LE HVICTIESME LIVRE DE L’ILIADE D’HOMERE.

Deſcription de l’Aube du iour.

L’AVBE DV IOVR, de Vermeil acouſtrée,

Deſia eſtoit ſur la Terre monſtrée,

Quand Iuppiter des fouldres iouiſſant,

Feit aſſembler au Ciel reſplendiſſant,

L’eſtroict Conſeil des Dieux : Auſquelz eſtans

Aſſis par ordre, & tres bien l’eſcoutans,

Il dict ainſi. Oyez troupe Divine,

Ce que l’Eſprit caché dans ma Poictrine

Veult que je die : Et m’ayans entendu,

Ne ſoit aulcun de vous ſi Eſperdu

Maſle, ou Femmelle, à me cuyder diſtraire

De mon Deſſeing, ou faire le contraire.

Celuy de vous qui ſe departira

Hors de la Troupe, & du Ciel ſortira,

Pour aux Troiens, ou aux Gregeois ayder,

Si je le puis ſur l’heure apprehender,

Batu ſera, & ſoubdain renvoyé

En ſa Maiſon Honteux & Ennuyé.

Ou ſi je viens à trop me deſpiter,

Ie le ſeray ſoubdain precipiter

Dedans le Creux & horrible manoir

Nommé Tartare, ou eſt le Gouffre noir

Et le Baratre, ayant Portes de Fer :

Qui eſt ſi bas & profon en Enfer,

Comme il y a de diſtance & d’eſpace

Du Ciel haultain, juſque en la Terre baſſe :

Par ce moyen tous auront cognoiſſance,

Combien ſ’eſtend mon extreme puiſſance.

Et ſi voulez des maintenant ſcavoir

Ce que je puis, je le vous ſeray voir.

Il vous convient une Chaine d’or pendre

D’icy à Terre & tous vous en deſcendre,

Pour employer voſtre Divin povoir

À me tirer en bas, & me mouvoir.

Vous avez beau travailler, voſtre peine

En fin ſera une Entrepriſe vaine.

Mais ſi je veulx au Ciel vous eſlever,

Ie le feray, ſans en rien me grever :

Et tireray par une meſme charge

Avecques vous la Terre & la Mer large.

Aprés cela j’attacheray d’ung bout

La Chaine au Ciel, & ſuſpendray le tout :

À celle fin que l’on cognoiſſe mieulx,

Que je ſuis Chef des Hommes & des Dieux.

    Ceſte Menace & tant grave Harangue,

Rendit les Dieux eſtonnez & ſans Langue,

Par quelque temps : Mais en fin la Déeſſe

Pallas ſa Fille, à Iuppiter ſ’adreſſe :

En luy diſant. Ô Roy des Roys, grand Pere

De tous les Dieux, à qui tout obtempere,

Nous ſcavons bien par longue experience,

Qu’il y a grande & ample difference

De ton povoir au noſtre. Et maintenant

Si l’ung de nous eſt les Grecs ſouſtenant,

Ce n’eſt Deſdain, Ire, ou Inimitié

Que l’on te porte. Ains l’extreme Pitié

Que nous avons, en les voyant mourir.

Or ne povant de faict les ſecourir,

Te plaiſt il pas, au moins qu’on les conſole

De bon Conſeil, & utile Parole :

Et qu’on en ſaulve ung nombre, qui mourra

Par ton Courroux, qui ne les ſecourra ?

    Lors Iuppiter, monſtrant joyeuſe chere,

Luy reſpondit. Pallas ma Fille chere,

Donne Conſeil & Faneur aux Gregeois

À ton plaiſir : je te veulx ceſte fois

Gratifier. Fay ſelon ta penſée :

Tu n’en ſeras aucunement tancée.

    Iuppiter lors au Chariot ateſle

Ses grandz Courſiers, de nature immortelle

Puis ſe veſtit de ſes Robes dorées

Tres reluyſans, & bien Elabourées.

Print ſon Fouet d’or fin, & ſoubdain monte.

Ses Chevaulx bat, qui ont l’alleure prompte.

Si fendent l’Air, volans à bien grant erre

Tenans leur voye entre le Ciel & Terre.

    Tant les preſſa, & ſi droict les guyda,

Qu’il arriva ſur le hault mont Ida

Dict Gargarus, abondant en herbages,

En doulces Eaux & Grandz Beſtes ſauvaiges

En ce hault Mont Verd & Delicieux,

Eſtoit baſty ung Temple ſpacieux,

La conſacré, de toute Antiquité,

Par les Troiens à ſa Divinité.

Au pres duquel Iuppiter ſ’arreſta,

Et aux Chevaulx l’Ambroſie appreſta.

Puis ne voulant que l’on ſceut ſa venue,

Il les couvrit d’une bien groſſe Nue.

    Du hault Sommet de la haulte Montaigne,

Il contemploit à l’aile la Campaigne :

Prenant Plaiſir de voir les aſſiegez,

Et aſſiegeans, de meſmes affligez.

Car d’aultant plus qu’il les conſideroit,

D’aultant ou plus ſa Grandeur meſuroit.

    Les Grecs ce jour ayant prins leur repas

Deſſoubz la Tente, ilz n’oublierent pas

À bien ſ’armer : & de jeſter aux Camps

Leurs Bataillons, en bel ordre marchans.

D’aultre coſté tous les Troiens Genſdarmes

Apres diſner ſ’armerent de leurs Armes :

Deliberantz defendre leur Cité.

Ilz eſtoient peu, mais la Neceſſité

Les animoit, & rendoit plus Vaillans,

Pour reſiſter aux Gregeois aſſaillans.

Et meſmement pour la Protection

De leur Patrie, & Generation.

    Si ſont ouvrir entierement les Portes

De leur Cité : & toutes les Cohortes

Sortent dehors, tant la Chevalerie,

Que Gens de pied, non ſans grand crierie.

    Eſtans venuz au lieu propre à combatte,

Soubdainement commencent à ſe batre :

Dreſſans Eſcu contre Eſcu, Dard à Dard,

Roy contre Roy, Souldard contre Souldard.

Faiſans en tout, comme vrays Belliqueurs,

Ores vaincuz, incontinent Vainqueurs.

L’ung ſe plaignoit, ſe voyant abbatu,

L’aultre ventoit ſa Proueſſe & Vertu :

Et voyoit on, du Meurtre nompareil,

Inceſſamment couler le Sang vermeil.

    Ce grand Chapliz dura la matinée

Sans qu’on cogneut la Victoire inclinée,

À l’ung des deux. Chaſcun feit le hardy

De tous coſtez juſques ſur le Midy.

    Lors Iuppiter, afin de diſcerner

Sur qui devoit la Victoire tourner,

Print en ſa main une Balance, & verſe

Aux deux Baſſins, tant leur Fortune adverſe,

Que le Bon heur. En ung coſté mectant

Celle des Grecs, pour les Troiens autant

De l’aultre part, Si poiſe juſtement :

Mais il cogneut toſt & apertement,

Que le malheur des Gregeois ſurpaſſoit

Cil des Troiens, & du tout balancoit

Gaignant la Terre, & l’aultre gaignant l’Air

Surquoy ſoubdain, feit la Fouldre voler

Parmy les Grecs : Leſquelz en leurs Eſpris,

Furent de craincte incontinent ſurpris.

    En meſme inſtant, fut par Idomenée

Roy des Cretoys, ſa Gent abandonnée.

Agamemnon meſmes laiſſa la Place,

Les deux Ajax auſſi, ſans monltrer Face,

Prindrent la fuyte. Et ne fut veu ſur l’heure,

Prince Gregeois, qui feiſt au Camp demeure :

Fors le prudent Neſtor, qui fut contrainct :

De ſ’arreſter. Paris avoit attainct :

Ung des Chevaulx du Vieillart, droictement

Deſſus la Teſte : ou naturellement

On voit les Crins premier naiſtre & ſortir.

Ce Cheval donc le gardoit de partir,

Qui Reculloit, Tournoit, Virevouſtoit,

Pour la douleur mortelle qu’il ſentoit :

Car la Sagette eſtoit bien fort entrée

En la Cervelle, & l’avoit pénétrée.

Dont ſ’efforceoit, pour ſe deſveloper,

À ſon Cheval tous les liens couper.

    Mais ce pendant les grandz Courſiers d’Hector

Portans leur Maiſtre, approchoient de Neſtor,

Qui fuſt la mort, ſans le Grec tant priſé

Diomedés, qui l’ayant adviſé,

Vint au ſecours. Et quant & quant voyant

Le Cauteleux Vlyſſés ſ’en fuyant,

Il luy crioit. Ô Filz de Laertés

Dont les fins tours ſont expérimentez

De longue main, Ou vas tu maintenant ?

Pourquoy fuys tu ? Que n’es tu ſouſtenant

Icy le Faix ? N’as tu point Honte & Craincte

De recevoir, en fuyant, quelque Attaincte

Deſſus l’eſchyne ? Attents, attents, Demeure,

Saulvons Neſtor, gardons qu’icy ne meure.

    Ainſi parla, dont Vlyſſés l’ouyt,

Qui n’arreſta : ains aux Nefz ſ’enfouyt.

Ce nonobſtant Diomedés ſ’adreſſe

Pour le ſaulver, au plus fort de la preſſe.

Et quand il fut tout devant ces Chevaulx,

Luy dict ainſi. Ô Neſtor, grandz travaulx

Te faict ſouffrir la Gregeoiſe jeuneſſe,

Durs à porter à ta foible vielleſſe :

Qui tous les jours ſe trouve deſpourveue,

De la vertu & Force qu’elle a eue.

Ton Chariot, ton Carton, ta Monture,

Tout eſt tardif, & de foible Nature.

Deſcends de la, & vien icy monter

Deſſus mon Char, pour experimenter

La grant Viteſſe, & le Courage exquis

De mes Courſiers, que l’autr’hyer je conquis

Sur Eneas : Noz Valetz meneront

Ton Chariot, & le gouverneront.

    Quant à nous deux, medons nous en devoir

Si bien que Hector & Troiens puiſſent voir

Encor ung coup, quelle eſt noſtre vaillance,

Et ſi je ſcay manier une Lance.

    Suyvant cela, le Vieillard deſcendit,

Et fut le Char du ſort Grec ſe rendit :

Tenant le lieu de Sthenelus, qui paſſe

Sur iceluy de Neſtor en ſa Place.

    Neſtor ſervit pour lors de Conductcur,

Diomedés de Chef & Combateur.

Lors paſſent oultre, afin de povoir joindre

Le preux Hector : qui n’eut volunté moindre

De les trouver. Le ſort Grec ſ’eſvertue

À luy jecter ſa grand Darde poinctue.

Si le faillit. Mais en faillant le Maiſtre,

Dans l’Eſtomach de ſon Carton penetre

Enopëus nommé, Homme d’eſtime.

Filz de Thebée Hardy & Magnanime.

    Le preux Hector fut ſurprins de douleur,

Voyant mourir ſon Servant de valeur.

Ce neantmoins il le laiſſe & ſ’efforce

D’en trouver ung de meſme Cueur & Force.

Incontinent à luy ſe preſenta

Archeptoleme, & tout ſoubdain monta

Sur les Chevaulx, prenant Fouet & Bride,

Avec propos de le ſervir de Guyde.

    Certainement à ces deux nouveaux Changes,

Il ſ’appreſtoit d’Occiſions eſtranges.

Et meſmement pour les Troiens eſpars,

Qu’on euſt contrainctz (comme Aigneaulx en leurs

Se retirer & gaigner la Muraille : Parcz)

Tant ſ’eſchauffoient les Grecs à la Bataille.

Mais Iuppiter, avec ung grand Tonnerre,

Soubdain tranſmit l’ardent Fouldre ſur Terre,

Qui vint tumber de ſi grande Roydeur,

Que le fort Grec vit la Flamme & Ardeur

Bien prés de luy : dont ſes Chevaulx tremblerent :

Et à Neſtor les Reſnes ſ’en volerent

Hors de ſes mains tant fut ſurprins de Craincte.

Si dict alors : C’eſt par Force & Contraincte

Diomedés, qu’il nous fault deſloger.

Fuyons nous en, voys tu pas le danger ?

Le Dieu puiſſant la Victoire depart

Pour ce jourdhuy, à la contraire part.

Vne aultrefois il en ordonnera

Tout aultrement, & la nous donnera.

L’eſprit humain ne ſe doict hazarder

De contredire aux Dieux, ou retarder

Leur volunté. La puiſſance Divine

Eſt du tout grande, il fault qu’elle domine.

    Diomedés adonc luy reſpondit.

Prudent Vieillard, tout ce que tu as dict

Eſt raiſonable : & n’y vueil reſiſter :

Mais ie ne puis que trop me contriſter,

Quand me ſouvient d’Hector, qui me verra

Ainſi fouyr : lequel dire pourra

Ung jour aux ſiens, extollant ſon Audace,

Comme aultreſfois il m’a donné la Chaſſe,

Iuſques aux Nefz. Et ſ’il eſtoit ainſi,

I’aymerois mieulx, que ſans nulle mercy,

Deſſoubz mes piedz ceſte Terre ſ’ouvriſt

Soubdainement, m’engloutiſt & couvriſt.

    Ha que dis tu (Reſpondit lors Neſtor)

Penſeroys tu que l’on en creuſt Hector.

Certainement quand il te nommerait

Laſche & Crainctif, chaſcun eſtimeroit

Tout le contraire. Ilz ont veu trop grand nombre

De leurs Souldards mis en mortel encombre

Par ton Eſpée, Et mainte Femmelette,

Par ton effort, eſtre Veſue & Seulette.

    Diſant ces motz, ſoubdain la Bride tourne

À ſes Chevaulx, recule & ſ’en retourne

Avec les Grecs. Hector & ſes Souldards

Courent aprés, leur ruant Traictz & Dardz,

Non ſans grant Bruict : Meſmes Hector crioit

À haulte voix quand fouyr les voyoit.

Diomedés (diſoit il) tu vouloys,

Eſtre honoré, ainſi que tu vouloys,

Entre les Grecs, La Chair plus delectable,

Le meilleur Vin, le premier Lieu de Table,

Teſtoient donnez, pour ta Vaillance & Fame.

Mais à preſent, comme une vile Femme,

Priſé ſeras, va t’en va Glorieux,

Eſpoventable, avec tes ardans yeulx.

N’eſpere plus deſſus noz Tours monter.

N’eſpere plus noz Femmes tranſporter

En tes Vaiſſeaulx. Moy ſeul ſuis aſſez Fort,

Non ſeulement d’empeſcher ton Effort

Et te chaſſer ains pour mort te donner,

Sans te laiſſer en ta Nef retourner.

    Ainſi diſoit Hector, dont le Gregeois

Fut ſuſpen, ſ’il devoit aultre foys

Tourner Viſaige, & l’injure venger,

Ou ſ’en fouyr, evitant le danger.

De retourner troys fois ſe hazarda :

Mais par troys fois Iuppiter l’en garda.

Qui feit deſcendre ung Tonnerre & Eſcler

À ſon Oreille, Augure ſeur & clair,

Que la Victoire eſtoit celle journée

Aux fortz Troiens, par les Dieux deſtinée.

    Sur quoy Hector, pour animer les ſiens,

Cryoit tout hault. Ô Troiens, Liciens,

Et vous Amys à mon ſecours venuz,

Si l’on vous a pour valeureux tenuz

Par cy devant, ſoyez ores records,

De faire voir voſtre Force de Corps

Aux Ennemys. I’ay cognoiſſance aperte

Que nous vaincrons : & que toute la perte

Sera ſur eulx. Les Murs, la Fortereſſe

Qu’ilz ont baſtiz pour ſaulver leur Foibleſſe,

Seront par moy ſoubdainement forcez :

Car mes Chevaulx franchiront leurs Foſſez

Facilement : Mais lors faictes de forte,

(Quand ie ſeray dans les Nefz) qu’on me porte

Brandons de Feu afin de les bruſler.

Moyen n’auront adonc de reculer :

Ains eſtouffans de l’eſpeſſe Fumée,

Par moy ſera leur Vie conſumée.

    De telz propoz Hector les confortoit :

Et quant & quant ſes Chevaulx enhortoit.

Ô mes Chevaulx Xanthe, Aeton, Podarge,

Aux viſtes piedz, & à la Croupe large,

Et toy Lampus Divin & Remuant,

Pour mon ſalut courant & treſſuant,

Recognoiſſez le Traitement & Chere,

Que bien ſouvent vous faict ma Femme chere

Andromacha : laquelle prend bien peine

De vous donner du Froment & d’Aveine,

En y meſlant, quand il en eſt beſoing,

Du Vin ſouef. Ayant auſſi grand ſoing

De vous penſer, & d’exercer l’Office

D’ung Eſcuyer, qu’à me faire ſervice.

À ceſte cauſe Avancez vous, Courez,

Et voſtre Maiſtre à preſent Secourez :

Tant qu’il Attrappe, ou il rende vaincu

Le viel Neſtor, pour avoir ſon Eſcu.

Le Bruict duquel vole juſques es Cieulx,

Pour ce qu’il eſt de fin Or précieux.

Diomedés auſſi eſtant Surpris,

Nous laiſſera ſa Cuyraſſe de pris,

Que Mulciber jadis voulut Forger.

Et cela faict, on verra deſloger

Toute la Nuict : ceſte Armée Gregeoiſe :

Mectans en Mer, leurs Nefz ſans faire Noiſe.

    Ainſi parla Hector, en ſe ventant,

Qui bien penſoit en povoir faire autant.

Surquoy Iuno (ſaichant en ſa penſée

Tout ce diſcours) fut ſi fort courrouſſée,

Qu’on veit ſoubdain, tout ſes Membres trembler

Par grand Deſpit : & l’Olympe branſler.

    Incontinent à Neptune ſ’adreſſe,

En luy diſant : N’as tu point de Triſteſſe,

Voyant les Grecs ſi durement ſouffrir,

Qui tous les jours ne ceſſent de t’offrir

Pluſieurs beaulx dons & digne Sacrifice,

En la Cité d’Egues ou en Hélice ?

Comment peulx tu eſtre ſans te douloir

De leur Malheur, veu l’extreme vouloir

Que ie t’ay veu favoriſant leurs droictz ?

Ô Neptunus certes quand tu vouldrois,

Et tous le Dieux qui portent leur Querele,

Les preſerver de ceſte Mort cruele,

Il ſeroit faict. Mon Mary Iuppiter

Auroit beau dire & beau ſe deſpiter,

Il n’ouſeroit touteſfois departir

Du mont Ida craignant ſ’en repentir.

    Lors Neptunus reſpond : Ô Téméraire

Ne penſe point que ie vueille deſplaire,

Ou contredire à Iuppiter puiſſant :

À qui chaſcun doit eſtre obeiſſant.

Il eſt trop fort, il le fault recognoiſtre

Pour noſtre Roy, noſtre Seigneur & Maiſtre.

    Ce temps pendant les Grecs furent pouſſez,

Eſtans rompuz) dans leurs Tours & Foſſez.

Le preux Hector, reſſemblant au Dieu Mars,

Les contraignit de gaigner leurs Remparts,

Et ſ’enfermer : Tant que la grande Plaine

D’entre les Nefz, & le Fort, en fut pleine.

    Eſtans ainſi ſerrez & reculez,

Le fort Troien euſt leurs Vaiſſeaulx bruſlez,

Tant il eſtoit des Dieux favoriſé,

Si lors Iuno n’euſt aux Grecs adviſé.

Qui les voyant ainſi en d’eſarroy,

Meit en l’eſprit d’Agamemnon leur Roy,

De les laiſſer, & d’aller à grand Cours

Iuſques aux Nefz, pour demander Secours.

    Agamemnon part adonc promptement,

Et vient aux Nefz, fenant ung Veſtement

De coleur Rouge en ſa main, & ſ’adreſſe

Droict à la Nef principale & Maiſtreſſe

Du Roy d’Ithaque, aſſiſe au beau mylieu

Des aultres Nefz, tant que de meſme lieu,

Il povoit eſtre à ſon aiſe entendu.

    Le Pavillon d’Ajax eſtoit tendu

À l’ung des Flans, cil d’Achillés auſſi

En l’aultre Flan eſtans rengez ainſi

Sur les deux Coings, afin de ſouſtenir

Mieulx les dangers, qui povoient ſurvenir.

    Agamemnon donc monté ſur la Poupe

De ce Vaiſſeau crioit, Ô laſche Troupe,

Ô Princes Grecs, Ô peuple miſerable,

Quelle grand Honte & Marque ineffacable

Eſt imprimée à ce jour ſur la Grece ?

Ou ſont les Veux ? Ou eſt voſtre Promeſſe ?

Ou eſt l’Orgueil, & glorieux Caquet,

Que vous aviez en Lemnos au Banquet,

Lors que diſiez, que des Troiens abſens,

Chaſcun de vous en combatroit Cinq cens ?

C’eſtoit le Vin, la Chair, & la Viande,

Qui vous mectoit ceſte Iaſtance grande

En voz eſpritz : ie le ſens maintenant.

Et qu’il ſoit vray, voicy Hector venant,

Lequel ayant Force le Baſtion,

Mectre à Sac, & en Combuſtion

    Toute l’Armée. Ô pere Iuppiter,

Lequel des Roys as tu faict : contriſter

Plus que ie ſuis ? lequel as tu chargé

(Privé de gloire, Ennuyé, Oultraigé)

Autant que moy ? Ce n’eſt pas l’Eſperance

Par moy conceue, & l’entiere Aſſeurance

Que ie prenois de mon vouloir parfaire :

Quand ie voioys mon Offrande te plaire.

Ie penſoys bien ung jour deſtruire Troie.

Et maintenant fe me voy eſtre Proye

Des Ennemys. Ô ſouverain des Dieux,

Octroye moy (Puis qu’il ne te plaiſt mieulx)

Que tout ce Peuple eſchappe hors des mains

Du fort Hector, & Troiens inhumains.

    Ainſi prioyt pour tous ſes Grecs Genſdarmes

Le Chef de Guerre, accompaignant de larmes

Son Oraiſon. Iuppiter accorda

Entierement ce qu’il luy demanda :

Meu de pitié, le voyant gemiſſant

Pour le Salut du Peuple periſſant.

Si leur tranſmit pour veritable Augure,

L’Aigle portant avec ſa Griphe dure,

Ung petit Fan de Biche, qu’elle laiſſe

Cheoir ſur l’Autel, ou la Grecque Nobleſſe

Sacrifioit au grand Dieu immorte

Quand les Gregeois veirent deſſus l’Autel

Deſcendre l’Aigle, ilz reprindrent Couraige :

Et quant & quant tournent monſtrcr Viſaige.

    Diomedés entre tant de milliers

De bons Souldards, & vaillans Chevaliers,

Fut le premier qui ſortit hors leur Fort

Avec le Char, pour monſtrer ſon Effort

Contre Troiens. Lors ſ’avance & ſe rue

Sur l’ung d’iceulx, & d’ung ſeul coup le tue.

Agelaus fut ce Troien nommé,

Filz de Phradmon, de toute piece Armé :

Lequel voyant Diomedés venir,

N’eut touteſfois cueur de le ſouſtenir,

Et ſ’enfouyt : Mais ſa Darde luy paſſe

Parmy l’Eſchine, & fort par la Cuyraſſe.

Dont il tumba, & en tumbant l’Armure

Avec le Corps feit ung Bruict & Murmure.

    Agamemnon, Menelaus ſon Frere,

Les deux Ajax Princes de hault affaire

Idomenée, & ſon Carton vaillant ;

Merionés, courageux Aſſaillant,

Et avec eulx, le bon Eurypylus

Filz d’Evemon ung des Gregeois eſleuz

De tout le Camp, leur Fort habandonnerent,

Et à travers des Ennemys donnerent.

Oultrc ces Huict, ſe voulut avancer

Pour le Neufieſme, ung Grec nomme Teucer

Frere d’Ajax, portant ſon Arc tendu.

Lequel eſtoit ſubtil & Entendu

À tirer droict : Sa ruzée Cautele

Feit aux Troiens mainte playe mortele.

Car ſoubz l’Eſcu du Frere ſe cachoit,

Puis ſ’il voyoit ſon heure, il deſcochoit,

Et le coup faict revenoit trouver

Le grand Boucler, pour ſa vie ſaulver.

Comme ung Enfant, qui ſe cache & deſrobe

Souventeſfois deſſouz la Cotte ou Robe

De ſa Nourriſſe ou de ſa Mere aimable :

Quand il voit choſe à luy deſagreable.

    Or diſons donc leſquelz furent vaincuz

Par ceſt Archer : Ce fut Orſilochus

Pour le premier Detor, Opheleſlés,

Amapaon, Ormein, Lycophontés,

Menalippus, & Chromius, attainctz

De part en part, & a tumber contrainctz.

    Trop fut joyeux Agamemnon, de voir

Ce rude Archer faire ſi grand devoir.

Si vint à luy, & d’ung plaiſant Langaige

Luy dict ainſi. Ô gentil Perſonaige

Prince d’honeur que ie doibs reverer,

Ie te ſupply vouloir perſeverer.

Car ſans le Loz que l’on te donnera,

Quand Thelamon ton vieil Pere ſcaura

Ce bel Exploict : il en aura grant joye :

Avec Deſir qu’en brief temps te Revoye.

Ie ſcay tres bien qu’il t’honore & t’eſtime :

Bien que tu ſoys Enfant illégitime,

Et qu’il t’a faict nourrir de ton jeune eage,

Comme ſon Filz venant de Mariage.

Quant eſt à moy, ie te jure & promectz

En Foy de Roy, que ſi ie prens jamais

Ceſte Cité, apres moy, tu prendras

Du beau Butin ainſi que tu vouldras.

Ie te donray ung Trepier d’or bruny,

Ung Chariot de deux Chevaulx garny,

Ou pour le mieulx, une belle Troiene

Fille à Priam, ou aultre Citoiene,

Qui avec toy en ton Lict dormira;

Et ſ’il te plaiſt touſjours te ſervira

    La n’eſt beſoing grand Roy, que tu t’efforces

(Dict lors Teucer) à inciter mes Forces.

Souvent ie tire, emploiant ma puiſſance

Et induſtrie, à leur porter nuyſance.

Et qu’il ſoit vray, huict vaillans Ennemys

Sont par mes Traictz à mort cruelle mis.

Mais ie ſerois à mon ſouhait vengé,

Si ie frappois ce Matin enragé.

    Diſant ces motz ſon Arc enfonce, & jecte

Encontre Hector ſa picquante Sagette.

Trop deſiroit l’attaindre & embrocher,

Mais il n’y peuſt aucunement toucher.

Ce neantmoins la Sagette envoyée,

Fut ſur ung Filz de Priam employée

Gorgythion, navré ſoubz la Mammelle :

Dont il receut mort Subite & cruele.

Il eſtoit Filz de la Nymphe honorable

Caſtianire, aux Déeſſes ſemblable :

Qui du bon Roy fut en Thrace Eſpouſée,

Pour la Beaulte dont elle eſtoit priſée.

Et tout ainſi que le Pavot croiſſant

Et gras Iardins, eſt la teſte baiſſant,

Tant pour le fruict, que pour la pluye tendre

Du beau printemps qui peult ſur luy deſcendre :

Semblablement Gorgytion bleſſé,

Et du grand faix de l’Armet oppreſſé,

Pancha ſon chef ſur l’Eſpaule, & ſe laiſſe

Tumber tout mort, par douleur & foibleſſe.

    Le Grec Archer encores ſ’efforca

Encontre Hector, & ſon Arc enfonca.

Si le faillit : mais la Sagette meſme

Alla frapper le fort Archeptoleme,

Soubz le Tetin dont fut contrainct laſcher

Les beaux Courſiers, & bas mort treſbuſcher.

    Quand Hector veit ſon Eſcuyer par terre

Il fut dolent, lors deſcendit grand erre,

Et commanda à Cebrion de prendre

Son Chariot, & la guyde entreprendre :

Ce qui fut faict. Hector adonc leva

Ung grand Caillou de terre, & puis ſ’en va

Contre Teucer, criant de fiere voix.

    Teucer tiroit encores du Carquoys

Ung de ſes traictz, ſe dreſſoit & guindoit,

Pour mettre à mort celuy, qu’il pretendoit.

Mais ſur l’inſtant, Hector tel coup luy donne,

Que hors des mains Arc & Traict : abandonne :

Et tumbe à terre.Il en fut bien contrainct :

Car le dur coup, duquel l’avoit attainct,

Eſtoit mortel, au hault de la Poictrine :

Et ſur le Col, ou la Teſte ſ’encline.

    Son Frere Ajax le voyant abbatu,

Accourt ſoubdain en Prince de vertu,

Pour le defendre : & ſi tres bien le coeuvre

De ſon Eſcu, qu’il le ſaulve & recouvre.

Mecciteus & Alaſtor Amys

Du povure Archer l’ont entre les Bras mis :

Et quant & quant l’ont aux Vaiſſeaulx porté,

Demy paſmé, pour le mal ſupporté.

    Les fortz Troiens ſecouruz du grand Dieu,

Encor ung coup feirent quicter le lieu

À tous les Grecs & gaigner le Foſſé

Et le Rempart, qu’ilz avoient delaiſſé.

    Hector eſtoit entre tous le Premier,

Tout Acharné, comme eſt ung gros Limier :

Qui ſe fiant de ſa Force & Viteſſe,

Suyt le Lion par la Foreſt eſpeſſe,

Ou le Sanglier. Et ſi laBeſte tourne

Pour ſe venger, le Limier ſe deſtourne

Legierement : ores mordant la Cuyſſe,

Ou bien les Flanz, tant qu’il fault que periſſe.

Ne plus ne moins Hector donnoit la Chaſſe

Aux Ennemys, habandonnans la Place.

Et ſi quelquun derriere demouroit,

De ſon Eſpée ou ſa Lance mouroit.

    Eſtans les Grecs Deſconfitz & Chaſſez,

Oultre leurs Fortz & Trenchées paſſez :

Non ſans grand Perte & groſſe Effuſion

De Sang humain, pour la confuſion.

Finablement prés de leurs Nefz ſ’arreſtent :

Et la l’ung l’aultre enhortent, admoneſtent

De tenir bon : dreſſans aux Dieux prieres,

Pour leur ſalut, en diverſes manieres.

    Et ce pendant Hector eſpoventable,

Ayant les Yeulx comme Mars redoubtable.

Et tant ardentz que ceulx de la Gorgone

S’approche d’eulx, & plus fort les eſtonne :

Tournant deca, dela pour adviſer

Comme il pourroit les deſfaire & briſer.

    Adonc Iuno indignée & dolente

De voir ſouffrir peine ſi violente

Aux fortz Gregeois, & craignant qu’il ſurvint

Encores pis à Minerve ſen vint,

En luy diſant. Ô Fille treſamée

De Iuppiter, peulx tu veoir ceſte Armée

En tel danger, ſans avoir quelque Soing

De leur ayder à l’extreme Beſoing ?

Souffrirons nous qu’ilz meurent de la main

D’ung ſeul Hector Meurtrier tant inhumain ?

Ne voys tu pas à quoy ilz ſont reduictz ?

Ne voys tu pas comme il les a conduictz

Iuſqu’en leurs Nefz : & qu’il ne ceſſera,

Iuſques à tant que tous mortz les aura ?

    Alors Pallas reſpondit ie voy bien

Ce que tu dis, ie n’en ignore rien.

Mais ceſt Hector Hardy & Orgueilleux :

Duquel on voit les Faictz tant merveilleux

Et dont les Grecs ſont ſi ſort eſbahiz,

En brief mourra, dans ſon propre Pays.

Or de cuyder reſiſter au vouloir

De Iuppiter, on ſ’en pourroit douloir :

Ie le crains trop. Car ſa Faveur deſpite

Souventeſfois encontre moy ſ’irrite :

Diſſimulant par grande Ingratitude,

L’extreme Peine & la Solicitude

Que j’ay porté, pour Herculés ſaulver,

Lors qu’il alloit ſes Forces eſprouver,

Obeyſſant au Roy Euryſtheus.

Certainement les travaux qu’il a euz

L’euſlent miné : mais quand il ſ’eſcrioit

Ou qu’il plouroit, Iuppiter me prioit

D’aller à luy : Ce que j’ay ſouvent faict,

Le preſervant d’eſtre pris ou deſfaict.

Si ie me fuſſe en ce Temps adviſée,

Comme ie ſuis ores de luy priſée :

Son Herculés euſt eſté retenu

Au fond d’Enfer : onc n’en fut revenu.

Il n’euſt la faict l’honorable Conqueſte

De Cerberus, le Chien à triple Teſte.

One n’euſt paſſe l’Infernale Riviere

Nommée Styx, demeuré fuſt derriere.

Et maintenant pour digne Reſcompenſe

De mon Merite, il me hayt, il me tence,

Pour condeſcendre aux legiers Appetiz,

Et vain deſir de la blanche Thetis :

Qui l’a flatté en Langaige humble & doulx

Touchant ſa Barbe, & baiſant ſes Genoulx :

Pour honorer Achillés ſon cher Filz,

Et les Grecs rendre Oultrez & Deſconfictz.

Si ſcay ie bien qu’en brief le Temps viendra,

Que Iuppiter pour Fille me tiendra :

Et que d’autant que de luy ſuis blaſmée,

D’autant ou plus j’en ſeray bien aymée.

Or ſi tu veulx Iuno, va t’en appreſté

Le Chariot, ie ſeray bien toſt preſte.

Ie m’en iray en ſa Maiſon pour prendre

Son beau Harnoyſ : ie veulx bien faire entendre

À ce Troien, quel Dueil ou quelle Ioye

Il doibt avoir, mais qu’en Guerre me voye

Encontre luy. Et que j’ay la Puiſſance

De luy porter Encombrier & Nuyſance :

Faiſant les ſiens aux gros Maſtins manger,

Et aux Oyſeaux, pour de luy me venger.

    Ainſi parla Minerve Furieuſe,

Sur quoy Iuno ſe monſtra Curieuſe

De mectre en poinct : ſes Chevaulx fourniſſant

Tout l’Equipaige, au Char reſplendiſſant.

    Pallas laiſſa ſon Veſtement gentil,

Qu’elle avoit faict d’ouuraige tres ſubtil.

Et puis ſ’arma de la Cuyraſſe forte,

Que Iuppiter en la Bataille porte.

Eſtant armée au Chariot monta

Legierement, & la Lance porta :

Avec laqueIle elle abbat & : repoulſe

Les Demydieux, quand elle ſe courrouſſe.

    En ung moment aux Portes ſe rendirent

Du Ciel haultain, qui de leur gré ſ’ouvrirent.

    Les Heures ont touſjours la charge entiere

De ces beaulx Huys, chaſcune en eſt Portiere :

Ayans auſſy la ſuperintendence

De tous les Cieulx, avecques la Regence

Du clair Olympe, & d’amener les Nues

Ou ramener quand elle ſont venues.

    Quand Iuppiter qui regardoit en L’air,

Veid les Chevaulx des Deeſſes voler,

Fut courrouſſé grieſvement encontre elles.

Si leur envoye Iris aux promptes Aeſles,

En luy diſant lris ma Meſſagiere

Aux Aelles d’Or, va, monſtre toy legiere.

Va rencontrer ces deux, & leur commande.

De reculer, diſant que ie leur mande

Quelles ne ſoient de ſi ſelon Courage,

De ſe monſtrer ores à mon Viſaige :

Et que par trop ſont de Folie eſpriſes,

De cuyder rompre ainſi mes entrepriſes.

Dy leur encor, que à faulte d’obeyr,

Trop ſ’en pourroient douloir & eſbahyr.

Car leur beau Char ſoubdain ſera froiſſé,

Et le Iarret aux Chevaulx deſpecé,

Si tumberont bas en terre ennuyées

De mon Eſcler rudement fouldroyéeſ :

Dont ne pourront (tant ſaichent bien ouvrer)

La gueriſon de dix ans recouvrer.

Et lors Pallas ſcaura quel Vitupere

Elle merite, en combatant ſon Pere

Quant à Iuno, certes ie ne l’accuſe

Pas grandement, encores ie l’excuſe :

La cognoſſant trop duycte & Conſtumiere

À me faſcher, c’eſt touſjours la premiere.

    Adonc Iris partit du Mont Idée,

Pour accomplir la charge commandée

Et les trouva, non pas loing des yſſues

Du Ciel haultain : Les ayant apperceues

Les arreſta, en diſant. Ô volages,

Quelle Folie a ſurpris voz Courages,

Voulans ayder aux Grecs, pour irriter

Encontre vous l’ire de Iuppiter ?

Il vous defend de paſſer plus avant

Si ne voulez, auſſy toſt que le vent,

Veoir le beau Char deſpecé, corrumpu,

Et le larret de voz Chevaulx rompu.

Et puis tumber en bas parmy la pouldre,

Du coup ſoubdain de ſon Eſclair & Fouldre,

Dont ne pourrez (cheutes & proſternées)

Trouver Santé de dix longues années.

Afin que toy Pallas puiſſes cognoiſtre,

Que Iuppiter eſt ton Pere & ton Maiſtre.

Quant a Iuno, il la ſcait ſi Felonne

De longue main, que point ne l’en eſtonne :

Bien cognoiſſant qu’elle prend grand plaiſir

De contredire à ſon vueil & deſir.

Or donc Pallas ne ſoys opiniaſtre

Comme une Chienne, à le cuyder combatre.

Et garde toy de ta Lance dreſſer

Contre ſon vueil, de peur de l’offenſer.

    Apres ces motz Iris toſt ſ’en vola,

Surquoy Iuno à Minerve parla.

Ô quel regrect : de ne povoir parfaire

Ce que l’on a delibere de faire.

Puis qu’ainſi eſt que Iuppiter reſiſte,

Ie ne ſuis pas d’advis que l’on inſiſte

Encontre luy, ne qu’on ſe mecte en peine

Pour les mortelz : Sa puſſiance haultaine

Diſpoſera ſelon ſa volunté,

De leur Malheur, ou leur Proſperité.

Diſant cela, elle tourne la Bride

À ſa chevaulx, & droict au Ciel les guyde.

Les Heures lors les beaulx Courſiers deſlient

Du Chariot, & aux Creſches les lient.

Conſequemment ont le grand Char poſé

En certain lieu, pour cela diſpoſé.

    Au prés des Dieux ſur deux Chaires dorées

Se vont aſſeoir les Dames honorées,

Pleines de dueil, n’ayant exécuté

Leur beau Project. Iuppiter eſt monté.

Pareillement au Ciel, ou fut receu

En grand honeur, lors qu’il loht apperceu.

    Le Dieu Marin deſlia promptemernt

Ses beaux Chevaulx, ſerrant diligemment

Tout l’ateſlaige & la grand Chaire appreſte

À Iuppiter, qui fut la toute preſte :

Ou il ſ’aſſiſt, comme bon luy ſembla

Mais ſ’aſſeant tout l’Olympe branſla.

    Pallas Iuno eſtoient au prés du Dieu

Des deux coſtez, il faiſoit le mylieu.

Qui touteſfois entre elles ne parloient)

Encores moins à luy parler vouloient

Mais Iuppiter cognoiſſant leur penſée,

De grand Colere amerement bleſſée,

Leur dict ainſi. Déeſſes d’ou procede

Voſtre courroux qui tous aultres excede ?

D’ou vient cela qu’ainſi nuyre voulez

À ces Troiens, & point ne vous ſaoulez

Si ne voyez toſt leur deſtruction,

Contrediſant à mon intention ?

Scavez vous pas que moy ayant la Force

Telle que j’ay, vous ne pourriez par Force,

Ne tous les Dieux & Deeſſes enſemble,

Me deſtourner de ce que bon me ſemble ?

S’il eſt ainſi que ma ſimple Menace

Vous faict : trembler, & paſlir voſtre Face,

Que feriez vous en Bataille terrible,

Sentant l’Effort de ma Force invincible ?

    Eſcoutez donc, & ne ſoit ſi hardye

Nulle de vous, qu’en rien me contredie

S’il vous advient par vouloir indiſcret,

De repugner à mon Divin Decret,

Vous ſentirez cheoir ſur voſtre perſone

Le Fouldre ardent, duquel l’Eſclere & Tonne.

Dont vous fauldra en terre ſejourner,

N’ayant moyen d’icy plus retourner;

Voz Chariotz & Chevaulx ateſlez,

Eſtant du coup deſpecez & bruſlez.

    Celle oraiſon feit Minerve frémir

De chaulde Rage, & dans le cueur gémir :

Qui touteſfois porta tres bien ſon Ire

Sans faire bruyt. Mais lors Iuno va dire.

Ô Dieu faſcheux Iuppiter, quel propos

Eſt ceiluy cy ? Nous ſommes tes Suppoſtz,

On le ſcait bienrta Force ne receoit

Comparaiſon de puiſſance qui ſoit.

Or ſi l’on veult les Gregeois conſoler,

Cela n’eſt pas contre toy rebeller.

C eil la pitié qui à ce nous invite,

Voyans perir ſi puiſſant Exercite.

    Lors Iuppiter luy reſpond. Ne te trouble

De leur grand Perte, ilz en auront au double

Demain matin, ie veulx eſtre moyen

Au fort Hector Chef du Peuple Troien,

De les occire, & jamais ne ceſſer

De les abbatre & de les repouſſer,

Iuſques à tant que tous ſoient retirez

Prés des Vaiſſeaulx demy deſeſperez,

Combatans la, enfermez & reclus,

Tout à l’entour du Corps de Patroclus

Qu’il occira, dont Achillés attainct

D’aigre douleur, voyant l’Amy extainct :

S’enflammera & viendra à grand cours

Pour le venger, & leur donner ſecours.

C’eſt mon vouloir, Et puis la Deſtinée

Eſt en ce poinct : aux Gregeois aſſignée.

Quant eſt de toy Iuno, le Deſplaiſir

Que tu en as, me vient à grand plaiſir.

Va hardiment ſi tu veulx, à grand erre

Dedans la Mer, ou au bout de la Terre.

Va t’en trouver Iapetus & Saturne,

Qui ont touſjours l’obſcurité Nocturne,

Sans veoir Souleil, & ſans ſe delecter

D’ouyr les Ventz : va hardiment trotter

Ou tu vouldras, point ne ſeras ſuyuie

Par mon Adveu.Ie n’ay aulcune envie

De ton Amour : car ton cueur Féminin

Eſt tout remply de Malice & Venin.

Ainſi parla : dont la grande Déeſſe

Se tint tout doulx, redoubtant ſa Rudeſſe.

    Ce temps pendant ſe cacha la Lumiere

Du clair Souleil, comme elle eſt couſtumiere

Dans l’Ocean, & la Nuict Brune & Sombre,

Couvrit aprés la Terre de ſon Vmbre.

Nuict aux Gregeois agreable & duyſante,

Mais aux Troiens faſcheuſe & deſplaiſante.

    Le preux Hector ſes Souldards retira

Loing des Vaiſſeaulx, & : aux Champs ſe tira

Bien prés du Fleuve, ou l’horrible Deſfaicte.

Avoit eſté en ce meſme jour faicte.

Arrivez la, des Chevaulx deſcendirent,

Et au Conſeil promptement ſe rendirent.

Auſquelz Hector tenant en ſa Main dextre

Sa forte Lance, ainſi qu’ung Royal Sceptre.

Lance qui fut bien ſerrée & dorée,

D’unze grandz Piedz de longueur meſuré

Il dictz ainſi. Oyez vaillans Troiens,

Tant eſtrangiers Souldards, que Citoyens,

I’avoys conceu a ce jour Eſperance,

(Et qui plus eſt, j’en avoys aſſeurance)

D’occire tout, & les Nefz ruiner,

Et puis vainqueur à Troie retourner :

Mais mon Entente à eſté empeſchée,

Puis que la Nuict ſ’eſt ſi toſt approchée.

Parquoy ie ſuis d’advis de ne bouger

Encor d’icy : ains Camper & Loger

Tout a noſtre aiſe. Or fus donc que l’on face

Ce qu’il convient, chaſcun preigne ſa Place.

Que les Chevaulx ſoient nourriz & penſez

D’Orge & d’Aveine : Et quant & quant penſez

Les ungs d’aller à Troie, pour avoir

Beufz & Moutons : Les aultres de pourveoir

Au Pain & Vin. Encor fault qu’une Troupe

Avant ſouper grand foiſon de Boys coupe,

Pour faire Feux, qui puiſſent allumer

Toute la Nuict. Ces Grecs pourraient par Mer

Secretement ſ’en fouyr. Et ie veulx

S’il eſt ainſi, ſoubdain courir ſur eulx :

Et les preſſer ſi rudement ſur l’heure,

Qu’en ſ’en fuyant quelque nombre en demeure.

À celle fin que leur Deſconfiture

Serve d’Exemple à toute Creature.

Et qu’on ne ſoit ſi hardy d’entreprendre

Contre Troiens, qui ſe ſcavent defendre.

Et ce pendant que ſommes icy loing

De la Cité, il fault avoir le ſoing

De la garder. Les Heraulx donc iront

Soubdain à Troie, & au Peuple diront :

Comme il convient que toute la jeuneſſe

Et les Vieillardz, prenent la charge expreſſe

De la Çitée mectans en aguet

Sur la Muraille, & la faire bon Guet.

D’aultre coſté, que les Troienes Dames

Facent du Feu, à bien luyſantes Flammes,

Pour adviſer que de Nuict en Surſault

Les Ennemys ne les prenent d’Aſſault.

Sus donc qu’on face ainſi que ie propoſe,

Et que chaſcun a l’oeuvre & diſpoſe.

Demain matin fauldra Parlamenter

De ce qu’il reſte, & puis l’executer,

I’eſpere bien, Ô valeureux Genſdarmes

Que nous mectrons demain fin aux Alarmes.

Et que ces Chiens de Furie agitez,

Seront Occiz, Noyez, Precipitez,

Par noſtre Effort. Or prenons le ſejour

Pour ceſte Nuict, juſque à l’Aube du jour,

Qu’on ſe mectra en Bataille rengée,

Pour debeller ceſte Gent enragée

Ie verray lors comme ſ’avancera

Diomedés, & ſ’il me chaſſera

De ſes Vaiſſeaulx, ou ſi ie ſouilleray

En luy mes Dardz, & le deſpouilleray.

Il pourra veoir ſ’il a Force ou Vaillance,

Pour ſoubſtenir ung ſeul coup de ma Lance.

Certainement ie croy qu’il y mourra,

Et mainct Amy qui lors le ſecourra,

Et ſ’il advient que j’en aye Victoire,

Ie me prepare une eternelle Gloire

Ie me prepare ung Honeur immortel :

Et ne croy point qu’on ne dreſſe ung Autel

À mon Renom, teſmoignant ma Proueſſe

Comme à Phebus & Pallas la Déeſſe.

    Ainſi parla, dont Troyens qui l’ouyrent,

Incontinent à ſonVueil obryrent.

Leurs bons Chevaulx laſſez ont deſliez,

Et aux grandz Chars commodement liez

De la Cite ont ſoubdain apporté

Pain, Vin, Moutons, & Beufz à grand planté.

Puis ont dreſſé au mylieu de l’Armée

Mille grandz Feux dont la Flamme & Fumée

Montoit aux Cieulx, pouſſée par le vent.

Et tout ainſi que l’on peult voir ſouvent,

En Temps ſerain, prés de la Lune claire,

Les Corps du Ciel (car une chaſcun eſclaire

Tant que les Montz les Vallées Plaines

Sont de Lumiere ainſi qu’en beau jour pleines)

Dont le Berger qui ſa Veue en hault jecte,

Se reſjouyt en ſa baſſe Logette.

Semblablement de la Troiene Ville,

En celle Nuict : tant Seraine & Tranquille,

Les habitans voyoient & choyſiſſoient

Le Campa aſſiz, & ſ’en reſjouyſſoient.

    Doncques ayans donné la Nourriture

À leurs Chevaulx d’Aveine & de Paſture,

Se vont aſſeoir (pour mieulx prendre leurs Sommes)

Prés chaſcun Feu, juſtement Cinquante Hommes

Avec Eſpoir que l’Aube retournée,

Seroit des Grecs la derniere journée.

Share on Twitter Share on Facebook