemnon. Donne la victoire aux Troyens, jusqu'à ce que les Grecs rendent à Achille l'honneur qui lui est dû. »

Zeus soupira d'un air malheureux : « Voilà une fâcheuse affaire qui va me mettre en conflit avec Héra, mon épouse. Elle prétend déjà que je favorise les Troyens. Va-t'en avant qu'elle ne te voie. Mais d'abord, pour montrer que j'accorde ta demande, j'inclinerai ma tête. »

Et, au moment où Zeus inclinait sa noble tête en signe d'assentiment, tout l'Olympe fut ébranlé.

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