L'Iliade Scène 9 : Le combat près des vaisseaux

Maintenant, le combat se déroulait près du fossé et du mur qui protégeaient le camp des Grecs. Lorsque les Grecs avaient bâti ce large mur, ils avaient oublié d'offrir des sacrifices aux dieux : aussi ne devait-il pas rester longtemps debout. Mais, à ce moment-là, il se dressait encore, tandis que la bataille faisait rage à l'entour et que les bois du rempart résonnaient sous les coups.

Pendant que les Grecs se tenaient apeurés auprès de leurs vaisseaux, Hector allait et venait dans les rangs, pressant ses hommes de franchir le fossé. Mais les chevaux n'osaient pas ; ils poussaient de forts hennissements, effrayés qu'ils étaient par la largeur du fossé. C'est qu'il n'était pas facile à franchir, car le bord opposé était garni de pieux pointus.

« Pourquoi ne pas laisser nos chevaux sur le bord du fossé ? suggéra un Troyen à Hector. Puis nous te suivrons à pied et porterons la mort aux Grecs, si telle est la volonté des dieux. »

Cela parut à Hector un excellent avis. Aussitôt, il sauta de son char, tout en armes. Les autres Troyens l'imitèrent. Puis ils se formèrent en cinq corps. Le brave Hector prit la tête des troupes, et ses hommes le suivirent en poussant une clameur prodigieuse.

Les Troyens, confiants dans la protection des dieux et dans leurs propres forces, franchirent le fossé et s'attaquèrent au mur. Ils cherchaient à tirer les corbeaux des tours, à faire crouler les parapets, et à soulever les piliers boutants, espérant ainsi enfoncer le rempart.

Mais les Grecs n'étaient pas encore prêts à les laisser passer. De leurs boucliers, ils renforçaient les parapets, et tiraient de là sur les ennemis qui s’avançaient sous la muraille.

Ainsi, les chances du combat s'équilibraient pour eux, jusqu'au moment où Zeus donna une gloire plus éclatante à Hector, qui le premier sauta sur le mur des Grecs.

«À l'assaut, Troyens ! cria-t-il à ses compagnons. Enfoncez le mur et mettez le feu aux vaisseaux. »

Tous les Troyens l'entendirent et se jetèrent sur le mur. Mais Hector fit plus encore. Près de la porte, il saisit une énorme pierre, large à la base et pointue au sommet. Deux hommes n'auraient pu aisément la charger sur un char. Mais Zeus la lui rendit légère. Il la lança contre les vantaux de la porte que verrouillaient deux barres.

Les vantaux volèrent en éclats, les gonds sautèrent et la porte s'abattit dans un fracas épouvantable.

Hector bondit dans le camp, son visage pareil à la nuit. Son corps brillait de l'éclat du bronze, et il tenait deux lances à la main. Seul un dieu eût pu l'affronter, quand il pénétra dans le camp, criant aux Troyens de le suivre. Aussitôt les uns escaladèrent le mur, les autres franchirent la porte. Les Grecs s'enfuirent parmi les vaisseaux, et un tumulte sans fin s'éleva.

À ce moment, Nestor, quittant sa baraque, rencontra les rois blessés, Diomède, Ulysse et Agamemnon, qui revenaient de leurs vaisseaux, fort loin de la bataille. Car le rivage, tout vaste qu'il était d'un cap à l'autre cap, n'avait pu contenir tous les vaisseaux : aussi, les avait-on tirés sur plusieurs lignes. Ainsi donc les rois, désireux de voir la bataille, avançaient ensemble, s'appuyant sur leur lance, l'âme affligée au fond de leur poitrine.

En voyant le mur écroulé et les Troyens à l'intérieur du camp, Agamemnon fut découragé. « Tirons à l'eau les vaisseaux qui sont le plus près de la mer, puis mouillons-les au large, dit-il. Ensuite nous pourrons, de nuit, tirer à l'eau les autres vaisseaux. »

« Insensé, lui répondit Ulysse, tais-toi de peur qu'un Grec n'entende ces paroles, et alors tout sera réellement perdu. C'est une armée de lâches que tu devrais conduire, si tel est ton projet. »

« Tes paroles sont dures, Ulysse, mais c'est toi qui as raison, reconnut Agamemnon. Je ne donnerai pas l'ordre aux Grecs de tirer les vaisseaux à la mer. Mais si quelqu'un a un avis meilleur, écoutons-le. »

« Il faut marcher au combat, dit le brave Diomède. Nous nous tiendrons à l'écart, étant blessés, mais nous pourrons encourager les autres. »

Ils partirent donc, et, en chemin, ils rencontrèrent Poséidon, sous les traits d'un vieillard. Le dieu adressa à Agamemnon des paroles de réconfort et redonna courage aux Grecs. Ceux-ci repoussèrent les Troyens jusqu'au moment où Zeus envoya Apollon pour jeter la panique parmi les Grecs.

Tandis que les Grecs étaient, une fois de plus, acculés à leurs vaisseaux, Patrocle arriva, tout en larmes, vers Achille.

« Mon cher Patrocle, dit Achille, pourquoi pleures-tu ? On croirait voir une fillette, qui court à côté de sa mère et s'accroche à sa robe : elle pleure et veut qu'on la prenne. Qu'y a-t-il donc ? Aurais-tu reçu quelque message de notre pays ? Ou est-ce sur les Grecs que tu te lamentes ? Ils souffrent pourtant par leur propre faute. »

« Oh ! Achille, soupira Patrocle, ne m'en veuille pas. Trop grand est le malheur des Grecs : les meilleurs d’entre eux sont blessés. Si ton cœur est à ce point cruel que tu ne veux pas renoncer à ta colère, laisse-moi du moins emmener les Myrmidons et revêtir tes propres armes, pour essayer de sauver les Grecs. »

Ainsi implorait-il, le pauvre fou, sa propre mort. Et le fier Achille lui répondit par ces mots :

« Sans doute as-tu raison : je ne devrais pas toujours garder cette colère. Je pensais attendre que la rumeur du combat arrive près de mes vaisseaux. Mais va, prends mes armes et conduis au combat nos braves Myrmidons, puisque les Troyens, comme un nuage sombre, assiègent nos vaisseaux et que les Grecs sont acculés au rivage.

« Va, tombe sur eux avec ardeur. Sauve nos vaisseaux, et procure-moi une grande gloire. Mais quand tu auras écarté l'ennemi des vaisseaux, reviens tout de suite. Même si Zeus t'offre de remporter la victoire, tu ne devras pas combattre et amoindrir ma gloire. Ne va pas jusqu'aux murs de la ville, de crainte qu'Apollon qui aime chèrement les Troyens ne se mette sur ta route. Reviens donc, dès que tu auras sauvé les vaisseaux. »

Or, pendant qu'Achille et Patrocle parlaient, Ajax qui défendait son grand vaisseau, se trouvait être à bout de forces. Son casque résonnait sous les coups, son épaule gauche se fatiguait à porter son bouclier. Son souffle était haletant et la sueur ruisselait sur son corps. Toutefois, les Troyens n'arrivaient pas à l'ébranler.

Et voici maintenant comment le feu se mit à prendre sur les vaisseaux.

Hector, s'arrêtant près d'Ajax, frappa de sa grande épée la lance du héros et la brisa net. Ajax comprit que Zeus était contre lui. Il recula hors de portée des traits. Les Troyens alors lancèrent leurs brandons. Les flammes enveloppèrent d'abord la poupe, et, au bout d'un moment, le feu flambait sur tout le navire.

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