À Monsieur Pinaud.

18 avril 1820.

Monsieur,

Les instances seules de quelques amis avaient pu me décider à envoyer à l’Académie des Jeux Floraux l’ode de Moïse dont je sentais moi-même, le premier, les nombreuses imperfections. L’Académie, en accordant à cet ouvrage une amaranthe réservée, a bien outrepassé mes espérances, et je sens que je dois considérer ce prix moins comme une récompense que comme un encouragement. Je me plais à reconnaître la justesse des critiques qui me sont faites, et je pense de plus qu’en blâmant dans mon ode l’absence de tout mouvement lyrique, l’Académie aurait pu en trouver une des causes dans le choix du rhythme qui, par sa terminaison féminine, est incapable de rendre avec quelque éclat les images imposantes et les grandes pensées qu’aurait dû faire éclore un pareil sujet. Ce rhythme, qu’André de Chénier a employé avec tant de bonheur dans sa Jeune captive, est, à la vérité, naturellement mélodieux, mais il n’est ni assez grave ni assez sonore pour la haute poésie. Voilà encore un de mes torts : en joignant cette nouvelle critique aux critiques si judicieuses de l’Académie, j’ignore si je n’agis pas avec maladresse, mais je sais que j’agis avec franchise, et je suis persuadé que cela ne me nuira point auprès de vous. Quant aux observations de détail, je regrette que le temps ne me permette pas de rendre mon ode plus digne de la flatteuse distinction dont vous l’avez honorée. Je pense toutefois que l’on peut, dans la première strophe, changer chastes plaisirs en jeux innocents et, dans la huitième, ses malheurs ont ému mon amour en ses malheurs éveillent mon amour, si vous jugez toutefois que ces corrections puissent être admises. Je regrette, je le répète, que le temps me manque ; j’aurais essayé, en revoyant sévèrement mon ode, de mériter mieux vos honorables suffrages. Dans l’impossibilité, il me reste, monsieur, à vous prier de 3présenter à messieurs vos collègues mes excuses et l’expression de ma bien vive reconnaissance.

Si l’idylle des Deux âges avait pu être couronnée, ç’aurait été pour moi une grande joie et un grand honneur ; toutefois je ne puis que m’incliner devant le respectable motif qui l’a empêchée d’obtenir cette faveur.

J’en viens, monsieur, à un point sur lequel je veux m’expliquer sans détour, en désirant vivement votre approbation. J’ai acquis aujourd’hui, me dites-vous, d’après vos règlements, le droit de demander des lettres de maître ès Jeux Floraux. Je m’interdis ici d’examiner comment j’ai reçu ce droit et si je ne le dois pas bien plutôt à l’indulgence soutenue de l’Académie à mon égard, qu’à mon propre mérite. Il s’agit seulement de vous exprimer ma façon de penser, et je crois que mon devoir (et jamais devoir n’aura été rempli avec plus de plaisir) est de réclamer, avec tout l’empressement et toute la gratitude que je ressens, un titre auquel les bontés de l’Académie m’ont donné droit de prétendre. Je pourrais, à la vérité, conserver le droit de concourir en suspendant ma demande ; mais, d’un côté, si je suis habitué à l’extrême bienveillance de l’Académie, je n’ai point assez de présomption et de confiance en moi-même pour rester dans la lice avec grande espérance de succès ; de l’autre, les concours lyriques m’étant désormais fermés, j’ignore si les essais infructueux que j’ai tentés jusqu’ici dans les autres genres ne m’avertissent pas suffisamment de sortir des rangs. J’ajouterai à ces considérations mes désirs, cachés jusqu’ici mais conçus depuis longtemps, de faire partie de cet illustre corps des Jeux Floraux.

Aujourd’hui que l’occasion se présente de vous appartenir comme maître, je sens plus que jamais combien un pareil titre est au-dessus de mon âge et de mon faible talent, mais je sens en même temps que si vous jugiez à propos de me le conférer, l’honneur de le porter m’engagerait en quelque sorte à faire tous mes efforts pour le porter dignement. J’oserai donc vous prier, si vous le trouvez bon, monsieur, d’être auprès de l’Académie l’interprète de mes désirs respectueux et de lui demander en mon nom un titre qui me sera bien cher si je l’obtiens, puisqu’il me rappellera à tout moment ce que je dois à vous personnellement et à messieurs vos collègues. J’ignore s’il est nécessaire que j’adresse à l’Académie une demande plus directe, mais je pense que dans le cas où vous ne pourriez pas vous en charger, vous voudriez bien avoir la bonté de m’en donner avis.

Je suis particulièrement flatté, monsieur, que mes odes sur la Vendée et sur l’exécrable crime du 13 février vous aient causé quelque plaisir. En vous envoyant mes essais, je ne fais que remplir un devoir bien agréable pour moi et je serais heureux que vous voulussiez me continuer vos avis. J’ai l’honneur de vous adresser en ce moment deux exemplaires d’une satire déjà vieille, mais qui, à l’époque où elle parut (octobre 1819), fut considérée à Paris, sinon comme une preuve de talent, du moins comme une marque de courage. J’y fais joindre le premier volume du Conservateur littéraire. Vous verrez dans cet ouvrage, à la rédaction duquel je concours, le témoignage de satisfaction que S. M. a daigné me donner à l’occasion de mon ode sur la mort de Mgr le duc de Berry. Je crois que le Conservateur littéraire peut être utile, et je désire qu’après l’avoir lu, vous en portiez le même jugement. Je vous remercie de l’observation bienveillante qui termine votre aimable lettre ; j’ai tout lieu de croire que notre Conservateur, dont le succès paraît assuré dans la capitale, va se répandre maintenant dans les départements et, dans ce cas, je prendrais des soins particuliers pour qu’il parvienne dans votre province qui est peut-être aujourd’hui la seule où l’on ait conservé intacts l’amour des lettres et le dévouement à la monarchie légitime. Je finis, monsieur, cette trop longue lettre en vous félicitant à mon tour de l’adresse de votre Cour royale relativement à l’horrible assassinat de Mgr le duc de Berry ; elle a produit ici le meilleur effet, elle a été distinguée entre toutes les adresses des autres villes du Royaume et tout le monde sait que les sentiments monarchiques dont est pénétrée votre fidèle Cour royale sont aussi ceux qui animent l’excellente ville de Toulouse et la noble Académie des Jeux Floraux.

J’ai l’honneur d’être avec la plus respectueuse reconnaissance, monsieur, votre très humble serviteur.

V.-M. Hugo.

P. S. — Mon frère Eugène, que sa mauvaise santé a empêché de concourir cette année, et qui se propose bien de prendre sa revanche en 1821, me charge de le rappeler à votre souvenir et de vous présenter ses respects. Ayant déjà obtenu une amaranthe en 1819, je me détermine à prendre cette année, au lieu de la fleur, la somme que l’Académie me laisse la faculté de choisir en place du prix. S’il y avait quelques démarches ou quelques formalités à remplir à ce sujet, j’ose espérer que vous voudriez bien avoir la complaisance de m’en instruire.

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