L'Iliade Scène 5 : Le vaillant Hector

La traîtrise de Pandaros redonna aux Grecs leur ardeur offensive. Les Troyens étaient sur le point d'être refoulés dans leur ville, défaits et déshonorés. Mais Hélénos, fils de Priam et le meilleur devin de Troie, alla trouver Hector.

« C'est à toi d'organiser la résistance, dit-il. Tu es le meilleur de tous nos chefs. Retiens les hommes en avant des portes, ou ils iront se jeter vers les femmes en donnant la victoire à nos ennemis. Quand tu les auras encouragés, ils tiendront leurs positions, si épuisés qu'ils soient, car la nécessité les presse.

« Puis va vers notre mère, la reine Hécube, et demande-lui d'offrir à Athéna le plus grand et le plus beau voile qu'elle possède. Qu'elle promette aussi à la déesse douze jeunes génisses, si elle prend en pitié notre ville, nos femmes et nos enfants. »

Aussitôt Hector sauta de son char à terre. Brandissant ses piques, il parcourut en tous sens l'armée. Il redonna tant d'ardeur aux combattants que les Grecs se disaient qu'un dieu devait secourir les Troyens, à les voir ainsi se retourner contre eux.

Puis Hector reprit le chemin de la ville, et le cuir noir qui courait en bordure de son bouclier battait à la fois sur sa nuque et sur ses talons. Quand il arriva aux portes Scées, les épouses et les filles des Troyens accoururent autour de lui, lui demandant des nouvelles des hommes. « Priez les dieux », leur dit-il à toutes, car les nouvelles qu'il avait pour beaucoup étaient tristes.

Il parvint enfin au palais de Priam, orné de portiques aux colonnes polies. Ce fut là que sa mère vint à sa rencontre et lui prit la main.

« Pourquoi as-tu quitté le combat ? lui demanda-t-elle. Les Grecs vous accablent sans doute. Attends, je vais t'apporter un doux vin. Tu en feras d'abord libation à Zeus, puis tu pourras en boire. »

« Non, mère, répondit Hector, je ne puis offrir une libation avec du sang et de la boue sur les mains. Va plutôt avec les anciennes au temple d'Athéna. Offre-lui le plus beau voile que tu possèdes. Dépose-le sur ses genoux et promets-lui douze jeunes génisses, si elle prend en pitié nos femmes et nos enfants, et écarte les Grecs de notre ville. »

La reine se rendit au temple et déposa sur les genoux d'Athéna un grand voile brodé, brillant comme un astre. Puis elle pria la déesse, mais celle-ci rejeta sa prière.

Pendant ce temps Hector allait à sa maison. « Ma place est à l'armée, se disait-il. Mais d'abord, je vais aller chez nous revoir ma femme et mon tout jeune fils ; car je ne sais si je les reverrai jamais. »

Andromaque, sa femme, n'était pas au logis. Les servantes lui apprirent qu'elle était allée au rempart, bouleversée par les nouvelles de la bataille.

Hector repartit donc en hâte à travers la ville. Comme il arrivait aux portes Scées, il vit sa femme accourir au-devant de lui. La nourrice la suivait, avec l'enfant dans ses bras, le fils chéri de son père et l'espoir de Troie. Hector sourit à la vue de son fils, mais Andromaque éclata en sanglots.

« Malheureux ! s'écria-t-elle. Tu ne vis que pour combattre. N'as-tu pas pitié de ton fils si petit, ni de moi misérable, qui bientôt serai veuve de toi ? Si je te perds, je ne veux plus vivre, car je n'ai que toi. Tu es pour moi un père, une mère et un frère, ainsi que mon époux bien-aimé. »

« Je n'oublie pas cela, chère femme, répondit Hector. Mais je ne pourrais me montrer aux Troyens, si je fuyais, comme un lâche, loin du combat. »

Ayant ainsi parlé, Hector tendit les bras à son fils, le petit Astyanax. Mais l'enfant fut effrayé par le casque brillant avec son panache en crins de cheval qui oscillait terriblement, et il se rejeta en arrière contre sa nourrice. Son père et sa mère se mirent à rire. Hector ôta son casque et le posa à terre. Puis il embrassa son fils, le berça dans ses bras et se mit à prier. « Zeus, et vous, les autres dieux, dit-il, faites que cet enfant, mon fils, soit un jour roi de Troie ! »

Puis il remit l'enfant à sa mère qui le serra sur sa poitrine, riant à travers ses larmes. Son époux s'en aperçut et la caressa de sa main.

Il lui dit : « Ma pauvre, ne t'afflige pas trop ! On ne peut échapper à son destin ; mais personne ne saurait, avant l'heure fixée, m'envoyer chez Hadès. »

Hector reprit alors son casque et Andromaque regagna sa maison, en tournant de temps en temps la tête et en versant de grosses larmes.

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