À Monsieur Victor Pavie.

Paris, le 3 janvier 1827.

Votre lettre, monsieur, m’a tenu tout ce que m’avait promis votre article ; j’y ai trouvé le cœur d’un ami et l’âme d’un poëte ; les deux choses que j’aime le plus au monde.

Oui, monsieur, c’est une grande joie que de se voir compris, et de se voir compris par des hommes d’un esprit élevé. De tous les témoignages qui peuvent encourager et rassurer celui qu’une hasardeuse pensée entraîne vers un monde nouveau, la libre approbation de quelques hautes intelligences est le plus puissant.

Tout jeune que vous êtes, vous appartenez à une classe, la seule privilégiée que fasse la nature ; vous avez ce mens divinior qui place l’homme au-dessus des hommes. Et quoique je connaisse encore bien peu de lignes de votre plume, je n’aurais pas de peine à prophétiser votre avenir.

Vous êtes trop bon de vous occuper de mes opuscules ; mais donnez-moi, je vous prie, occasion de m’occuper de quelque ouvrage de vous. Travaillez, de grâce. Que faites-vous ? Vers quel but dirigez-vous la force intellectuelle que la Providence vous a donnée ? Je présume que vous ne la laissez pas inactive. Confiez-moi tout cela, et pardonnez-moi de vous parler ainsi. Il doit y avoir entre nous confiance et liberté ; nous sommes tous deux à peu près du même âge et de la même nature.

Et, pour vous le dire en passant, pourquoi ne feriez-vous point, par exemple, le livre dont vous me tracez une si frappante esquisse ? Moi, qu’une pensée, bonne ou mauvaise, entraîne plutôt vers les applications que vers les théories, je n’aurai sans doute jamais le temps de le faire, ce grand ouvrage, et d’ailleurs vous le feriez bien mieux que moi.

Au reste, monsieur, suivez librement la voie de votre organisation. Obéissez à votre démon. Vous avez tout ce qu’il faut pour tout faire, l’intelligence qui embrasse la création et l’imagination qui la féconde.

Le chêne est en vous ; laissez-le croître.

Victor Hugo.

Au moment de fermer ceci, je reçois mon Feuilleton d’Angers, où je lis la lettre que j’ai adressée à l’Académie provinciale. Recevez, je vous prie, tous mes remercîments et transmettez-les à monsieur votre père. Vous serez bien aimable de me faire lire le Feuilleton d’Angers toutes les fois que vous y mettrez quelque chose de vous.

Mon adresse n’est pas 30 mais 90 [rue de Vaugirard].

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