À Monsieur Raynouard Secrétaire perpétuel de l’Académie française.  

Paris, le 31 août 1817.

Monsieur,

Retenu par une légère indisposition, je ne puis avoir l’honneur d’aller moi-même vous témoigner ma reconnaissance de la faveur que l’Académie française a daigné me faire en accordant une mention honorable à la pièce n° 15 dont je suis l’auteur. Ayant appris que vous aviez élevé des doutes sur mon âge, je prends la liberté de vous remettre cy-inclus mon acte de naissance. Il vous prouvera que ce vers

Moi, qui…

De trois lustres à peine ai vu finir le cours

n’est point une fiction poétique.

S’il était encore temps de faire insérer mon nom dans votre rapport imprimé par ordre de l’Académie, ce serait augmenter infiniment la reconnaissance que je vous dois, et dont je vous prie d’agréer la preuve dans cette langue que vos encouragements me rendent si chère et qui doit, à tant de titres, vous l’être bien davantage encore.

J’espère de votre bonté, monsieur, que vous voudrez bien, après en avoir pris connaissance, me renvoyer mon acte de naissance rue des Petits-Augustins, n° 18.

Je vous prie d’agréer l’assurance du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Victor-Marie Hugo.

À Raynouard, auteur des Templiers. 

Ô Raynouard, toi qui d’un Ordre auguste

Nous traças en beaux vers le châtiment injuste ;
Qui, dédaignant l’amour et ses molles douleurs.

Sur l’austère vertu nous fis verser des pleurs ;

Toi qui bientôt encor, dans tes fécondes veilles,

Des exploits de Judas nous diras les merveilles ;

Pardonne !… interrompant de si nobles travaux,
Un jeune élève de Virgile

Ose de sa Muse inhabile

T’adresser les accords nouveaux.

Il te doit tout : c’est toi dont l’indulgence

Sut arracher au gouffre de l’oubli

Son faible essai dans l’ombre enseveli.
De sa Muse accueillant l’enfance,
Tu fis plus ; tu voulus, dans le sénat des arts
Sur elle attirer les regards.

Ces vers sans art échappés à ma veine

D’un tel honneur étaient dignes à peine ;
Mais que ne pouvaient sur les cœurs
Cet amour que Virgile a peint en traits vainqueurs,

Le souvenir d’Élise abandonnée

D’un triste hymen invoquant les vains droits

Et réclamant contre l’ingrat Énée

L’appui des Dieux qui l’ont seuls condamnée ?

Que ne pouvait le charme de ta voix ?

De cette voix dont la mâle énergie,
Quand la patrie en deuil redemandait ses rois,

Déployant des vertus l’éloquente magie,

Apprit au tyran même à respecter nos lois ?

C’est à ta voix encor, c’est à son harmonie

Qu’est dû tout le succès de mon humble génie.

Ce qui fait mon bonheur fait aussi mon orgueil :

Virgile et toi protégiez ma faiblesse.

Ces vers nouveaux que je t’adresse

Recevront-ils le même accueil ?
Dans le sein de Virgile ils n’ont point pris naissance,
Ton organe flatteur n’a pas accru leur prix,

Mais ils sont inspirés par la reconnaissance,
Et c’est pour toi qu’ils sont écrits.

Sic.

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