À Monsieur Louis Pavie.

Paris, 15 janvier 1827.

C’est moi, monsieur, moi qui vous dois mille remercîments.

Vous voulez bien inscrire mon nom sur la liste des lecteurs d’un feuilleton de province qui vaut mieux que beaucoup de feuilletons de Paris. Vous faites plus encore : vous m’envoyez de vos ouvrages, pleins de maturité, de raison et d’esprit, et des vers de monsieur votre fils, tout étincelants de jeunesse et de poésie. Ce sont là encore vos productions, monsieur, et je ne croirai point déplaire à votre légitime amour-propre de père et d’auteur en vous affirmant que, quelque remarquables que sont vos ouvrages, votre fils est encore le meilleur de tous. C’est du reste ce qu’on a dit d’Homère à propos de Virgile. Dites bien, monsieur, à votre jeune aiglon, à votre Victor, qu’il est un autre Victor qui lui envierait bien, si l’envie se mêlait à l’affection, son beau chant sur David, le Juif, la Mer et le Lac, composition ingénieuse et inspirée, et surtout sa ravissante élégie de l’Enfant. Dites-lui, à lui, qu’il ne cache pas sa tête sous son aile ; son aile est faite pour planer dans le ciel et sa tête pour contempler le soleil.

Si ses dix-huit ans accordaient quelque droit de conseil à mes vingt-cinq (car j’y touche), je n’aurais à lui présenter que des recommandations purement matérielles. Je lui dirais d’être encore plus sévère sur la richesse de la rime, cette seule grâce de notre vers et surtout de s’efforcer presque toujours de renfermer sa pensée dans le moule de la strophe régulière. Il peut changer de rhythme aussi souvent qu’il le voudra dans la même ode, mais qu’il y ait toujours une régularité intime dans la disposition de son mètre. C’est, selon moi, le moyen de donner plus de force à la pensée, une plus large harmonie au style et plus de valeur à l’ensemble de la composition. Au reste, je ne lui donne ceci ni comme des lois, ni comme des règles, mais comme des résultats d’études, bonnes ou mauvaises, sur le génie de notre poésie lyrique. Chez lui, la pensée n’a rien à faire qu’à se développer librement. Je donne quelques conseils à l’artiste, mais je les soumets au poëte.

Adieu, monsieur, recevez de nouveau l’expression de la reconnaissance et de la haute estime avec laquelle j’ai l’honneur d’être

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Victor Hugo.

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