LE NEVFIESME LIVRE DE L’ILIADE D’HOMERE.

LES FORTS Troiens eſtoient ainſi rengez,

Faiſans le Guet : mais les Grecs affligez

D’auoir perdu leur Gent & la Campaigne

Eſtoient dolents. Car la Fuyte Compaigne

De froide Craincte, iceulx avoit menez

Honteuſement juſques dedans leurs Nefz.

    Et tout ainſi que l’on peult veoir ſouvent

La Mer Pontique agitée du Vent

Dict Boreas, ou Zephyrus, ſortans

Des Montz de Thrace, & les Flotz agitans

Si fierement, qu’ilz ſont que la noire Vnde

Eſt eſlevée hors de la Mer profonde.

Semblablement ſe trouvoient les Eſpritz

Des Princes Grecs, tous eſmeuz & ſurpris.

Entre leſquelz, Agamemnon eſtoit

Celuy qui plus au Cueur ſe tormentoit.

    Si commanda aux Heraulx de prier

Chaſcun des grandz (doulcement ſans crier)

De ſe vouloir aſſembler en ſa Tente,

Pour leur monſtrer clerement ſon Entente.

Ce qui fut faict : Tous les Roys ſ’y rendirent

Auſſy ſoubdain que ſon Vueil entendirent.

    Eſtans aſſis ſelon leur Ordre & Place,

Agamemnon (monſtrant dolente Face)

Se meit debout, jectant la Larme tendre,

Que l’on voyoit par ſa joue deſcendre,

Ne plus ne moins que l’Eau d’une Fonteine

Fortant d’ung Roch, coule parmy la Plaine.

Si dict ainſi ſouſpirant grieſuement.

Trop m’a traicté Iuppiter rudement

(Ô Princes Grecs) & encores ne ceſſe

De me Plonger en plus grande Triſteſſe.

Il me promiſt jadis que ie mectroye

En Feu & Sang, ceſte Ville de Troie.

Et maintenant (dont trop ie m’eſmerveille)

Tout le Rebours me commande & conſeille,

Ceſt aſſavoir qu’ores ie me deſtourne

De l’Entrepriſe, & qu’en Grece retourne :

Ayant perdu l’Honeur, la Renommée,

Et la pluſpart de ma puiſſante Armée.

Ainſi le veult ce grand Dieu, qui abaiſſe

Quand il luy plaiſt toute Force & Haulteſſe.

Qui les Citez plus grandes extermine,

Rez Pied, rez Terre, & mect tout en Ruine.

Puis qu’ainſi va, ie ſuis d’advis qu’on ſuyve

Sa Volutée : & que plus on n’eſtrive.

Allons nous en, auſſy bien noſtre Peine

Seroit icy trop inutile & vaine.

    Tout le Conſeil ayant leur Chef ouy,

Fut ung long temps Muet & Eſbahy :

Iuſques à tant que le Preux & Diſpos

Diomedés entama le Propos.

Filz d’Atreus (dict il) ton Ignorance

Me perſuade une grande Aſſeurance

Preſentement, ayant ouy ton dire,

De te Reſpondre, & de te Contredire.

Doncques ne ſoys contre moy irrité,

Ne contre aulcun : puis que la Liberté

Et juſte Loy du Conſeil eſt qu’on peult

Mectre en avant la Sentence qu’on veult.

Ie te ſupply, dy moy ores ſans Faincte,

Quand as tu veu ce Camp ſi plein de Craincte,

Tant mal expert aux Aſſaultz & Alarmes,

Qu’il leur convienne ainſi laiſſer les Armes ?

As tu ſi mal leur Cueur conſideré ?

As tu ſi peu de leur Force eſperé.

Qu’il ſoit beſoing à ta ſimple Requeſte,

Habandonner la Troiene Conqueſte,

Certainement l’Injure eſt par trop grande,

De Meſpriſer ſi valeureuſe Bande.

Mais ce n’eſt rien, tu en es Couſtumier,

I’en ay ſouffert moy meſmes le Premier,

Ieunes & Vieulx de ce Camp ſcavent comme

Tu m’as tenu aultreſfois pour ung Homme

Laſche & Craintif, ſachant trop mieulx cauſer,

Qu’aux grandz Dangers de Guerre m’expoſer.

Et puis qu’il vient à Propos de reſpondre,

Ie te diray ces motz, pour te confondre.

Les Dieux haultains t’ont departy l’Honeur

De porter Sceptre, & d’eſtre Gouverneur

De ce grand Oſt : Mais de Force & Courage

Et bon Conſeil, qui eſt grand Avantage

En faict de Guerre, ilz t’ont voulu priver,

Et ne pourrais à ce But arriver.

Garde toy donc deſormais d’entreprendre

D’injurier les Grecs, ou les reprendre.

Et ſi tu as Fantaſie ou Soulcy

En ton Eſprit, de t’en fouyr d’icy :

Monte ſur Mer, vat’en, ton Equipage

Eſt deſja preſt ſur le Bord du Rivage.

Qui en brief temps, ſans nul Adverſité,

Te conduyra juſques en ta Cité.

Les aultres Grecs icy feront ſejour,

En attendant le tant deſiré jour,

Qu’on prendra Troie. Et ſ’ilz ont le vouloir

De ſ’en aller, mectans à nonchaloir

La belle Empriſe, Eſthenclus ſera

Avecques moy, qui ne ſe laſſera

De demeurer, juſques à tant qu’on voye

La fin du tout. Bien certains que la voye

Qu’avons tenue, arrivans en ces lieux,

Fut enſeignée & monſtrée des Dieux.

    Ceſt Oraiſon du Preux Filz de Tidée,

Fut grandement des Grecs recommandée :

Louans tout hault ſon Advis ſingulier.

Sur quoy Neſtor le prudent Chevalier

Se meit debout, & à luy ſ’adreſſant,

Reſpond ainſi. Certes tu es puiſſant

Et fort en Guerre, Et pour donner Conſeil :

En verité tu n’as point de pareil

Entre les Roys qui ſont de meſmes eage.

Et ne croy point qu’il y ait perſonaige

En tout le Camp, qui dommageable treuve

Ce tien Advis, voire qui ne l’appreuve.

Mais tu n’es pas venu juſques au bout

De ce qu’il fault, tu n’as pas dict le tout

Ie qui ſuis Vieulx, & tel que ie pourrois

Eſtre ton Pere, & de tous ces bons Roys,

Acheueray. Et quand on m’entendra,

Ie penſe bien que nul ne contendra,

Pour reprouver mon Conſeil proufitable.

Car par trop eſt Cruel & Deteſtable,

Tres malheureux, & de la vie indigne,

L’homme qui ayme une Guerre inteſtine.

Ce qu’il fault faire à preſent, veu la Nuict,

Eſt de Souper : & quant & quant ſans Bruict :

Aſſeoir le Guet : auquel fauldra commectre

De jeunes Gens, les diſpoſer & mectre

Entre le Mur & Foſſé, pour entendre

Si les Troiens taſcheroient nous ſurprendre.

Quant eſt de toy Agamemnon, tu doibs

(Comme il me ſemble) aſſembler tous ces Roys

À ton Souper. Tu n’as aulcun default

Pour les traicter, de tout cela qu’il fault.

Et meſmement ta Tente eſt toute pleine

De vin ſouef que de Thrace on t’ameine.

Lors en Soupant ſ’offrira tel Diſcours,

Qui ſervira de Conſeil & Secours.

Certainement l’on en a grand beſoing,

Car l’Ennemy n’eſt de nous gueres loing.

Las qui eſt cil qui ſe peut eliouyr,

Voyant leurs Feux, & les povant ouyr ?

Voicy la Nuict laquelle ſi nous ſommes

Gens de bon Sens, & bien adviſez Hommes,

Nous ſaulvera. Mais eſtans endormiz,

Nous tumberons es Mains des Ennemiz.

    Ainſi parla, Et l’ayant eſcouté,

Le tout fut faict : ſelon ſa Volunté.

Incontinent Sept Princes entreprindrent

D’aller au Guet, & Sept Centz Souldards prindrent

Avecques eux, l’ung fut Thraſymedés

Filz de Neflor aulcre Lycomedés

Filz de Creon, Aſcalaphus le Tiers,

Merionés feit le Quart voluntierſ :

Aphareus, IalmenuS Deiphyre,

Trop mal ayſez à vaincre & deſconfire,

Feirent les Sept. Leſquelz, & leurs Genſdarmes

Tres bien muniz de leurs Lances & Armes,

Entre le Mur & le Foſſſe meirent

Toute la Nuict, & point ne ſ’endormirent :

Faiſants du Feu, mangeans, ſe promenans,

Ayans l’Oreille & l’Oeil aux Survenans.

    D’aultre Coſté, Agamemnon mena

Auecques ſoy les Roys, & leur donna

Bien à Souper. Leſquelz ſi bien mangerent

Que Fain & Soif de leurs Corps eſtrangerent.

Apres ſouper, Neſtor (dont la Prudence

Et bon Conſeil eſtoient de l’aſſiſtence

Tres bien cogneuz) ſa Parole adreſſa

Au Chef de Guerre, & ainſi commenca.

    Prince d’honeur, mon parler ne ſera

Que de toy ſeul : par toy commencera,

Et prendra fin. Puis qu’il eſt ordonné

Que par toy ſoit ce Peuple gouverné.

Puis que les Dieux t’ont donné le Pouvoir

Sur tous les Grecs, on doibt appercevoir

Plus qu’en aultruy, de Conſeil & de Force

En ton Eſprit lequel fault que ſ’eſforce

Inceſſamment d’Ouyr, de Conſulter,

Et quelquefois de bien Executer.

Et meſmement lors que l’on t’admoneſte

De quelque faict, proufitable & honeſte.

En ce faiſant, rien ne ſera trouvé

Sortant de toy, qui ne ſoit appreuvé.

Cela me meut ores de t’adviſer

D’ung bon Conſeil, qu’il fault auctroriſer

Et enfuyuir, ſans point me contredire :

Comme tu feis, alors que par grand Ire

Contre Achillés ſ’eſmeuz & courrouſſas.

Et qui pis eſt, ſi tref fort l’offenſas,

Que Briſeis, qu’on luy avoit donnée,

Fut de ſa Tente en tes Vaiſſeaux menée.

L’injure fut trop grande d’irriter

Tel Perſonage, ayme de Iuppiter,

Et de grandz Dieux. Parquoy fault que l’on penſe,

De reparer (ſi lon peut) ceſte Offence.

Et l’appaiſer par beaulx Dons precieux :

Ou par moyen de parler Gracieux.

    Agamemnon ſoubdain luy reſpondit.

Digne Vieillard, tout ce que tu as dict,

Eſt trop certain, la Faulte dont m’accuſes,

Fut par moy faicte il n’y a point d’excuſes.

Ie l’offencay, & voy bien que Ioutrage

À faict ſouffrir aux Grecs ce grand Dommage.

Iuppiter l’ayme, & l’homme aymé d’ung Dieu,

Tient en ung Camp de beaucoup d’Hommes lieu.

Et vault trop mieulx, qu’une Troupe effrénée,

Qui ne peult eſtre à peine gouvernée.

Mais tout ainſi que ſeul ie l’offenſay

Injuſtement, ie veulx faire l’Eſſay

De l’appaiſer, luy donnant en Guerdon,

De mes Threſors maint beau & riche Don;

Leſquelz ie vois preſentement nommer,

Si en pourrez la Valeur eſtimer.

Premierement ſept Trepiers excellentz,

Qui n’ont jamais touché Feu : dix Talentz

D’Or pur & fin : Vingt Chaulderons bruniz

D’Arain luyſant : Douze Courſiers garniz

De beaulx Harnois, qui ont par leur Viteſſe

Pluſieurs grandz Pris raporté de la Grece.

Et ne devroit ſe nommer indigent,

C’il qui ſeroit pourveu de tant d’Argent,

Et de Threſor, comme par leurs travaulx

M’ont faict gaigner aultrefois ces Chevaulx.

Oultre cela ſept Femmes, qui de Grace

Ont ſurpaſſé la Feminine Race :

Sachans ouvrer de Broderie exquiſe :

Que j’euz pour moy, quand Leſbos fut conquiſe

Par Achillés.Neammoins avec elles

Ie luy rendray la Fleur des Damoiſelles,

Sa Briſeis : ſi Pure & peu Souillée,

Comme le jour qu’elle me fut baillée,

En luy juant mon Sceptre & Royaulté,

Que ie n’ay eu aulcune Privaulté

Avecques elle : Oncques ne ſ’eſt Couchée

Dedans mon Lict, onc ne l’ay approchée

Pour y toucher : comme les Hommes peuvent,

Quand ſeul à ſeul avec Femmes ſe treuvent.

Voyla le Don & le Riche Preſent,

Qu’il recevra de moy, pour le preſent.

Et ſi les Dieux favoriſent l’Empriſe

La commencée, & que Troie ſoit priſe :

Ie me conſens, que ſur le Sac il charge

D’Or & d’Arain, une Nef grande & large.

Et qu’il choyſiſſe entre les Citoyenes,

Iuſques à Vingt des plus belles Troienes

Hors miſe Heleine. Apres eſtant venu

En mon Pays, de moy ſera tenu

Comme Oreſtés mon Enfant tres aymé.

Et ſ’il luy plaiſt à Mariage entendre,

Ie le prendray voluntiers pour mon Gendre,

En luy donnant à choyſir de mes Filles,

I’en nourrys trois pudiques & Gentilles,

Chryſotemis la Blonde, & la Prudente

Laodicé, avec la Diligente

Iphianaſia. Or qu’il en prenne l’une,

Sans aſſigner pour le Dot, choſe aulcune.

Car de ma Part ſi bien Douer l’eſpere,

Qu’on n’aura point encores veu qu’ung Pere

    (Tant fuſt honeſte & Royalle Party)

Ayt tel Douaire à Fille departy.

Ie bailleray Sept Citez bien fermées,

Pleines de Gens, & Riches renommées :

Toutes joignans prés de la Mer de Pyle.

Ceſt aſſavoir Enopa, Cardamyle,

Pheres divine, Hira environnée

De beaulx Fruitiers, Pedaſos en Vinée

Tres planteureuſe, Epea la flourie,

Et Anthia qui eſt pour la Prairie

Recommandée. En ces Sept bonnes Villes

Il trouvera les Gens ſi tres civiles,

Que de leurs biens touſjours luy donneront,

Et comme ung Dieu preſque l’honoreront.

Voulans leurs Corps & Richeſſes ſoubzmectre

À la Iuſtice, & povoir de ſon Sceptre.

Ce ſont les dons, ce ſera le Bienfaict,

Qu’il recevra ſi ceſt Accord ſe faict.

Que plaiſe aux Dieux (Ô Vaillant Achillés)

Que nos Debatz ſoient tous annichilez.

Ainſi te ſoit Pluton favoriſant,

Que ceſte Paix tu ne ſoys refuſant.

Ainſi Pluton m’octroye tant de Grace,

Que tout ainſi qu’en biens ie te ſurpaſſe,

Et en long Eage, il face de maniere,

Que par toy ſoit receue ma Priere.

    Lors par Neſtor, ayant bien entendu

Agamemnon, fut ainſi reſpondu.

Filz d’Atreus, tous ces Dons racontez,

Par Achillés devront eſtre accepte

Car ilz ſont grandz. Parquoy fault qu’on pourvoye

De mectre toſt Ambaſſadeurs en Voye,

Par devers luy, j’en ſcauray bien choyſir

Trois ſuffiſans filz y prenent plaiſir.

Le bon Phénix jadis ſon Précepteur

Pour le Premier, qui ſera conducteur

De l’Ambaſſade : Ajax pour le Second,

Et pour le Tiers Vlyſſés le Facond.

Leſquelz ſeront ſuyuiz de deux Heraulx,

Eurybatés & Odius feaulx.

Or ce pendant pour le Faict approuver,

Il nous convient à tous les mains laver.

Apportez l’Eau Heraulx, & vous Gregeois

(Chaſcun à part) ſuppliez ceſte fois

À Iuppiter, que la Légation

Sorte l’Effect de noſtre Intention.

    Les deux Heraulx incontinent verſerent

De l’Eau es mains des Princes, qui dreſſerent

Leurs Oraiſons aux Dieux : & cela faict

Beurentdu Vin. Puis ayans ſatiſfaict

À l’Appetit, les Ambaſſadeurs ſortent.

Auſquelz Neſtor prie encor qu’ilz enhortent

Si dextrement Acliillés, qu’ilz obtiennent

Bonne Reſponce, avant qu’ilz ſ’enviennent.

Meſme Vlyſſés par ſon prudent Langage,

Face ſi bien qu’il vainque ſon Courage.

    Ainſi ſen vont les Princes députez

    En grand Deſir d’eſtre bien eſcoutez :

Prians chaſcun au Dieu de la Marine,

Que la Colere ainſi haulte & maligne

Du Vaillant Grec, ſoit doulce & abaiſſée,

Pour achever leur Charge commencée.

    Or ſont venuz droict aux Vaiſſeaux & Tentes

Des Mirmydons, tres belles & patentes.

Et ont trouvé Achillés qui chantoit

Sur la Viole, & ſon cueur delectoit

Par la Muſique en diſant Vers & Hymnefs

Des Dieux haultains, & des Mortelz inſigne.

    Ceſte Viole eſtoit la nompareille

En ſa Doulceur, tant belle que merveille,

Paincte tres bien : aiant ſon Chevalet

De fin Argent, gentil & propelet.

Laquelle fut par Achillés gaignée,

Au temps du Sac de Thebes ruynée.

Thebes j’entens du Roy Aetion,

Qui fut par luy miſe à Deſtruction.

Or chantoit il, n’ayant pour Compaignie

Que Patroclus, eſcoutant l’Armonie.

    Quand Achillés veid ces Princes venuz,

Leſquelz avoit de longue main tenuz

Ses bons Amys, il ne voulut faillir

De ſe lever, & de les recueillir,

S’eſmerveillant. Patroclus ſe leva

Pareillement recevoir les va.

Lors Achillés leur dict : Bien venuz ſoyent

Les bons Amys & Seigneurs qui me voyent

Dedans mes Nefz, par bonne affection.

Certainement la Viſitation

M’eſt agréable. Et bien que mon Courroux

Soit aigre & grand ſi n’eſt il pas pour vous.

De tout mon Cueur vous ayme & aymeray :

Et touſjours bien de vous eſtimeray.

    Diſant ces motz (avecques Face humaine)

Les introduit, & puis aſſeoir les meine,

L’ung aprés l’aultre, en beaulx Sieges eſleuz,

Enuironnez de grans Tapis Veluz.

Et quant & quant, à Patroclus commande

De tirer hors ſa Coupe la plus grande :

Et du Vin pur, pour leur en preſenter.

Car ceulx qui ſont venuz me viſiter

(Ce diſoit il) ſont Vaillantz Chevalierſ :

Oultre cela mes Amys ſinguliers.

    Quand Patroclus le vouloir entendit

De ſon Amy, ſoubdain feit ce qu’il dict.

Et davantage il print ung Chaulderon,

Faiſant grand Feu deſſoubz & environ :

Dedans lequel il meit de bonne grace,

Tout le cymier d’une Chievre bien graſſe :

Et d’ung Mouton. Puis la belle Eſchinée

D’ung Pourceau tendre engreſſé de l’année.

    Autumedon & Achillés trencherent

Le Reſidu, & tres bien l’embrocherent :

Ce temps pendant que Patroclus allume

Ung Feu bien clair, & garde qu’il ne fume.

    Eſtant le Bois bien embraſé, & bon

À faire Roſt, il eſtend le Charbon

Tres proprement auquel furent couchez

Tous les Loppins qu’on avoit embrochez :

Iectant du Sel deſſus, pour leur donner

Gouil délicat, & les aſſaiſonner.

    Quand tout fut preſt, Patroclus prend du Pain

D’ung beau Pennier, qu’il portoit en ſa Main :

Et ſert à Table. Achillés faict ranger

Les Princes Grecs, les priant de Menger.

Et quant & quant il prend luy meſme Place

    Tout au deuant d’Vlyſſés Face à Face.

Encores plus à Patroclus commande,

De faire aux Dieux l’accouſtumée Offrande.

Ce qui fut faict. Si mangerent & beurent

Tout à loiſir, & ainſi qu’ilz voulurent.

    Aprés Soupper, le Chef de L’ambaſſade

Le bon Phenix, feit une baſſe Oeillade

À Vlyſſés. Lequel bien entendant

À quoy eſtoit ceſte Oeillade tendant,

Prend une Coupe, & Achillés invite

De boire à luy. Ô des Gregeois l’eſlite

(Dict il alors) Il convient, ce me ſemble,

Puis que l’on a repeu ſi bien enſemble,

Que par toy ſoit l’intencion cognue,

Qui à cauſé icy noſtre Venue.

Si tu nous as abondamment traictez,

Agamemnon nous avoit Bancquetez

Auparavant : mais ce bon Traictement,

Ne nous ſcauroit donner Contentement.

Le temps preſent aultre choſe demande,

Que de penſer ainſi à la Viande.

Tout noſtre Soing maintenant eſt de voir,

Comment pourrons à noſtre faict pourvoir.

Et d’inventer quelque prudent moyen,

De reſiſter à ce Peuple Troien :

En deſendant, que par eulx noz Vaiſſeaux

Ne ſoient bruſlez, & nous mortz à monceaux.

Ce qu’on ne peult nullement eviter,

S’il ne te plaiſt ta puiſſance exciter :

Et te veſtir de Force & bon Courage,

Pour nous, garder de ce cruel Dommage.

Les Ennemys ſe ſont deſja Campez

Aupres de nous. Ilz ont tous Oceupez

Les lieux prochains, faiſants Feux, menans Ioye :

Se promettans de ne rentrer en Troie,

Que tous les Grecs ne ſoient exterminez,

Et mis à mort, voire dedans les Nefz.

Encores plus, pour leur Audace accroiſtre,

On a peu voir en leur Camp apparoiſtre,

Le Fouldre ardant à la main dextre, Signe

Tres apparent de leur Victoire inſigne.

Le fort Hector enflé de la Victoire

Du jour paſſé, & du ſecours Notoire

De Iuppiter, ne deſire aultre choſe

Que de voir l’Aube : & alors il propoſe

(Tant il eſt Brave, Horrible, Furieux,

Et Meſpriſant les Hommes & les Dieux)

Bruſler les Nefz Deffaire noſtre Armée :

Et nous Meurtrir, Eſtouffans de Fumée.

Ceſte Menace à noz eſpritz comblez

De froide Craincte, & grandement troublez.

Doubtans qu’il ſoit ainſi predeſtiné,

Et que les Dieux ayent la determiné,

Que tout ceſt Oſt, aprés longue Demeure,

Soit mis en Route, & qu’en ce Pays meure.

Or ſi tu as différé juſque à ores

De nous aider (bien que trop tard encores)

Reprens ton cueur, & tes forces excite,

Pour garantir ce dolent Exercite.

Car aultrement aprés la Perte faicte,

Marry ſeras (voyant la grand Deſſaicte

De tes amys) de n’avoir eu le Soing

À les ſaulver, quand en eſtoit beſoing.

Il vauldroit mieulx, afin de n’encourir

En ceſt Erreur, de toſt les ſecourir.

Et prevenir l’irréparable perte,

Qui ne ſcatiroit eſtre plus recouuerte.

Certes (Amy) ie ſuis bien ſouvenant,

Que Peleus quant tu fus cy venant,

(Meu de pitié & chaulde affection

De Pere à Filz) te feit inſtruction

Bonne & honefte & dont pour le devoir,

    Ie te la veulx ores ramentevoir,

À celle fin que ton eſprit l’obſerve.

Filz (diſoit il) la Déeſſe Minerve,

Avec Iuno, te donneront aſſez

Cueur Magnanime, & Membres renforcez :

Mais il les fault embellir en partie,

D’honeſteté d’Amour & Modeſtie.

En te gardant de Simulation,

Et d’Appétit de Vindication.

Et ce faiſant des Ieunes & des Vieulx

Priſé ſeraſ : & t’en aimeront mieulx.

Ainſi te dict ainſi te commanda

Le bon Vieillard, quant icy te manda :

Mais tu n’es plus de ces beaulx dictz records.

Helas Amy, oublie ces Diſcords.

Revien en grace : avec ton Chef de guerre.

Qui delirant ta bonne Grace acquerre,

Te faict : par nous offrir & preſenter

Tous les beaulx Dons, que ie te vois compter.

En premier lieu ſept Trepiers neufz & ronds

Dix Talentz d’or, vingt luiſans Chaulderons.

Douze Courliers, qui ont louvent conquis

À bien courir, pluſieurs pris tres exquis.

Et qui aurait tant d’Or & de Richeſſe,

Que ces Chevaulx ont gaigné par Viteſſe

À leur Seigneur, il luy pourroit ſuffire,

Et ne devroit jamais poure ſe dire.

Avec cela, Sept Femmes nom pareilles

En Broderie, & Belles à merveilleſ :

Qu’il eut alors que Leſbos fut pillée,

Par ton effort. Et te ſera baillée

Ta Briſeis : ſur quoy il interpoſe

Son grand Serment, ne luy avoit faict choſe

Contre raiſon. Que jamais n’eſt Montée

Deſſus ſon Lict : Qu’il ne l’a fréquentée :

Aulcunement, pour avoir Plaiſir d’elle,

Comme le Malle en prend de la Femmelle.

Tous ces beaulx Dons ſeront preſentement

Icy livrez faiſant l’appoinctement.

Et ſi les Dieux permectent qu’on deſtruiſe

Troie la Grand, & qu’aprés on diviſe,

Le beau Pillage, il conſent que tu charges

D’Or & d’Argent une des Nefz plus larges

Seul à par toy : avec vingt Citadines

Toutes d’eſlite, & de tel Maiſtre dignes

Et ſi tu veulx (celle Guerre finie)

Eſtre avec luy, hantant la Compaignie.

Aymé ſeras comme ſon Filz unique

Dict Oreſtés. Et ſi ton cueur ſ’applique

À prendre Femme, il te donra le choix

De ſa Maiſon. Il a de Filles troiſ :

La premiere eſt Chryſothemis la Blonde :

Laodicé Prudente la ſeconde :

Iphianaſſa la tierce Tres louées,

Pour les Vertus dont elles ſont Douées.

De ces trois la, ſ’il te vient à plaiſir,

Tu pourras lors la plus Belle choyſir,

Et la conduire a l’Hoſtel de ton Pere,

Sans rien bailler. Car luy meſmes eſpere

Si grand Douaire, & Riche t’aſſigner,

Qu’on n’a point veu, à nul Pere donner

Autant à Fille. Il a intention

De mectre adonc en ta Poſſeſſion,

Sept grans Citez pres de la Mer, peuplées.

De Citoiens, & de grands Biens meublées

Ceſt aſſavoir Enopa la gentille,

Cardamyla, & Hira la fertille,

Pheres divine, Epea la puiſſante,

Et Anthia, en Paſtiz floriſſante :

Puis Pedaſos eſtimée Tres noble

Et planteureuſe à cauſe du Vignoble.

    En ces Citez tu ſeras Honoré,

Ainſi qu’ung Dieu ſervy & reveré,

Les Citoiens vivans ſoubz la Police

De ton beau Sceptre, & Royale Iuſtice :

Voilà les Dons, voila la Recompenſe

Que recevras, en oubliant l’Offence.

Si tu ne veulx faire compte de l’Offre

Que l’on te ſaict, ny de cil que le t’offre,

N’auras tu pas au moins Compaſſion

De tes Amys, & de ta Nation ?

N’auras tu pas vouloir de ſecourir

Ces poures Grecs, ſans les laiſſer perir ?

Qui te ſeront comme aux Dieux obligez ?

Se cognoiſſans ſaulvez & deſchargez

Par ton moyen : Choſe louable, & telle

Qui t’acquerra une Gloire immortelle.

Et meſmement veu l’occaſion bonne,

Que tu auras d’eſprouver ta Perſone

Encontre Hector : lequel ores ſe vante

(Tant il eſt plain de ſuperbe Arrogante)

Qu’en tout ce Camp ny a Grec à luy Per :

Ny qui luy puiſſe à la fin eſchapper.

    Quand Achillés eut ouy l’Oraiſon

Du ſubtil Grec. Certes il eſt raiſon

Ô Vlyſſés, qu’à tes dictz ie reſponde

Tout franchement, afin qu’on ne ſe ſonde,

Ne toy ny aultre à me venir faſcher

Penſant de moy aultre choſe arracher.

Tout ce que j’ay une fois retenu

En mon Eſprit, ſera entretenu.

Celuy qui dict de la Bouche une choſe,

Et dans ſon Cueur le contraire propoſe,

Eſt tant hay de moy en toutes ſortes,

Comme ie hays les infernales Portes.

Doncques entends ores ma volunté :

Et ce que j’ay conclud & arreſté.

Impoſſible eſt au Roy Agamemnon,

À vous Gregeois, & aultres Roys de nom,

De me conduire à ce poinct, que ie mecte

Encor ung Coup pour vous l’Armet en Teſte.

Puis que ie voy cil qui ſ’eſt efforcé

De vous aider, ſi mal recompenſé.

Et qu’on ne faict non plus cas d’ung Vaillant,

D’ung bon Gendarme, & hardy Aſſſaillant,

Que d’ung Oyſif, d’ung Laſche, qui ne part

Du Pavillon : & qu’il a plus De part

Aux grandz Butins, & plus d’Auctorité

Que celuy la qui l’aura merité.

Cecy ie dis pour moy, qui ay ſouffert

Tant de Travaulx & qui me ſuis offert

Aux grans Dangers, ayant maintes Nuictées

Entierement ſans dormir Exploitées.

Et tout pour vous, Eſtant de meſme Soing

Que l’Oiſelet, qui vole prés & loing

Cherchant Paſture à ſes Petitz, qui ſont

Encor ſans Plume en leur Nid, & qui n’ont

Aulcun povoir de prendre l’Air champeſtre :

Et ne ſcauroient d’eulx meſmes ſe repaiſtre.

Chaſcun ſcait bien les Priſes & Ruines

Des grans Citez : des Iſles voiſines

De ce Pays. Car mes forces Navales

En ont conquis douze des Principales.

En Terre ferme, onze ont eſté vaincues

Par mon Effort, & ſubjectes rendues.

Dont le Butin comme vous ſcavez bien,

Fut apporté, ſans en excepter rien

À voſtre Chef : lequel à ſon plaiſir

L’a diſpenſé, & ſ’eſt bien ſceu ſaiſir

De la pluſpart. Moy & les aultres Princes

En avons eu les Portions bien Minces.

Et nonobſtant que du Partage faict,

Chaſcun ſe tint content, & ſatiſfaict,

Moy meſmement : Neantmoins par Malice,

Par Tyrannie, & cruele Injuſtice,

Agamemnon m’a tres bien deſpouillé

Du peu de Bien que l’on m’avoit baillé.

Que touteſfois aſſez grand j’eſtimoye,

Tant ſeulement pource que ie l’aimoye.

C’eſt Briſeis. Or donc qu’il l’entretienne

Tant qu’il vouldra, & pour Sienne la tienne.

Reſpondez moy, Qui eſt la cauſe expreſſe,

Qui a mené tant de Princes de Grece

Iuſques icy ? Par quel Droict & Conſeil

Agamemnon a faict tant d’Appareil

De bons Souldards ? Eſt ce pas pour l’Envie

De recouvrer leur Heleine ravye ?

Son Frere & luy penſent ilz eſtre telz,

Et feulz au monde entre tous les mortelz,

Aymans leur Femme ? Ont ilz le jugement

Si aveuglé, de ne voir clairement,

Que tout bon cueur honore & faict eſtime

De ſa Compaigne, ou Femme legitime.

Quand eſt à moy, j’ay eu Sens & Eſpritz,

Du Feu d’Amour pour Briſeis eſpris.

Et l’honoroys de ſemblable maniere

Qu’une Eſpouſée, encor que Priſoniere.

Mais voſtre Chef, tout droict pervertiſſant,

Me la oſtée, & en eſt jouiſſant.

Et maintenant ayant ce Tort receu,

Aiant eſté ſi laſchement deceu :

Par doulx parler & fainctif, il ſ’eſſaye

De refermer celle ulcerée Playe ?

Nenny, nenny, Voiſe ſi bon luy ſemble

Avec les Grecs, & avec toy enſemble

Se conſeiller, & penſe de ſoy meſme

Se tirer hors de ce Danger extreme.

Helas voyez en quelle Adverſité

Il eſt tumbé, par ſa Perverſité.

Son Mur, ſon Fort, les Foſſez, & Palliz,

Vous gardent ilz d’eſtre ores aſſailliz

Du fort Hector ? Certes lors que j’eſtoye

Avecques vous, & pour vous Combatoye,

Tant ſ’en falloit qu’il ſ’oſaſt approcher,

Qu’on ne l’a veu oncques Eſcarmoucher :

Que tout au prés de la Porte Troiene

Dicte Scea, doubtant la Force mienne.

Ung jour advint, qu’il me voulut attendre

Prés du Fouſteau : Mais ie luy feis toſt prendre

Le grand Chemin, & ſeur ne ſe trouva,

Iuſques à tant que dans Troie arriva.

Or maintenant puis que tout le Plaiſir

Que j’avois lors, me tourne à Deſplaiſir

Puis que ie n’ay vouloir de m’employer

Aulcunement, ne ma Force eſſſayer

Encontre Hector. Demain matin j’eſpere

Partir dicy : ſi j’ai le Vent proſpere

À mon Depart ie ſeray Sacrifice

À Iuppiter, pour le rendre propice.

Et quant & quant prenant la haulte Mer,

Tu pourras voir (Ô Vlyſſés) Ramer

Mes grands Vaiſſeaulx, Leſquelz (ſi par Neptune

Sont preſervez, & ne courent Fortune)

Dedans trois jours me conduiront à Phthie,

Mon bon Pays Chargez une partie

D’Arain vermeil, de Fer blanc, de fin Or,

Et d’aultres biens & précieux Threſor.

Sans oublier les Pucelles exquiſes,

Que j’ay, moy ſeul, à la Guerre conquiſes.

Car du Butin, pour ma part advenu,

Agamemnon la treſbien retenu.

À ceſte cauſe (Amy) tu pourras dire

Publiquement à tous les Grecs, que l’Ire

Que j’ay eſt juſte : & qu’il ſoient adviſez,

Pour ne ſe voir de leur Chef abuſez,

Ainſi que moy, Dont ie me veulx garder

Doreſnavant, & ne le regarder

Iamais en Face. Auſſi ie croy (Combien

Qu’il ſoit ſans Honte, & qu’il n’ait en ſoy rien

De vertueux) Aumoins ſa Conſcience

Le garderoit d’endurer ma Preſence.

Et ſil vouloittant ſe laiſſer aller,

Que de cuyder avecques moy parler,

Ie ne pourrois ma Fureur contenir :

Dont plus grand mal luy pourroit advenir.

Suffiſe luy de m’avoir mal Traicté.

Suffiſe luy que ſon Iniquité

Le Ronge & Mine, ainſi qu’ung Eſperdu

Ayant le Sens entierement perdu.

Et quant aux dons qu’il me faict preſenter,

Autant ſ’en fault, que les vueille accepter,

Que le Donneur, & Tes Dons ſont plus fort

Hayz de moy, que la cruelle Mort.

Non ſ’il m’offroit dix fois, vingtz fois autant,

Non ſ’il eſtoit tout ſon bien preſentant

Avec celuy qu’on Amene & Ramene

En deux Citez Thebes & Orchomene.

Thebes ie dis la ville Egyptiene,

Tant Populeuſe illuſtre & Ancienne :

D’ou, ſans ceſſer, par Cent Maiſtreſſes Portes

On voit ſortir Biens de diverſes ſorteſ :

Car tous les jours, plus de deux cens Chartées

Par chaſque Porte, en ſont hors tranſportées.

Et pour le tout en brief propos reſouldre,

Quand tout le Sable, & la terreſtre Pouldre

Seraient nombrez, & que l’on m’Offriroit

Autant de bien, cela ne ſuffiroit.

Impoſſible eſt que ie ſoys jamais aiſe,

Ne que mon Ire encontre luy ſ’appaiſe,

Iuſques a tant que ie voye la Peine

Correſpondant à l’Injure inhumaine.

    Tu m’as touché encores ce me ſemble

Ung aultre poinct, c’eſt de nous joindre enſemble,

En eſpouſant quelcune de ſes Filles,

Qu’il dict avoir Pudiques & Gentilles.

Certainement quand ſa Fille ſeroit.

Comme il la vente, & quelle paſſeroit

Venus Dorée, en parfaicte Beaulté,

En diligence, Honeur, & Chaſteté

Dame Pallaſ : Point ne fault qu’il eſpere

De ſe nommer à jamais mon Beau pere.

Cherche ſ’il veult en Grece aultre perſone

De ſon Calybre, & ſa Fille luy donne.

Car de ma part, ſi les Dieux me permettent

D’aller chez moy, ainſi qu’il me promettent,

Par le vouloir de Peleus j’auray

Femme pour moy, que lors j’Eſpouſeray.

En Achaie & Phthie eſt grand foiſon

De Riches Roys : aians en leur Maiſon

Mainte Pucelle, & qui prendront plaiſir,

Que l’en puiſſe une à mon ſouhait choiſir.

Ce que veulx faire, eſtimant mieulx de vivre

En paix ainſi, & ma Volupté fuyure,

Qu’à l’advenir à mon treſgrand Dommage

Mourir en Guerre, en la fleur de mon eage.

Tous les grands Biens, les joyaulx, la Richeſſe

Qui fut à Troie, avant qu’on vint de Grece

Pour l’aſſieger Tout le Meuble ſacré

Qui eſt au temple à Phœbus Conſacré,

N’eſt ſuffiſant à reparer ma Vie,

Si hors du Corps m’eſt une fois Ravie.

Beufz, & Moutons, Trepiers, Choſes ſemblables


Et grandz Courſiers ſont touſjours recouvrables.

Mais l’Ame humaine alors qu’elle eſt partie,
Iamais ne tourne au Corps d’ou eſt ſortie.
Thetis ma Mere aultrefois m’a compté,
Que ie ne puis de mort eſtre exempté :
Et que ma vie a eſté aſſignée
De prendre fin, par double Deſtinée.
Si ie demeure icy faiſant la Guerre,
Ie pourray Gloire immortelle conquerre.
Mais j’y mourray. Et ſi ie m’en retourne
En ma Maiſon : & que la ie ſejourne,
Mes ans ſeront tres longs, vivant en Heur,
Mais deſpouillé de Gloire & grand Honeur
Quant eſt à moy, j’ay adviſé de prendre
Ce ſeur Party, ſans rien plus entreprendre.
Et m’eſt advis que vous ſeriez treſbien
De faire ainſi, veu que n’avancez rien :
Et que l’on a l’Eſperance perdue,
Que Troie ſoit entre voz mains rendue.
Meſmes voyant Iuppiter & les Dieux,
À la garder eſtre ſi curieux.
Donques amys Ajax, & Vlyſſés,
Allez vous en, & icy me laiſſez.
Allez vous en pour les Grecs advertir
De ma Reſponce, & de mon Departir.
À celle fin que les plus Vieulx adviſent
Quelque aultre Voye & mieulx leurs faictz con-
Recognoiſſans qu’ilz n’ont rien avancé, (duiſent
Depuis le temps que ie fus offenſé.
Le viel Phenix ceſte Nuict à dormira
Dedans ma Tente, & Demain ſ’en ira
Avecques moy : au moins ſ’il veult venir,
Pas ne ie veulx maulgré luy retenir.


    De l’Oraiſon ſi Bruſque & du Refuz


Furent les Roys eſtonnez & conſuz
Par ung long temps : mais Phénix le prudent,
Qui diſcouroit le peril evident
De tout le Camp, jectant la Larme tendre
Recommenca. S’il ne te plaiſt entendre
(Ô Prince illuſtre) au ſalut de l’Armée :
Et que tu as ceſte Ire confermée
Et ton eſprit y voulant la Mer paſſer :
Helas comment me pourras tu laiſſer
Mon tres cher Filz ? moy qui te fus donné
Pour Conduſteur quant tu fus cy mené.
Le propre jour que Peleus permit
Ton partement, deſlors il me commiſt
Aupres de toy, pour ta jeuneſſe inſtruire,
De ce que peut à jeune Prince duire :
En te faiſant de parole & de faict,
Vaillant en Guerre & Orateur parfaict
L’Adoleſcence aſſez flexible & tendre,
Ne povoit pas trop bien ces poinctz entendre
Sans Precepteur : auſſi ces dons ſuffiſent
À ung bon Prince, & tres fort l’auctoriſent.
Doncques ayant eu de toy charge expreſſe,
Eſt il poſſible (Ô Filz) que ie te laiſſe ?
Certes nenny. Non quand les Dieux haultains
Qui ſont touſjours, en leur conſeil certains,
Me promectroient de faire Rajeunir
Ce Corps la Vieil, & du tout revenir
Tel qu’il eſtoit, lors que ie fus forcé
D’habandonner mon Pere courroucé,
Dict Amyntor & les biens qu’il tenoit
Dedans Hellade, ou pour lors il regnoit.
Le Courroux vint par une Damoiſelle
Qu’il cheriſſoit tres gratieuſe & belle,
L’entretenant trop mieulx que ſon Eſpouſe.
Surquoy ma Mere indignée & jalouſe,
Qui bien l’amour du Mary cognoiſſoit,
À joinctes mains, tous les jours me preſſoit
De me vouloir de la Dame approcher,
Tant que ie peuſſe avec elle coucher :
À celle fin que la faulte cognue,
Iamais ne fuſt du Pere entretenue.
Ce que ie feis. À ma Mere obey.
Dont Amyntor fut bien fort eſbahy.
Et du courroux qui pour lors l’agita,
Deſſus mon Chef grands Mauldiſſons jecta
En invoquant les Furies damnables,
Et prononçant pluſieurs motz excecrables.
Entre leſquelz, il pria que ie feuſſe
Du tout ſans Hoirs : & que jamais ie n’euſſe
Aulcuns Enfans, au moins qu’il deuſt porter
En ſon Giron, ou les faire allaicter.
Si croy pour vray que ſa Plaincte dreſſée,
Fut de Pluton ouye & exaulcée.
Parquoy ſaichant ſa Malédiction,
Soubdainement j’euz ferme intention
De le laiſſer : & de ne me tenir
En ſa Maiſon, quoy qu’il deuſt advenir.
Mes Compaignons, mes Amys, mes Voiſins,
Mes Alliez, & bien proches Couſins
Voyans cela, ne ceſſoient de taſcher
Par tous moyens, mon deſpart empeſcher.
Et pour ce faire, ilz adreſſoient leurs veux
Aux Dieux haultains, immolans Brebiz, Beufz,
Et gras Pourceaulx, leſquelz ilz roſtiſſoient
Commodement, & puis ſ’en nourriſſoient :
Beuvans du Vin ſouef à grand foiſon,
Que le Vieillard avoit en ſa Maiſon.
Encores plus par neuf entieres Nuictz,
Feirent bon Guet, ayans fermé les Huyſ :
Veillans par ordre en la Court, en la Porte
Du grand Palais, afin que ie ne ſorte.
Finablement leurs grands Feuz allumez
Leur Vigilance & Guetz accouſtumez,
Furent perduz. Car la dixieſme Nuict
Ie m’en fouy, & forty hors ſans bruyt.
Sans que Valetz, Chambrieres, ou Garde,
De mon depart : ſe print aulcune garde.
Eſtant dehors ie traverſay les Landes
De mon Pays, bien fertiles & grandes.
Et m’en vins droict ton bon Pere trouver,
Qui me receut. Et pour mieulx approuver
En mon endroit ſa bonne affection,
Soubdain il meit en ma poſſeſſion
Pluſieurs grands biens, & me feit Gouverneur
De Dolopie. au reſte tant d’Honeur,
Tant de Faveur, & de benivolence,
Qu’à ung Enfant yſſu de ſa ſemence.
En ce temps la, Achillés tu naſquiſ :
Parquoy ie fus de Peleus requis,
Bien toſt aprés de ſoigner & d’entendre
À gouverner l’Enfance encores tendre :
Ce que ie feis. Ta force incomparable,
Et ce beau Corps, aux celeſtes ſemblable,
Au prés de moy à prins nourriſſement.
Puis eſt venu à tel accroiſſement.
Ie t’ay nourry, non ſeulement Pourtant
Que ie t’ay mois, mais tu m’eſtois portant
Si grand Amour, qu’il eſtoit impoſſible
Qu’on te rendiſt voluntaire & flexible,
À rien qui fuſt, ſi de moy ne venoit.
Si quelque fois ſoupper on te menoit
Hors mon Hoſtel, on travailloit en vain :
Rien ne mengeois qui ne vint de ma main.
Qui te vouloit rendre amiable & doulx,
Il te faloit mectre ſur mes Genoux.
Si ie voulois rien te faire gouſter,
Il me faloit en maſcher & taſter.
Et bien ſouvent du Vin à toy baillé,
En vomiſſant m’as l’eſtomach ſouillé
Ainſi que ſont les petitz Enfancons
À leur Nourrice, en diverſes facons.
Tous ces travaulx de bon cueur j’enduroye
En te ſervant Car ie conſideroye,
(Eſtant ainſi privé de geniture)
Que j’eſtois Pere, au moins par Nourriture.
Et que j’aurois (advenant la Vieilleſſe)
Appuy tres ſeur en toy, pour ma foibleſſe.
Ce brief diſcours que t’ay voulu compter,
N’eſt ſeulement que pour t’admoneſter,
Mon tres cher Filz, & prier qu’il te plaiſe
Dompter ton Cueur, & ceſte Ire maulvaiſe.
Les immortelz (leſquelz ont leur Nature
Plus noble en tout que n’a la Créature)
Eſtans priez des humains, condeſcendent
À leur requeſte, & placables ſe rendent.
Et n’eſt Peché ou grand Faulte commiſe,
Qui ne leur ſoit (en les priant) remiſe.
    Tu doibs ſcavoir (mon Filz) que les Prieres
Oraiſons ſont Filles droicturieres
De Iuppiter, ſuivans par tout l’Injure,
Laquelle eſt bien plus Robuſte & plus Dure
Qu’elles ne ſont. Car la Priere eſt Louſche,
Boiteuſe, & Foible : & l’Injure eſt Farouſche,
Et bien allant tellement qu’elle avance
Plus de Chemin, & touſjours les devance.
Lors pas à pas les Foiblettes la ſuyvent.
Et ſ’il advient qu’en meſme lieu arrivent,
Et quelles ſoient de bon cueur acceptées
Du perſonage auquel ſont preſentéeſ :
Incontinent à Iuppiter ſupplient
En ſa faveur, & à ſon Gré le plient.
Ei au rebours ſi l’on faict plus de compte
De ceſte injure, elles pleines de Honte
De leur Rebut, vont le tout rapporter
Aux Dieux haultainſ : les prians qu’arreſter
Facent l’Injure, en la propre Maiſon
De c’il qui n’a ouy leur Oraiſon.
Certes mon Filz, tu doibs pour le devoir
De ton Honeur, ces Dames recevoir.
Meſmes voyant les Preſens de valeur,
Qui à l’accord donnent plus de Couleur.
Quand noſtre Chef ſerait Opiniaſtre,
Tenant ſon Cueur, & tant Acariaſtre,
Qu’il ne vouldroit à toy ſ’humilier,
Ne par beaulx Dons te reconcilier :
Ie n’oſerois te conſeiller de faire
Rien pour les Grecs, tant fuſt urgent l’Affaire.
Mais quand ie voy l’Offre ſi belle & grande,
Et le deſir dont ton Amour demande,
Il m’eſt advis que tu ſeras treſbien,
De t’adoulcir, & ne reffuſer rien.
À quoy te doibt induire la Proueſſe
De ces deux Roys, les plus nobles de Grece :
Qui ſont venuz vers toy Ambaſſadeurs.
Quand ne ſeroit que pour les Demandeurs,
Leur dignité requiert bien que l’on face
Pour eulx grand choſe, entretenant leur Grace.
À celle fin qu’apres on ne te nomme,
Ung Deſdaigneux & trop Arrogant homme.
Au temps paſſé les Heroes antiques,
Si d’adventure avoient Noiſes ou Piques
Contre quelzcuns, en fin avec le temps
Ilz ſ’appaiſoient, & demeuroient contens.
Et bien ſouvent par Priere ou par Don,
À l’Ennemy faiſoient Grace & Pardon.
Il me ſouvient d’une Hiſtoire notable
À ce propos, & qui eſt véritable,
Que ie te veulx (au moins ſ’il m’eſt permis)
Ores compter, & à vous mes Amys.
Les Curetois contre ceulx d’Etolie,
Qui deſendoient Calydon aſſaillie,
Feirent jadis la Guerre autant mortele
Qu’il en fut onc & de Furie telle;
Qu’on veit par Mort beaucoup d’Hommes failliz
Des Aſſaillans, & plus des aſſailliz.
Mais pour vous faire au vray la Source entendre
De ceſte Guerre, il fault le compte prendre
Ung peu plus haute. En Calydon regnoit
Oeneus ung bon Roy, qui donnoit
De ſes beaulx Fruictz chaſcun an les Primices
Aux Immortelz, leur faiſant Sacrifices.
Or il advint (ou bien par ſon vouloir,
Ou par oubly ) qu’il meit à nonchalloir
Diane chaſte, & ne luy feit offrande :
Dont ellcprint Indignation grande
Encontre luy : & pour bien le punir,
Feit ung Sanglier dedans ſes Champs venir
Horrible & fier, qui luy feit grand dommage :
Tuant ſes Gens & gaſtant le Fruictage.
Maintz beaulx Pommiers, maintz Arbres reveſtuz
De Fleur & Fruict, en furent abbatuz.
Et de ſa Dent aguiſée & poinſtue,
Le Bled gaſté, & la Vigne tortue,
Meleager le Filz de ce bon Roy
Voyant ainſi le piteux Deſarroy
De ſon Pays, & de ſa Gent troublée,
Propoſa lors de faire une aſſemblee
De bons Veneurs, & Levriers pour chaſſer
L’horrible Beſte, & ſa Mort pourchaſſer.
Ce qui fut faict maintes Gens ſ’y trouverent :
Qui contre luy ſes Forces eſprouverent.
Mais à la fin, le Sanglier inhumain
Receut la Mort de ſa Royale main.
Eſtant occis, deux grandes Nations
Pour la Deſpouille, eurent contentions.
Les Curetois diſoient la meriter,
Ceulx d’Etolie en vouloient heriter.
Voila d’ou vint proprement la Querele,
Qui meut entre eulx ceſte Guerre cruele.
    Doncques eſtant Calydon aſſiegée
Des Curetois elle fut ſoulagée
Par la vertu du preux Meleager,
Par quelque temps. Et n’oſoient ſe bouger
Les Aſſiegeans (bien qu’ilz feuſſent grand nombre)
Craignans ſouffrir par luy mortel encombre.
Mais il advint que Fureur & Courroux
(Qui ſont aigrir les eſpritz bons & doulx
Des plus conſtans) dedans ſon Ame entrerent
Soudainement, & ſi tres fort l’oultrerent,
Qu’il propoſa de mectre ius les Armes,
Sans plus hanter les Combatz & Alarmes.
Cette Colere ainſi chaulde & amere,
Vint du debat qu’il eut avec ſa Mere
Dicte Althea : laquelle eſtoit dolente
Que ſon Enfant euſt par Mort violente
Son Frere occis. Dont elle ſ’eſcrioit,
Baiſant la Terre : & à Pluton prioit
Qu’a ſon dict : Filz, pour la faulte punir,
Luy deuſt ung jour mort pareille advenir.
    Meleager adverty de cecy,
En avoit prins tel Deſpit & Soucy,
Qinl n’alloit plus en Guerre ne venoit,
Ains Solitaire en l’Hoſtel ſe tenoit :
Accompaigné de ſon Eſpouſe amable
Cleopatra de beaulté admirable.
    Cleopatra fut Fille de Marpiſe
La belle Nymphe aymée & puis conquiſe
Du Dieu Phoebus, vers lequel ſon Mary
Dict ldeus (trop jaloux & marry)
Oſa jadis le Combat entreprendre,
À tout ſon Arc, pour la luy faire rendre :
Mais il ne ſceut contre Phœbus ouvrer
Si bien, qu’il peuſt ſa Femme recouvrer.
Dont ſes Parens jecterent Larmes mainteſ :
Meſmes la Mere. Et teſmoignant ſes plaintes,
Voulut qu’il fuſt ung nouveau Nom donné
À la Ravie; & dicte Alcyoné.
    Or pour venir à mon premier Propos,
Meleager ſe tenant en Repos,
Les Ennemys cognoiſſans ce Default,
Soubdainement livrerent ung Aſſault
À Calydon, battans les Tours, les Portes,
Et ſ’efforceans d’entrer par toutes fortes.
Dont les plus grands de la poure Cité
(Eſtans reduictz à la neceſſité
D’eſtre forcez) Meleager prierent
De leur aider : mais point ne le plierent.
Par devers luy vindrent auſſi les Preſtres,
Le ſupplier en faveur de leurs Maiſtres :
En luy offrant une grand Portion
De leurs beaulx Champs, à ſon Election.
Aprés ceulx la, Oéneus ſon Pere
Vient à ſon Huys, & convertir l’Eſpere.
Par devant luy ſe mect à deux Genoux,
Et luy requiert de laiſſer ce courroux,
Pour ſecourir la Ville la perdue :
Mais point ne fut ſa Priere entendue.
Autant en feit ſa Mere, à joinctes mainſ :
Tous ſes Amys, tous ſes Freres germainſ :
Mais on ne ſceut ſi bien ſon Cueur ployer,
Qu’il ſe voulut à leur aide employer.
    Ce temps pendant les Ennemys paſſerent
Sur la Muraille & la Cité forcerent,
Et ne fut lors cruaulté delaiſſée :
Telle qu’on faict en Ville ainſi forcée.
    Adonc ſa Femme oyant la Crierie,
L’effroy piteux, le Feu, la Tuerie
    Des Citoiens, toute deſchevelée
Vers ſon Mary, à grand courſe eſt allée.
Ô cher Eſpoux (diſoit elle en pleurant)
Ie te ſupply ſaulve le demourant,
Qui eſt petit. La les Peres & Filz,
Ieunes, & Vieulx, ſont mortz & deſconfitz.
Et ſ’il y a Femmes encores vives,
On les emmeine Eſclaves & Captives.
Meleager oyant ceſte parole,
Tout enflammé, & plein de Chaulde cole,
Subitement prend ſes Armes & fort,
Et faict ſi bien qu’il chaſſe ou met à Mort
Les Ennemys, & la Ville ſaulva.
Mais touteſfois, trop bon on ne trouva
Le ſien Secours, comme eſtant tard venu :
Et qu’il avoit aidé & ſubvenu.
Aux Etoliens non pas à leur requeſte,
Mais au Deſſeing & vouloir de ſa Teſte.
Las Dieu te gard (Achillés) de penſer
À faire ainſi de nous, & nous laiſſer
Iuſqu’au Beſoing la l’eſprit qui te meine,
Ne le permecte. Helas quelle grand peine
Ce te ſeroit, en voyant le Feu mis
En nos Vaiſſeaux, & puis les Ennemys :
Nous découper. Certes ton grand Effort
Serviroit peu à noſtre Reconfort.
Il vault trop mieulx (mon Filz) que tu t’eſforces
Preſentement, à employer tes Forces,
Pour le ſalut de la dolente Armée :
Tant pour les Dons, que pour la Renommée
Qui t’en viendra. Car ſi tu veulx attendre
Encor plus tard, avant que les defendre :
De ton Secours & tardiſve defence,
Iamais n’auras Honeur ne Recompence.
    À tant ſe teut Phénix le Gouverneur.
Lors Achillés reſpondit. De l’honeur
Dont as parlé & des Biens qu’on preſente
Ie n’ay beſoing. Aſſez ie me contente
Que mon Honeur, ma Gloire, ma Louange
Viennent de Dieu, qui mon Injure venge.
Il me ſuffit de la Faveur Divine
Que ie recoy. Parquoy ie determine
Me gouverner ſelon ſa volunté.
Tant que ce Corps pourra eſtre porté
De mes Genoux. Tant que l’Ame & le Corps
Demeureront en leurs premiers Accordz,
Veu ne ſera, que de mes Nefz ie ſorte
Pour ſecourir les Grecs en quelque ſorte.
Et quant à toy (Ô bon Phénix) eſcoute
Mon jugement & dans l’eſprit le boute.
Il m’eſt advis que tu n’as poinct Raiſon
De me prier, par exquiſe Oraiſon
Et triſte Pleur, moy qui ſuis ton Amy,
Voulant complaire à mon grand Ennemy.
Plus beau ſeroit à toy, plus raiſonable
De te monſtrer Amy, & ſecourable
À ceulx que j’ayme, & de ſuyure mon gré.
Veu meſmement noſtre Eſtat & degré,
Qui eſt pareil poſſedans par moitié
Tous noz grans biens, en entiere amitié.
Au demourant ces deux Princes iront
Faire Reſponce aux Grecs, & leur diront
Ma volunté : & toy ne bougeras
D’auecques moy, mais icy logeras,
Pour ceſte Nuict. Et quant l’Aube viendra,
Entre nous deux adviſer conviendra
Du partement ou de noſtre Sejour,
En attendant plus convenable jour.
    Diſant ces motz, à Patroclus feit ſigne
De faire ung Lict : pour le Vieillard inſigne :
Beau & mollet, afin qu’il repoſaſt,
Et qu’au partir deſja ſe diſpoſaſt.
    Le Preux Ajax Telamon cogneut bien,
Oyant cela, qu’on ne profitoit rien
À le prier : ſi dicta Vlyſſés,
Allons nous en mon Amy, ceſt aſſés.
Ie ne voy point qu’on puiſſe mectre fin
À ce Propos. Allons nous en, afin
De raporter aux Roys qui nous attendent,
Noſtre Reſponce, aultre qu’ilz ne pretendent.
Ceſt Homme cy eſt ſans Raiſon, ſans Honte :
Plein de Superbe, & qui ne tient plus Compte
De ſes Amys. En Reſolution
De fuyure en tout ſa folle Intention.
Il ſ’eſt trouvé pluſieurs grans Perſonages,
Ayant ſouffert execrables Oultrageſ :
Iuſques à veoir, par Excez inhumains,
Leurs Filz occiz, & leurs Freres germainſ :
Qui touteſfois ont pardonné l’Offenſe,
Par doulx parler, ou priſe Recompenſe.
Voire ſi bien qu’ilz ont veu voluntiers,
Avec le temps, au prés d’eulx les Meurtriers.
Les Immortelz (Achillés) t’ont oſté
Ceſte Doulceur & Debonnaireté
Qui ſans avoir grande Injure ſoufferte
Mort de Parent, ou aultre grieſve Perte.
(Fors ſeulement d’une ſimplette Femme)
Si grand Fureur as logée en ton Ame.
Et pour laquelle on t’en preſente & donne
Iuſques à Sept, & la meſme Perſone.
L’accompaignant, pour mieulx te contenter,
De ſi beaulx Dons qu’on pourroit ſoubhaiter.
Ie te ſupply (dict Achillés) adviſe
À ce deſſus, & tant ne nous meſpriſe.
Garde le droict de l’Hoſpitalité
Que tu nous doibs : penſe à la qualité
De ceulx qui ſont Ambaſſadeurs tranſmis,
Qui ont eſté touſjours tes bons Amys.
    Le Remuant Achillés reſpondit :
Divin Ajax, tout ce que tu m’as dict :
Me ſemble bon, & voy bien qu’il ne vient
Que d’Amitié mais quand il me ſouvient
Du Tort ſouffert par moyen ceſte Guerre :
Si grand Colere alors le Cueur me ſerre,
Que ie ne puis mon Ire contenir.
Meſmes voyant qu’on m’a voulu tenir
Comme ung Banny, taſchant à deſpriſer
Moy, qu’on devoit ſur tous auctoriſer.
À ceſte cauſe, Amys, ſans plus contendre,
Allez vous en, faictes à tous entendre
Ma Volunté : C’eſt que ie ne propoſe
Pour les Gregeois jamais faire aultre choſe.
À tout le moins juſque à ce que ie voye
Le fort Hector, & les Souldards de Troie,
Mectre le Feu aux Pavillons & Nefz
Des Myrmidons, &les Grecs ruinez
Tout à l’entour de ma Tente. Combien
(À mon advis) qu’Hector ne ſera rien :
Et n’oſera ſ’en approcher, de Craincte
D’y recevoir quelque mortele Attaicte.
Ainſi parla. Sur quoy la noble Troupe
Chaſcun à part, prend une ronde Coupe,
Boyvent ung peu, le demourant reſpandent :
L’offrant aux Dieux, auſquelz ſe recommandent.
Puis Vlyſſés, comme le plus ſcavant,
Prend ſon Congé, & ſe met tout devant.
    Ce temps pendant, on dreſſe promptement
Ung tres beau Lict, accouſtré gentement
De Materas, de Linge, & de Courtine
Tres deliez, & d’une Panne fine
Pour Couverture; auquel Phénix ſe meit
Sans Compaignie, & tres bien ſ’endormit.
    Bien toſt aprés, en une Riche Couche,
Le Vaillant Grec ſe repoſe & ſe Couche.
Avec lequel, pour prendre ſes Eſbas,
S’en vint Coucher la Fille au Roy Phorbas,
(Roy de Leſbos) dicte Diomedée,
Pour ſon beau Tainct : de pluſieurs regardée.
    Son Compaignon pour avoir ſon Délict,
Semblablement ſe meit dedans ung Lict :
Et avec ſoy pour Dormir amena
La belle Iphis, qu Achillés luy donna,
Lors que Scyros la Cité bien conſtruicte,
Par ſon Effort fut pillée & deſtruicte.
    En peu de temps les Princes arriverent
Au Camp des Grecs : & le Conſeil trouverent
Encor enſemble, en la Royale Tente.
À leur venue ung chaſcun leur preſente
Du Vin à boire, en mainte riche Taſſe.
On les ſalue, on leur offre une Place.
Voulans avoir la Cognoiſſſance entiere
De leur Exploict, & Fons de la Matiere.
    Adonc le Chef à Vlyſſés ſ’adreſſe,
En luy diſant. Ô Gloire de la Grece
Noble Vlyſſés, ie te pry nous compter,
Si Achillés veut noz Dons accepter.
Quel bon Rapport, quelle bonne Eſperance
Nous portez vous, de noſtre Delivrance.
À il dompté ſon Courage ſevere
Encontre nous, ou bien ſ’il perſevere.
    Puis qu’il convient que le vray ie te dye :
Son Ire n’eſt morte ne refroidie
(Dict Vlyſſés) ains tous les jours augmente
De plus en plus, & ſe faict vehemente.
À ton Amour, à tes Dons il renonce.
Et qui pis eſt, il nous a faict Reſponce,
Si bon te ſemble, adviſer de toy meſme,
À te tirer de ce Danger extreme.
Et que demain venant l’Aube du jour
Il partira (ſans plus faire ſejour)
De ce Pays. En nous admoneſtant,
De noſtre Part en vouloir faire autant :
Puis qu’on ne peut trouver aulcune yſſue
De ceſte Guerre, en Miſere tiſſue :
Et que les Dieux propoſent ſecourir
Ceulx de Phrygie, & nous faire mourir.
Le Preux Ajax & les Heraulx enſemble
Teſmoigneront cecy, ſi bon leur ſemble :
Ayans ouy tout le Propos tenu.
Quant à Phenix, il eſt la retenu
Par Achillés, en ſon Lict dormira :
Et puis ſ’il veult aucy luy ſ’en ira.
Non que par luy ſoit contraint du deſpart
S’il ny conſent, comme il dict de ſa Part.
    Les Princes Grecs & toute l’aſſemblée
Fut grandement eſbahie & troublée,
Oyans cela : & furent long Eſpace
Sans dire mot, & ſans haulſer la Face :
Iuſques à tant que le Grec d’excellence
Diomedés va rompre le Silence.
    Agamemnon tu ne fus pas bien Sage,
De luy tranſmectre Ambaſſade ou Meſſage
Pour le prier, & Dons luy preſenter.
Il eſt Superbe, &tu l’as faict monter
Encores plus par ta Legation,
En grand Orgueil, & vaine Elation.
Laiſſons le la, qu’il voiſe ou qu’il demeure,
Il combatra lors que viendra ſon heure :
Et que les Dieux gueriront ſa Penſée,
Qui eſt ainſi de Fureur oppreſſée.
Quant eſt à nous finiſſans ce Propos :
Allons Repaiſtre, & prendre le Repos.
Demain matin lors que l’Aube viendra,
Chaſcun de nous en Armes ſe tiendra
Devant les Nefz : tant la Chevalerie
Et Chariotz, que noſtre Infanterie.
La te fauldra Agamemnon monſtrer
Ta grand Vaillance, & ſi bien t’accouſtrer
Que l’on te voye aux premiers Rencz Combatre
Et les Troiens deſconfire & abbatre.
    Ainſi parla, dont il fut bien loué,


Et ſon Conſeil des Princes advoué.

Suyuant lequel chaſcun d’eulx ſe retire :
Et va dormir en ſa Tente ou Nauire.


FIN DV NEVFIESME
LIVRE.

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