Au général Hugo.

MINISTÈRE DE LA GUERRE.

6 août 1823

Mon cher papa,

Ta lettre m’a causé un véritable chagrin ; et il me tarde que tu aies celle-ci pour m’en sentir un peu soulagé. Comment donc as-tu pu supposer un seul instant que tout mon cœur ne fût pas plein de reconnaissance pour les bontés dont ta femme a comblé notre Eugène et notre Léopold ? Il faudrait que je ne fusse ni frère ni père pour ne pas sentir le prix de ce qu’elle a fait pour eux, cher papa, et, par conséquent, pour moi. Si c’est à toi principalement que se sont adressés mes remerciements, c’est que notre père est pour nous la source de tout amour et de toute tendresse ; c’est que j’ai pensé qu’il te serait doux de reporter à ta femme l’hommage tendre et profond de ma gratitude filiale, et que, dans ta bouche, cet hommage même aurait bien plus de prix que dans la mienne.

Je t’en supplie, mon cher, mon bon père, ne m’afflige plus ainsi ; je suis bien sûr que ce n’est pas ta femme qui aura pu me supposer ingrat et croire que je n’étais pas sincèrement touché de tous ses soins pour ton Léopold ; et comment, grand Dieu, ne serais-je pas vivement attendri de cette bienveillante sollicitude qui a peut-être sauvé mon enfant ? Cher papa, je te le répète, hâte-toi de réparer la peine que tu m’as si injustement causée au milieu de tant de joie, et qui m’a paru bien plus cruelle encore dans un moment où mon âme s’ouvrait avec tant de confiance à toutes les tendresses et à toutes les félicités.

Adieu, je ne veux pas insister davantage sur une explication que ton cœur et le mien trouvent déjà trop longue et dont le chagrin ne sera entièrement effacé pour moi que dans le bonheur de te revoir bientôt ici, ainsi que ta femme.

Tout continue à aller ici de mieux en mieux, mère, enfant, nourrice. Cette dernière continue à se porter parfaitement et gaiement. La lettre de son mari lui a fait grand plaisir, elle me charge de le lui mander, ainsi que toutes les amitiés du monde.

Je compte, maintenant que j’ai quelque répit, aller voir notre pauvre Eugène et lui porter le reste de ses effets demain jeudi. Il continue aussi, du reste, à aller un peu mieux.

Ainsi, cher et excellent père, que nous te revoyions bientôt, et rien ne manquera à nos joies. Réponds-moi promptement, de grâce, et viens, si tu le peux, plus promptement encore. Tout le monde ici t’embrasse tendrement ainsi que la grand’maman de Léopold qui voudra bien sans doute être ma panégyriste et mon avocat auprès de toi, puisque tu ne veux pas être mon interprète près d’elle.

Ton fils dévoué et respectueux,

Victor.

Mon Adèle me charge de mille tendresses pour toi et pour ta femme. Abel se joint à nous ; il se porte toujours bien et t’attend impatiemment.

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