À Monsieur Pinaud.

Paris, 14 août 1821.

Monsieur et cher confrère,

Je ne me pardonnerais pas de n’avoir pas répondu plus tôt à votre lettre, à vos consolations si précieuses pour moi, si je n’avais été assez gravement indisposé et contraint d’aller passer quelques jours à la campagne, immédiatement après avoir rempli auprès de M. de Chateaubriand la commission dont vous m’aviez chargé au nom de l’Académie. C’est moi, monsieur, qui vous remercie du fond de l’âme d’avoir bien voulu me la confier. Ce nouveau rapport a, en quelque sorte, resserré encore ma liaison avec l’illustre pair, et c’est une reconnaissance de plus que je vous dois.

Je vous en dois une, certes, non moins grande pour tout ce que votre lettre contient de sentiments tendres et délicats. Elle m’a vivement et profondément touché. Dans mon irréparable malheur, une amitié telle que la vôtre me console, et je m’enorgueillis de cet intime rapport de nos âmes qui fait que nous nous aimons sans nous être vus, que nous nous devinons sans nous être parlé. Si jamais vous éprouvez (ce qu’à Dieu ne plaise) quelque grande douleur personnelle, je vous souhaite un ami qui vous ressemble, car je ne puis me comparer à vous que par l’affection que je vous porte.

M. de Chateaubriand a reçu son diplôme avec toute la grâce possible et m’a dit qu’il écrirait à l’Académie pour la remercier. Tous les amis des lettres félicitent l’Académie de cette glorieuse acquisition. S’il faut l’avouer, elle m’a semblé, comme à vous, un peu tardive.

Adieu, monsieur et bien cher ami. Je crois assez en votre indulgence pour vous envoyer cette illisible lettre. J’ai voulu vous écrire dès que j’ai pu tenir la plume. Je suis encore faible et n’ai de force qu’à vous aimer.

J’ai l’honneur d’être, avec la plus profonde estime et le plus entier dévouement, votre très humble et très obéissant serviteur et confrère.

Victor.-M. Hugo.

À Monsieur Foucher.

La Roche-Guyon, 20 août [1821].

Je viens enfin, monsieur, d’arracher mon départ pour demain matin. Je ne puis plus longtemps rester éloigné de Paris. Comment ! cette indisposition se prolongera encore jusqu’à la fin de la semaine prochaine ! Je comptais, en ouvrant votre lettre, sur l’annonce d’un rétablissement complet, et quoique votre sérénité éloigne toute idée de danger, l’idée des souffrances et de l’ennui qu’elle éprouve sans doute suffit pour m’affliger vivement. Que je la plains, mais que je suis plus à plaindre qu’elle ! Il est encore si doux, quand nous souffrons, de penser qu’un autre être s’exagère nos douleurs et se fait des tourments de nos peines, je voudrais être au lit, je serais heureux d’être épuisé, mourant, si je croyais que mon agonie excitât en elle le quart de la tendre compassion que son indisposition fait naître en moi. Ici, quels plaisirs puis-je goûter ? Dix-huit lieues me séparent d’elle, et elle est malade.

Je ne dirais point tout cela à un intermédiaire, s’il n’était son père. Et, d’ailleurs, elle ne doit pas ignorer qu’ici, comme partout, son souvenir est la seule compagnie qui puisse me consoler de son absence, que sa pensée me suit dans le parc, dans les ruines, dans les tourelles, dans ma grande, gothique et magnifique chambre, qu’elle est présente à toutes mes promenades, à toutes mes rêveries, et qu’au milieu des inquiétudes multipliées qui m’assiègent, sa santé est devenue ma seule inquiétude.

Au reste, ces immenses salons dorés, ces vastes terrasses et par-dessus tout, ces grands laquais obséquieux me fatiguent. Je n’ai ici d’autre attrait que la colline boisée, les vieilles tours, et avant tout la société charmante de cet aimable duc de Rohan, l’un de mes amis les plus chers et les plus dignes d’être noblement aimés. Je le quitte bien vite. Mais il est heureux. Quel besoin a-t-il de moi, qui ne le suis pas ?

Tous mes amis, tous ceux qui veulent bien s’embarrasser de je ne sais quelles altérations de ma santé, me conseillent le séjour de la campagne. Ils ignorent que je ne vis pas, loin de Paris.

J’ai peu travaillé ici, j’avais tant de choses à voir et si peu de temps à rester ! Mais j’ai recueilli une foule d’impressions, de ces impressions fécondes qui ouvrent de nouvelles carrières aux idées. Il y a ici une chapelle taillée dans le roc — je ne saurais vous dire ce qu’on éprouve sous cette voûte, jamais les cérémonies de l’église ne m’ont paru plus belles ; jamais l’émotion religieuse ne m’a pénétré plus profondément.

Mme la duchesse de Berry, qui est à Rosny, doit venir visiter le château dans quelques jours. M. de Rohan voudrait me retenir au moins jusque là, mais je me défie de sa bienveillance. Je ne veux pas que ma position particulière m’expose à devenir le client d’un homme dont ma situation sociale me permet d’être l’ami. J’aime le duc de Rohan pour lui, pour sa belle âme, pour ses nobles manières, mais non pour les services matériels qu’il peut me rendre.

Je partirai donc demain 26 à 6 heures du matin, quand vous recevrez cette lettre, j’approcherai de la ville des soucis. J’irai sans doute me promener demain soir au Luxembourg, je serais bien heureux, si je vous y rencontrais, d’avoir des nouvelles toutes fraîches de notre bien-aimée malade. Nous causerions aussi du noble Vte de Chateaubriand.

Adieu, monsieur, j’ai encore 3 ou 4 réponses à faire avant le dîner et aucune ne sera aussi longue que celle-ci, je vous quitte bien à regret et en vous remerciant de votre aimable lettre.

Votre dévoué pour la vie,

Victor.

Mes hommages respectueux à ces dames. Je suis bien venu à la Roche-Guyon avec un compagnon de voyage, ami commun entre le duc et moi ; mais ce n’est point M. l’abbé Davaux, que je n’ai point vu dans ce château, d’ailleurs très solitaire, comme M. de Rohan me l’avait promis.

À Madame Faucher.

Il existe rue de Mézières, n° 10, une manière de pestiféré auquel ces dames font subir, sans s’en apercevoir, des quarantaines, dont il ne s’aperçoit, lui, que trop. Cet importun croit se rappeler qu’il a été définitivement convenu qu’il aurait l’honneur de conduire dimanche 21 octobre ces dames au jardin ducal de Monceaux. C’est pourquoi le susdit pestiféré étant parvenu à trouver une mauvaise plume dans l’inextricable chaos de son logis déménagé, s’est mis à écrire sur ses genoux cet illisible billet, afin de supplier ces dames de vouloir bien lui faire dire à quelle heure il doit être dimanche à leurs ordres. Il pense que ces dames n’ont pas oublié leur promesse ; si pourtant cela contrariait quelque nouvel engagement, soit bal, dîner, ou spectacle, il retirerait humblement sa requête, car il préfère les plaisirs de ces dames aux siens et n’ose se flatter que sa seule compagnie puisse les dédommager de quelque sacrifice. Il se permettra toutefois de faire observer à ces dames que c’est pour la troisième ou quatrième fois que la promenade projetée serait remise, et qu’avant peu, si elles jugeaient à propos de la retarder encore, les frimas et les tempêtes se chargeraient de leur trouver des excuses plausibles pour s’en dispenser tout à fait.

Dans le cas où ces dames auraient oublié le nom du pestiféré en question, elles le reconnaîtront peut-être à l’indéchiffrable griffonnage dans lequel il leur présente ses respects, et sans doute au titre, qui lui est bien cher, du plus dévoué de leurs serviteurs.

V.-M. H.

Le pestiféré espère que tout le monde se porte bien.

Il envoie quelques livres pour monsieur Foucher et des morceaux de terre qui lui ont l’air d’appartenir au fourneau.

Si ces dames ont sous la main les livres que monsieur Foucher a lus, elles peuvent en charger la porteuse de ce billet.

Ce vendredi.

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