Au général Hugo.

Paris, 18 septembre 1822.

Mon cher papa.

Je te réponds courrier par courrier pour te remercier de l’attestation que tu m’envoies, et te prier de mettre autant de célérité à me faire parvenir ton consentement notarié. Je désirerais bien vivement que mon mariage pût avoir lieu le 7 ou le 8 octobre pour un motif impérieux (entre tous les motifs de cœur qui, tu le sais, ne le sont pas moins), c’est que je quitte forcément l’appartement que j’occupe le 8 octobre. J’ai donc prié M. et Mme Foucher de faire commencer la publication des bans dimanche prochain 22 ; elle se terminera le dimanche 6 octobre ; mais ces bans doivent être également publiés à ton domicile, et il faut que, le 6 octobre, on ait reçu à notre paroisse de Saint-Sulpice la notification de la complète publication des bans à Blois, ce qui ne se pourrait faire qu’autant que tu serais assez bon pour racheter un ban à ta paroisse. Le rachat des bans coûte cinq francs ici, on m’assure qu’il doit être moins cher encore à Blois. Tu sens, mon cher papa, combien est urgente la nécessité qui me fait t’adresser cette instante prière. Il s’agit de m’épargner l’embarras et la dépense de deux déménagements coup sur coup dans un moment qui entraîne déjà naturellement tant de dépenses et d’embarras ; il s’agit de plus encore, c’est de hâter mon bonheur de quelques jours, et je connais assez ton cœur pour ne plus insister.

Je suis tout à fait en règle ; j’ai fait lever sur l’extrait de naissance déposé à l’École de droit une copie notariée qui vaut l’original ; quand ton consentement me sera parvenu, je pourrai remplir toutes les formalités civiles ; le papier que tu m’envoies aujourd’hui suffira également pour les formalités religieuses. Les nom et prénoms de ma bien-aimée fiancée sont Adèle Julie Foucher, fille mineure de Pierre Foucher, chef de bureau au Ministère de la guerre, chevalier de la Légion d’honneur, et d’Anne Victoire Asseline. Ces renseignements te seront nécessaires pour la publication des bans.

Nous avons tous bien vivement regretté ici, mon cher et excellent papa, que cet accident arrivé à ton            nous privât du bonheur de te voir prendre part et ajouter par ta présence à tant de félicité. Il est inutile de de te dire combien ton absence me sera pénibles mais je me dédommagerai quelque jour, j’espère, d’avoir été si longtemps sevré de la joie de t’embrasser.

Il est malheureux encore, cher papa, que cet accident te prive de contribuer aux sacrifices que vont faire M. et Mme Foucher. Je ne doute pas qu’il n’y a que l’absolue nécessité qui puisse t’imposer cette économie, et je suis sûr que ton cœur en sera le plus affligé. Tâche cependant de nous envoyer le plus tôt possible le mois arriéré. Tu sens combien je vais avoir besoin d’argent dans le moment actuel. Je te supplie encore, bon et cher papa, de faire tout ton possible pour continuer à mes frères Abel et Eugène leur pension. N’oublie pas qu’Eugène était un peu fou quand il t’a écrit, et donne-lui, si tu le peux, cette nouvelle preuve de tendresse généreuse et paternelle. Pour moi, je ne t’importunerai pas de mes besoins ; à dater du 1er octobre, ma pension me sera comptée ; l’autre ne tardera pas, sans doute, et quoique ce moment-ci m’entraîne nécessairement à beaucoup de frais, en redoublant de travail et de veilles je parviendrai peut-être à les couvrir. Le travail ne me sera plus dur désormais : je vais être si heureux !

Permets-moi, en finissant, mon cher et bien cher papa, de te rappeler combien sont importantes toutes les prières que je t’adresse relativement à l’envoi de ton consentement légal, à la publication et au rachat des bans dans ta paroisse.

Adieu, pardonne à ce griffonnage et reçois l’expression de ma tendre et profonde reconnaissance.

Ton fils soumis et respectueux,

Victor.

J’ai été obligé de rectifier une erreur d’inadvertance dans la pièce que tu m’envoies ; je suis né le 26 février 1802 et non 1801.

M. et Mme Foucher sont bien sensibles à tout ce que tu leur dis d’aimable. Tu verras un jour quel présent ils te font quand je t’amènerai ta fille.

Je t’enverrai incessamment tous ceux que j’ai pu me procurer des journaux qui ont parlé de mon recueil. Il continue à se bien vendre, et dans

peu les frais seront couverts. C’est une chose étonnante dans cette saison.

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