À Monsieur Trébuchet.

Paris, 26 décembre 1821.

Mon cher et excellent oncle,

L’an dernier, à cette même époque, c’était nous qui mêlions aux souhaits et aux espérances de bonheur des paroles de consolation, maintenant c’est nous qui vous en demandons. La Providence a voulu que les deux années qui viennent de s’écouler fussent fatales à nos deux familles tour à tour et que les jours solennellement consacrés aux joies et aux félicitations ne fussent pour nous que des jours de regret et de commémoration des morts. C’est en effet, mon cher oncle, au retour de ces belles et douces fêtes de famille que ceux-là pour qui le lien de famille est rompu sentent plus vivement que jamais l’isolement de leur cœur et le vide de leur existence. C’est lorsque mille visages rayonnants vous souhaitent et vous prédisent un heureux avenir que l’on se reporte plus douloureusement que jamais vers la félicité passée, à jamais perdue et que d’autres affections remplaceront si difficilement. Hélas ! mon bon oncle, pardonnez à ce langage bien triste en un jour si riant ; comment fermer l’année qui s’achève sans songer à tout ce qu’elle a entraîné loin de nous de notre bonheur et de nos joies, sans jeter encore un regard sur tous les souvenirs doux et déchirants qu’elle emporte avec elle ?… Je crois qu’il n’est plus de bonheur pour nous, si ce n’est dans l’oubli de ce qui était notre bonheur, et cet oubli est-il possible ? Pardonnez encore, cher oncle ; à cette époque joyeuse toutes les idées lugubres que j’endormais dans la monotonie de la vie habituelle, se sont réveillées d’elles-mêmes et c’est presque malgré moi que je cède au charme pénible de vous en entretenir. Au lieu des vœux de prospérité et des promesses de bon avenir, je ne vous apporte qu’un cœur plein de tristesse et de découragement. Cependant votre sort, à vous, présente mille consolations que je n’aurais pas dû oublier, et en vous parlant comme au frère de notre mère chérie, j’aurais dû me souvenir aussi que je parlais au père d’une jeune famille, remplie d’espérance et de vertu.

Continuez, mon excellent oncle, à la voir prospérer sous vos soins et s’enrichir de vos leçons. Vous êtes digne du bonheur de la paternité, vous qui avez été si digne du bonheur conjugal. Vous avez rempli de félicité la vie de celle qui vous a été si tôt enlevée, vos enfants qui vous restent rempliront de consolation celle que vous êtes destiné à terminer doucement sur la terre au milieu d’eux pour la continuer dans le ciel dans les bras d’êtres aussi chers, de votre épouse et de votre sœur. Agréez ces vœux, ils ne peuvent manquer d’être exaucés. Qu’une nouvelle espérance survive à cette année éphémère ; mais elle ne vous abandonnera que pour se changer en bonheur éternel.

Veuillez, mon cher oncle, reporter nos souhaits ardents à toute votre chère famille que nous représentons si faiblement près de notre Adolphe, et croire à l’attachement profond et dévoué de votre neveu respectueux.

Victor-M. Hugo.

Nous vous devons mille remercîments pour vos envois obligeants, pour toutes vos délicates et paternelles attentions. Croyez que nous y sommes profondément sensibles. Nous vous remercions comme nous vous aimons

Quiberon, Odes et Ballades. De Joseph Rocher. D’Alfred de Vigny. De A. de Saint-Valry. « ... Le même sentiment de peine que j’ai ressenti la première fois que me vint l’idée du soleil continuant à se lever et à se coucher sur mon tombeau, me revient quand je songe que mes amis continuent vivre ensemble quand je ne suis plus parmi eux. » Lettre inédite d’Alfred de Vigny, 18 avril Han d’Islande. Jules Lefèvre, poète, hésitait encore sur la carrière à suivre. Il se fit recevoir médecin, publia des vers très appréciés du Cénacle, mais qui n’eurent pas tout le succès qu’ils méritaient. Pichat, dit Pichald, eut deux succès : Léonidas et Guillaume Tell, représentés tous deux à l’Odéon en 1825 et 1830. Il mourut en 1828. Émile Deschamps, d’abord collaborateur d’Alfred de Vigny pour Othello et Roméo et Juliette, traduisit seul plusieurs drames de Shakespeare, puis des œuvres de Schiller et de Gœthe. Ses Études françaises et étrangères firent grand bruit. Il resta jusqu’à sa mort l’ami très fidèle de Victor Hugo. Gaspard de Pons, poète, camarade de régiment d’Alfred de Vigny et ami des deux poètes. Rocher, déjà juge à Melun en 1823, délaissa bientôt la poésie pour se consacrer entièrement à la magistrature. Saint Valry (Adolphe Souillard), poète, ami très cher de Victor Hugo jusqu’en 1842 ; la politique les désunit. Société littéraire fondée en janvier 1821. Louis de Baraudin, oncle maternel d’Alfred de Vigny, avait été fusillé à Quiberon le 12 thermidor, an III. C’est peut-être le récit de cette mort qui avait inspiré Victor Hugo. Chez le duc de Rohan, qui avait invité Victor Hugo à l’aller voir. Le duc de Rohan-Chabot, ancien mousquetaire, entra dans les ordres après avoir perdu sa femme ; il connut Victor Hugo en 1820, assista en 1821 à l’enterrement de sa mère. Il crut, comme Lamennais, trouver dans ce jeune poète le chantre du catholicisme et lui témoigna dès lors une vive sympathie. Inédite. Collection Louis Barthou. Poète, mainteneur de l’Académie des Jeux Floraux depuis 1816, il collabora au Conservateur littéraire, fut l’un des fondateurs de la Muse française et devint l’ami de Victor Hugo ; il fut auditeur, puis maître des requêtes au Conseil d’État. V. Lettres à la Fiancée, page 46. {{sc|Gustave Simon. Gaspard de Pons. Inédite. Victor Hugo allait partir pour Montfort-l’Amaury, chez Saint-Valry. Bibliothèque nationale. Inédite en partie. Les ministres Corbière et de Villèle donnaient leur démission le 25 juillet ; le lendemain, Chateaubriand, alors ambassadeur à Berlin, se démettait de ses fonctions, et Victor Hugo perdait momentanément son meilleur appui. Réponse de M. Foucher, 4 août : « Un homme souple est un fort vilain hôte dans une famille. » La veuve Martin, sœur du général Hugo. Collection Louis Barthou. « Me permettez-vous de vous donner une commission au nom de l’Académie ? Vous savez peut-être qu’Elle a cru trouver dans le décès de M. de Fontanes une occasion d’offrir à M. de Chateaubriand le titre un peu tardif de maître ès-Jeux Floraux. Il l’a accepté avec toute la grâce possible, et je lui en adresse les lettres. Il me paraît si naturel qu’elles lui parviennent par vous que je m’excuse à peine de vous en donner le soin. Je vous en remercie d’avance pour tous nos confrères. » (Lettre de M. Pinaud, 23 juillet 1821.) Inédite en partie. Victor Hugo était allé passer quelques jours à la Roche-Guyon, chez le duc de Rohan. « Notre malade va aussi bien que nous pouvons l’espérer. La fluxion suit son cours... En définitive, je crois que nous serons sur pied à la fin de la semaine prochaine. » « Comme j’étais chez l’abbé Davaux, une personne y avait annoncé son départ pour La Roche-Guyon, ajoutant qu’elle partait avec un ami. J’ai pensé que vous pourriez bien être cet ami. « (Lettre de M. Foucher du 19 août 1821.) Collection Louis Barthou. Inédite. Bibliothèque Nationale. Victor Hugo allait quitter le n° 10 de la rue de Mézières pour habiter 30, rue du Dragon. Le Figaro, 17 mai 1886. Inédite. Alexandre Guiraud, poète, auteur dramatique ; une de ses poésies, Le petit Savoyard, fut célèbre à l’époque. Cette tragédie ne fut représentée au Théâtre-Français que le 28 avril 1827. L’action de Han d’Islande se passe en Norvège. Victor Hugo parle ici de la lecture des Macchabées, tragédie représentée le 14 juin 1822 à l’Odéon. Collection Louis Barthou. Inédite. Bibliothèque de Philadelphie.

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