Au général Hugo.

27 juillet 1823.

Mon cher papa,

Je me félicitais de n’avoir plus que d’excellentes nouvelles à te mander, lorsqu’un événement imprévu m’oblige à recourir à tes conseils et à ton assistance ; la nourrice à laquelle il a fallu confier notre enfant ne peut nous convenir. Cette femme nous trompe : elle paraît être d’un caractère méchant et faux ; elle a abusé de la nécessité où nous étions de placer cet enfant ; nous l’avons d’abord crue bonne et douce ; maintenant nous n’avons que trop de raisons pour lui retirer notre pauvre petit Léopold le plus vite possible. Nous désirerions donc, mon Adèle et moi, après avoir pris la résolution de le retirer à cette femme, que tu nous rendes le service de lui trouver, à Blois ou dans les environs, une nourrice dont le lait n’ait pas plus de quatre ou cinq mois, et dont la vie et le caractère présentent des garanties suffisantes ; d’ailleurs nous serions tous deux tranquilles, sachant notre Léopold sous tes yeux et sous ceux de ta femme. C’est ce qui nous a décidés à le placer à Blois plutôt que partout ailleurs.

Il est inutile, cher et excellent père, de te recommander une prompte réponse ; la santé de ton petit-fils pourrait être altérée du moindre retard. Je ne te demande pas pardon de tous les soins que nous te donnons ; je sais qu’ils sont doux à ton cœur bon et paternel.

Adieu, cher papa, Eugène va mieux physiquement ; tout le monde ici t’embrasse aussi tendrement que ton fils t’aime. Hâte ton arrivée, réponds-moi vite, et crois à mon amour aussi respectueux qu’inaltérable.

Victor.

Je te fais envoyer la Muse française, recueil littéraire à la rédaction duquel je participe. Je te remettrai à Paris la 2e édition de Han d’Islande.

Il est urgent que la nourrice que tu aurais la bonté de nous procurer, s’il est possible, ait promptement l’enfant, que je ne vois pas sans inquiétude entre les mains de cette femme. Tâche de l’amener avec toi, et en tous cas réponds-moi courrier par courrier, car mon Adèle est très inquiète et n’a plus d’espérance qu’en toi qu’elle sait si bon, et qu’elle aime tant.

Au général Hugo.

3 août [1823].

Mon cher papa.

Pour pouvoir t’exprimer ici la joie et la reconnaissance dont nous pénètre ta lettre, il faudrait qu’il fût possible en même temps de dire tout ce qu’il y a de sentiments tendres et de touchante bonté dans ton cœur paternel. Ainsi tu veux entrer plus encore que moi dans mes devoirs de père, et en effet le premier sourire comme le premier regard de ce pauvre petit Léopold te sera dû. Je voudrais épancher ici tout ce que ta fille et moi ressentons d’amour pour toi, mon excellent père ; mais il faudrait répéter tout ce qui remplit nos entretiens depuis deux jours, et je me borne à ce qui n’excède pas les limites de ce papier.

À la réception de ta lettre, mon cœur était trop plein, et je voulais te répondre sur-le-champ, mais ton avis sage l’a emporté sur mon impatience, et j’ai attendu que ce que tu avais si bien préparé fût exécuté pour pouvoir, en t’exprimant notre vive reconnaissance, te donner en même temps des nouvelles de ton Léopold, de la nourrice et de mon Adèle.

Ta nourrice est arrivée hier matin bien portante et gaie ; elle nous a remis ta lettre, et tes instructions ont été suivies de tout point. Tout le monde a été enchanté d’elle et de son nourrisson. Nous avons dans la même matinée retiré ton pauvre enfant de chez sa marâtre, et il a parfaitement commencé toutes ses fonctions ; je ne sais si c’est illusion paternelle, mais nous le trouvons déjà mieux ce matin.

Adieu, bon et bien cher papa, exprime, de grâce, à ta femme toute notre vive et sincère gratitude ; il nous tarde de la lui exprimer nous-mêmes, et nous t’embrassons tendrement en attendant cet heureux jour.

Ton fils reconnaissant et respectueux,

Victor.

Tu trouveras inclus le mot que je te prie de communiquer au père nourricier. Adieu, adieu.

La santé d’Eugène continue de se soutenir physiquement, mais il est toujours d’une malpropreté désolante. Le Val-de-Grâce n’a envoyé avec lui à Charenton qu’une partie de son linge ; nous nous occupons de rassembler le reste pour le lui faire porter. Ce qui me contrarie vivement, c’est l’extrême difficulté de voir notre pauvre frère à Saint-Maurice.

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