À Monsieur Pinaud.

24 octobre 1820.

Monsieur,

Permettez-moi de me rappeler à votre souvenir en vous adressant quelques exemplaires d’une ode que je viens de publier sur la naissance de Mgr le duc de Bordeaux, et qu’au moment où j’ai l’honneur de vous écrire, vous avez déjà pu lire dans le Conservateur littéraire. Je désire bien vivement, monsieur, que cette ode ne vous semble pas indigne du suffrage dont vous m’avez quelquefois honoré. Je dois tout à l’Académie des Jeux Floraux, et ce sera toujours un bonheur pour moi de le reconnaître hautement, comme ce me sera toujours un devoir de chercher à justifier les faveurs que son indulgence m’a prodiguées.

Nous possédons ici depuis quelque temps M. Alexandre Soumet qui m’a beaucoup parlé de l’intérêt que l’Académie veut bien prendre à mes essais et de la bienveillance flatteuse que vous, monsieur, en particulier, voulez bien montrer à mon égard. Je me suis aidé des conseils de M. Soumet pour corriger cette nouvelle ode et je dois beaucoup à son obligeante amitié. Il m’a lu une partie de sa tragédie d’Oreste, dont le cinquième acte est vraiment admirable. Je désire fort que les affaires qui l’ont amené à Paris se terminent à sa satisfaction ; je désire encore plus que sa tragédie soit bientôt jouée, car, si je fais des vœux pour sa fortune, j’en fais encore plus pour sa gloire : un poëte ne peut m’en savoir mauvais gré.

Pour moi, monsieur, la première ode que je ferai sera destinée à l’Académie ; si, accédant à ma prière, vous consentez à la lire dans une de vos séances, elle sera en quelque sorte protégée par l’illustration du corps des Jeux Floraux. Je ne vous promets pas que cette étrangère sera digne de l’hospitalité que vous voudrez bien lui accorder, mais je vous promets de faire tous mes efforts pour y parvenir. J’espère, monsieur, que vous voudrez bien me continuer cette bienveillance dont vous m’avez déjà donné tant de preuves, et dont je suis si profondément touché. Je vous prie d’excuser le désordre de cette lettre, écrite à la hâte, et de croire toujours aux sentiments de haute estime et de considération respectueuse avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble serviteur.

V.-M. Hugo.

P. S. — Ignorant si le secrétaire du Conservateur littéraire a rempli exactement l’ordre que je lui avais donné de vous envoyer quelques exemplaires de mon Ode à M. de Chateaubriand j’en joins quelques-uns au paquet que j’ai l’honneur de vous adresser.

« L’Académie a pensé que votre ode, bien qu’écrite dans le style harmonieux et pur qui distingue si généralement vos ouvrages, ne porte pas assez l’empreinte de l’inspiration... On vous a su beaucoup de gré d’avoir monté votre ode au ton lyrique dans les trois dernières strophes, mais ce mouvement a paru court, comparé à ce qui précède. » Dans la 1re strophe, l’épithète chaste n’a pas été trouvée assez chaste dans la bouche d’Iphis. Dans la 8e « ses malheurs ont ému mon amour. » (Lettre de M. Pinaud, 11 avril 1820.) Odes et Ballades (Édition de l’Imprimerie Nationale). « Je n’ai pas chez moi votre héroïde du Jeune Banni, non plus que vos Deux âges… Je me borne donc à vous dire que l’idylle aurait été infailliblement couronnée, si quatre ou cinq académiciens d’une extrême gravité par leur caractère personnel, comme par les fonctions qu’ils occupent dans le monde, n’avaient pas cru en remplir une en s’opposant avec force au succès d’un ouvrage où la jeunesse exaltant le plaisir figure avec tant d’avantage contre la vieillesse prêchant ou s’efforçant à regret de prêcher la sagesse. Quant à l’héroïde, on en a jugé le sujet malheureusement choisi et le style chargé, inégal et peu soigné. » (Lettre de M. Pinaud, 11 avril 1820.) La mort du duc de Berry. Odes et Ballades. Le Télégraphe. Publié en plaquettes en 1819 et réimprimé dans Odes et Ballades (Éditions de l’Imprimerie Nationale). Victor Hugo avait fondé avec ses frères et rédigeait, presque seul, le Conservateur littéraire, qui parut de décembre 1819 à mars 1821. Le roi ordonna qu’une gratification de 500 francs fût envoyée à l’auteur. « ... Il vous est loisible de réclamer ou l’amaranthe même ou une somme de 361 fr. 50 ; c’est-à-dire, dans ce dernier cas, les 400 francs que coûte la fleur, moins les 38 fr. 50 qui forment la moitié du prix de la façon et du contrôle. » (Lettre de M. Pinaud, 11 avril 1820.) Adolphe Trébuchet, neveu de Mme Hugo, née Trébuchet, devint avocat. Le Figaro, 12 mai 1886. Histoire de l’Académie des Jeux Floraux. « Vous vous devez à cet excellent Conservateur littéraire dont je ne saurais assez vous remercier de m’avoir donné la connaissance et où l’esprit, la raison, le savoir, le goût et la plus noble fermeté de caractère brillent comme à l’envi au profit des meilleures doctrines littéraires, morales et politiques. « (Lettre de M. Pinaud, 9 mai 1820.) Adolphe Trébuchet venait de perdre sa mère. Le Figaro, 12 mai 1886. Ministre de l’Intérieur. Le duc Decazes, après avoir servi l’empereur, s’était rallié aux Bourbons. En 1820, il quitta la présidence du Conseil et fut nommé, en compensation, ambassadeur à Londres. Homme politique. Président du Conseil de 1821 à 1828, il réprima durement les conspirations de Saumur et de La Rochelle. Il laissa cinq volumes de Mémoires et Correspondance. Président du Conseil. Le général Donnadieu eut avec le duc de Richelieu une vive altercation propos de l’insurrection de Grenoble que Donnadieu avait réprimée sévèrement en 1816. Ici s’intercale une lettre d’Abel Hugo à son oncle, puis Victor reprend la plume. Le Figaro, 12 mai 1886. Le Figaro, 12 mai 1886. Alexandre Soumet, poète, auteur dramatique, maître ès-Jeux Floraux de l’Académie de Toulouse ; à ce titre, en le félicitant de sa première ode, il écrivait à Victor Hugo, en mai 1819 : « Vos dix-sept ans ne trouvent ici que des admirateurs, presque des incrédules ». Soumet inspira à Victor Hugo une vive admiration et leurs relations furent très amicales. Odes et Ballades.

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