Monsieur le comte Jules de Rességuier, à Toulouse.

Monsieur le comte et cher confrère.

Il y a deux mois environ que je vous écrivis et vous envoyai la collection entière du Conservateur littéraire par une occasion que notre ami Alexandre Soumet m’avait offerte. Je me justifiais dans cette lettre du long silence auquel mes affaires et mes chagrins m’avaient, bien malgré moi, condamné. J’ignore si vous l’avez reçue et je m’empresse de saisir enfin un moment de calme et de loisir pour m’informer, non de cet envoi qui ne vaut pas la peine de nous occuper plus longtemps, mais de votre santé et de votre amitié, deux choses bien précieuses pour moi, et dont je ne sais, en vérité, laquelle m’est la plus chère. Si vous me le demandiez, je ne pourrais que répondre comme cet enfant : je les aime le mieux toutes les deux.

Alexandre qui est toujours malade, ou paresseux, a cependant terminé son Saül, que je préfère à sa Clytemnestre, que je préfère à tout ce qui a paru sur notre scène depuis un demi-siècle. J’attends avec bien de l’impatience la représentation de l’une ou l’autre de ces belles tragédies, qui est fixée au mois de mars au plus tard. Je désirerais vivement que Saül fût joué le premier ; cet ouvrage entièrement original, sévère comme une pièce grecque et intéressant comme un drame germanique, révélerait du premier coup toute la hauteur de Soumet. Le jour du triomphe d’Alexandre sera pour moi un bien beau jour.

J’enverrai peut-être cette année à l’Académie, pour l’une de ses séances publiques, une ode sur le Dévouement dans la peste ; au moins ne renfermera-t-elle aucun sentiment politique.

Et vous, mon cher confrère, que faites-vous au pays des troubadours ? Soumet m’a montré des vers charmants que vous lui avez envoyés dernièrement. En ouvrant l’Almanach des dames, j’ai été agréablement surpris d’y rencontrer votre élégie si touchante et si gracieuse, la Consolation d’une mère ; ce qui, avec quelques vers de Soumet, m’a fait pardonner à l’éditeur le mauvais choix des autres morceaux de son recueil.

Votre ami dévoué et indigne confrère et serviteur,

Victor-M. Hugo.

P. S. — Me permettrez-vous de vous adresser quelques poètes qui désirent concourir aux Jeux Floraux et n’ont pas de correspondant ? Un bien jeune homme, M. F. Durand, auteur du Jeune poète mourant, et envers lequel je crois que l’Académie a au moins beaucoup de sévérité à réparer, m’a fait parvenir une ode pleine de talent, le Détachement de la terre, qui, après quelques corrections, sera, selon moi, très digne d’une couronne.

Au reste vous en jugerez, car j’ai pris la liberté de lui donner votre adresse à Toulouse, en attendant que vous me l’envoyiez d’une manière plus précise. Grondez-moi, si j’ai été indiscret, mais aimez-moi beaucoup, je vous aime encore plus.

Paris, le 17 janvier 1822.

Veuillez présenter, s. v. p., mes hommages à madame la comtesse. Alexandre Soumet, qui est souffrant en ce moment, me charge de mille amitiés et souvenirs pour vous. Veuillez, si vous le voyez, me rappeler au bon souvenir de M. Pinaud ; je compte lui écrire incessamment.

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