L'Iliade Scène 8 : Le combat devant la ville

L'Aurore se levait de son lit pour porter la lumière aux hommes et aux dieux lorsque Zeus envoya vers les vaisseaux des Grecs l'affreuse Discorde. Elle s'arrêta sur le vaisseau noir d'Ulysse et poussa un cri puissant et terrible. On l'entendit jusqu'aux extrémités du camp, et il remplit les hommes de vaillance.

Agamemnon lui-même lança l'appel de guerre. Puis il mit ses jambières et revêtit sa poitrine de la cuirasse que lui avait envoyée le roi de Chypre, à la nouvelle de l'expédition de Troie. Il ceignit son épée où brillaient des clous d'or et qu'enfermait un fourreau d'argent. Puis il prit son grand bouclier : on voyait sur les bords dix cercles de bronze et, au centre, vingt bossettes d'étain. Sur sa tête, il mit un casque à deux cimiers : un effrayant panache oscillait au sommet. Et, tenant en mains deux piques à pointe de bronze, le roi de Mycènes la riche s'avança au combat.

Les deux armées étaient pareilles à deux rangées de moissonneurs devant qui tombent les épis. Ainsi se massacraient les Troyens et les Grecs, en se jetant les uns sur les autres. Tout le matin, tant que le soleil monta à l'horizon, les flèches volèrent des deux côtés et les guerriers tombèrent en foule. Mais à l'heure où le bûcheron se lasse de couper des arbres dans la montagne et songe à prendre son repas, à cette heure les Grecs enfoncèrent brusquement les rangs ennemis.

Au plus fort du combat se trouvait Agamemnon, appuyé par d'autres Grecs. Les fantassins tuaient les fantassins, les meneurs de chars tuaient les meneurs de chars, tandis que les pieds retentissants des chevaux soulevaient un grand nuage de poussière. Agamemnon tuait, massacrait sans répit. Comme tombent les arbres de la forêt sous les flammes de l'incendie, ainsi tombaient les Troyens sous les coups d'Agamemnon.

Par delà l'antique tombeau d'Ilos, au milieu de la plaine, par delà le figuier sauvage, en direction de la ville, Agamemnon poursuivait toujours les Troyens, les mains souillées de poussière et de sang. Ils arrivèrent aux portes Scées et au chêne. Alors, les Troyens auraient été repoussés jusqu'à leurs remparts, Si Zeus n'eut chargé Iris de porter un message à Hector.

« Dis à Hector qu'aussi longtemps qu'Agamemnon sèmera la mort à la tête de son armée, il s'abstienne de combattre. Mais quand Agamemnon, blessé par une lance ou une flèche, sautera sur son char, je donnerai à Hector la force de repousser les Grecs vers leurs vaisseaux, jusqu'à la tombée de la nuit. »

Ainsi parla Zeus à Iris.

Dès qu'Iris eut transmis son message et fut repartie, Hector sauta de son char. Brandissant ses piques aiguës, il rallia ses hommes. Mais il évita Agamemnon, ainsi que Zeus le lui avait conseillé.

Agamemnon, comme toujours, était le premier. Et, au moment où Agamemnon venait d'abattre un Troyen d'un coup d'épée, voici qu'un autre Troyen le frappa de côté, au-dessous du coude, et la pointe de la lance perça le bras de part en part. Un frisson saisit Agamemnon, mais il n'en continua pas moins de combattre.

Tant que le sang coula de la blessure, Agamemnon ne cessa pas de combattre. Mais, quand le sang commença de sécher, Agamemnon ressentit de vives douleurs. Il monta sur son char, en exhortant ses compagnons à continuer la lutte.

Hector voyant qu'Agamemnon s'éloignait, blessé, cria d'une voix forte :

« Troyens et alliés ! Il s'en est allé, le meilleur de leurs guerriers. Zeus nous a donné la victoire. Allons, poussez vos chevaux droit vers les vaisseaux. »

Ainsi Hector excitait le courage des Troyens. Puis il se jeta dans la bataille, pareil au souffle violent d'une rafale qui s'abat sur la mer. Quels furent les premiers, et quels furent les derniers qu'immola Hector ? Ils seraient trop nombreux à nommer.

À ce moment, un désastre complet menaçait les Grecs qui étaient repoussés vers leurs vaisseaux. Tous leurs chefs étaient sérieusement blessés. Diomède fut atteint au pied par une flèche de Pâris. Une lance troyenne perça le bouclier et la cuirasse d'Ulysse et lui entailla la peau du côté. Le grand Ajax lui-même dut faire retraite en direction des vaisseaux.

Enfin, une flèche de Pâris mit hors de combat le grand médecin Machaon. Nestor, le voyant blessé, se porta immédiatement à son secours. Bientôt les chevaux de Nestor, suant et haletant, emportaient les deux hommes vers les vaisseaux creux.

Achille était debout à la poupe de son navire, contemplant la déroute des Grecs. Quand il vit arriver le char de Nestor, il s'adressa à son ami Patrocle.

« Maintenant enfin je vais voir les Grecs à mes genoux, dit-il, car ils sont en mauvaise posture. Va demander à Nestor quel est l'homme qu'il ramène. De dos, il ressemble fort à Machaon ; mais je n'ai pas vu nettement son visage. Je veux le savoir, car un médecin qui peut guérir la blessure d'une flèche vaut beaucoup de combattants. »

Patrocle alors se mit à courir le long des baraques et des vaisseaux. Le char de Nestor était maintenant arrivé à sa baraque. Les deux hommes firent sécher la sueur de leurs tuniques, debout sous la brise, près du rivage de la mer. Puis ils rentrèrent.

Juste à ce moment, Patrocle parut à la porte. Nestor l'invita à s'asseoir, mais Patrocle refusa en disant :

« Achille m'a envoyé demander quel était le blessé que tu ramenais. Mais je reconnais Machaon, le pasteur d'hommes. Je vais vite rapporter la nouvelle à Achille, car tu sais comme il est prompt à la colère. »

« Pourquoi donc Achille plaint-il tant un homme blessé ? lui répondit Nestor. Ne sait-il rien du deuil qui s'abat sur l'armée ? Les meilleurs sont blessés : Agamemnon, Diomède, Ulysse. Achille ne s'en soucie guère, tout brave qu'il soit. Attend-il que nos vaisseaux soient brûlés ?

« Tu dois te souvenir, Patrocle, des recommandations que te faisait ton père, à ton départ pour la guerre. « Mon fils, disait-il, Achille est plus fort et plus noble que toi. Mais tu es plus âgé. Tu dois le conseiller. » Voilà les recommandations de ton père. Les as-tu oubliées ?

« Tu es l'ami d'Achille. Peut-être pourras-tu le persuader. Ou peut-être t'enverra-t-il, avec ses propres armes, toi et les Myrmidons. Alors les Troyens, voyant des troupes fraîches et croyant que c'est Achille qui les conduit, renonceront à se battre et laisseront les nôtres reprendre haleine. »

Patrocle fut touché par le discours de Nestor. Il se mit à courir le long des vaisseaux pour aller retrouver Achille.

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