À Monsieur l’abbé de Lamennais, à la Chesnaie.

1er septembre 1822.

Il faut que je vous écrive, mon illustre ami ; je vais être heureux : il manquerait quelque chose à mon bonheur si vous n’en étiez le premier informé. Je vais me marier. Je voudrais plus que jamais que vous fussiez à Paris pour connaître l’ange qui va réaliser tous mes rêves de vertu et de félicité. Je n’ai point osé vous parler jusqu’ici, cher ami, de ce qui remplit mon existence. Tout mon avenir était encore en question, et je devais respecter un secret qui n’était pas le mien seulement. Je craignais d’ailleurs de blesser votre austérité sublime par l’aveu d’une passion indomptable, quoique pure et innocente. Mais aujourd’hui que tout se réunit pour me faire un bonheur selon ma volonté, je ne doute pas que tout ce qu’il y a de tendre dans votre âme ne s’intéresse à un amour aussi ancien que moi, à un amour né dans les premiers jours de l’enfance et développé par les premières afflictions de la jeunesse.

Je vous ai dit plusieurs fois, mon noble ami, que s’il y avait quelque dignité et quelque chasteté dans ma vie, ce n’était pas à moi que je le devais. Je sens profondément que je ne suis rien par moi-même. Je tâche de n’être pas indigne de la mère que j’ai perdue et de l’épouse que je vais obtenir. Voilà tout. Quelque chose me dit au fond du cœur, mon ami, que vous me comprendrez. Il me semble que je vous comprends si bien !…

Victor-M. Hugo.

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