À Victor Pavie.

Paris, 7 février 1827.

Ne croyez pas, monsieur, je vous prie, que vos aimables lettres puissent jamais m’importuner. Bien au contraire, elles me rafraîchissent l’esprit. J’aime ces épanchements d’une âme jeune, ces confidences d’un cœur élevé et naïf. Les sept ans qui nous séparent me font presque vieux pour vous, et si votre amitié veut bien parfois accorder quelque déférence à la mienne, je l’accepterai par le droit d’aînesse et non par le droit du talent.

Je ne vous ai point dit assez, je ne vous ai point dit au gré de mon cœur et de mon esprit, à quel point vos vers m’ont frappé. Ils ont ce caractère qui est celui des grandes choses de notre poésie renouvelée, ce caractère de grâce et de vigueur, ce mélange de jeunesse et de maturité qui est le cachet de tous nos talents supérieurs. Vous êtes un de ces jeunes hommes du xixe siècle qui étonnent par leur gravité et leur candeur les vieillards faux et frivoles du xviiie. Vous me demandez une direction ? C’est me demander ce qui dépasse ma force. Laissez faire votre pensée ; laissez votre nature achever votre éducation : elle est déjà si admirablement commencée ! Vous ferez, monsieur, tout ce que vous voudrez. Je ne sache rien de grand et de fort que ne promettent vos premières poésies. Cet état même de transition où vous êtes et que vous peignez si bien annonce la crise d’une jeune imagination qui se développe puissamment.

Vous avez été assez bon pour citer mon nom dans un article du dernier Feuilleton où s’empreint votre originale pensée. Je vous remercie ; vous voulez qu’aucun sentiment ne manque à mon affection pour vous ; elle a commencé par la reconnaissance.

Adieu, monsieur. Je n’ai que ce conseil à vous donner : faites de beaux vers et d’excellente prose, et cette prière à vous faire : aimez-moi.

V. H.

Mes souvenirs, de grâce, à monsieur votre père, et ne m’affranchissez point vos lettres ; c’est un soin que mes amis ne prennent jamais.

À Sainte-Beuve.

Je communiquais l’autre matin à monsieur de Sainte-Beuve quelques vers de mon Cromwell. S’il avait velléité d’en entendre davantage, il n’a qu’à venir lundi soir avant huit heures, chez mon beau-père, rue du Cherche-Midi, hôtel des Conseils de guerre. Tout le monde sera charmé de le voir et moi surtout. Il est du nombre des auditeurs que je choisirai toujours, parce que j’aime à les écouter.

Son bien dévoué

VorHugo.

Une ligne de réponse, s’il vous plaît.

Ce jeudi 8 [février 1827].

À Sainte-Beuve.

Ce samedi [mi-février 1827].

Venez vite, monsieur, que je vous remercie des beaux vers dont vous me faites le confident. Je veux vous dire aussi que je vous avais deviné — moins peut-être à vos articles si remarquables d’ailleurs qu’à votre conversation et à votre regard — pour un poëte. Souffrez donc que je sois un peu fier de ma pénétration et que je me félicite d’avoir pressenti un talent d’un ordre aussi élevé. Venez, de grâce, j’ai mille choses à vous dire, ou faites-moi savoir où je pourrais vous trouver.

Votre ami,

V. H.

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