À Victor Pavie.

Paris, 24 septembre 1827.

Il est vrai, monsieur, que l’état de plus en plus désespéré de ma belle-mère nous livre à de bien cruelles préoccupations, mais il n’a pu me rendre insensible aux deux aimables lettres que j’ai reçues d’Angers depuis votre départ. Il est impossible, en quelque situation de la vie que je me trouve, que je reçoive sans émotion et sans reconnaissance un souvenir de votre bon père et de vous. Loin de là, l’affliction dispose à l’amitié.

Vous avez publié dans le Feuilleton d’Angers deux articles excellents. Vous comprenez les arts en poëte, vous faites de la critique en artiste. Il y a dans votre talent tout à la fois quelque chose de précoce et de mûr. Delacroix est particulièrement enchanté et fier du beau fragment qui le concerne. Il m’a chargé de vous remercier. Continuez cette série d’articles : faites rougir nos journaux de Paris de la supériorité d’un journal de province.

Paul est on ne peut plus touché de ce que vous lui dites d’amical et de fraternel ; il vous écrira un de ces jours. Son drame sera joué dans six semaines ; vous manquerez à ce pauvre Paul pour l’applaudir ou pour le consoler.

Dans quinze jours, vous recevrez Cromwell. Il ne me reste plus qu’à écrire la préface et quelques notes. Je ferai tout cela aussi court que possible ; moins de lignes, moins d’ennui.

Adieu, mais revenez-nous bientôt. Dites à votre excellent père que nous vous voulons absolument pour l’époque du Salon. Il faut aussi que je cause avec vous des monuments gothiques d’Angers. Je vois avec joie que la contagion d’architecture vous a gagné. C’est si beau !

Adieu encore. Vale et me ama.

Votre frère aîné,

Victor.

« S’il me reste un souhait à faire pour votre gloire, c’est que vous mettiez en œuvre un projet que vous énoncez indirectement dans votre dernier volume : poser les bases immuables du Romantisme, de cette poésie que l’on qualifie de nouvelle, parce qu’elle est renouvelée, mais qui peut dater sa naissance à partir du Fiat lux ; démontrer comment la Grèce avec son beau génie, pécha toujours par le fond, puisque sa poésie créa ses Dieux, tandis que la notre en découle ; comment nous sommes portes à replier tout en nous-mêmes, tandis qu’ils s’étalaient tout entiers au dehors ; comment enfin la poésie Romantique n’est autre chose que la poésie d’Homère et de Sophocle, mais retrempée à une source pure, mais régénérée aux eaux du Jourdain. C’est alors que le caractère du poète s’agrandit, qu’il n’écrit plus pour rimer, mais qu’il a une mission d’en haut, et que semblable à l’écho d’une grande voix, il transmet aux hommes des secrets, puisés dans la révélation d’une nature empreinte de Dieu. » (Lettre du 18 décembre 1826.) Réimprimée dans Littérature et Philosophie mêlées. Appendice. Édition de l’Imprimerie nationale. Paul Foucher publia une cinquantaine de drames, entre autres une adaptation de Notre-Dame de Paris, en 1850 ; des comédies, des vaudevilles ; il collabora à plusieurs journaux ; sous l’empire, il devint le correspondant politique de l’indépendance belge. Archives de la famille de Victor Hugo. Père de Victor Pavie. « ... Je vous demande un plan de vie, une règle à suivre, comment étudier, comment produire, je vous demande en un mot comment tirer, en l’isolant, quelques étincelles de ce fluide qui se dégage et s’évapore sans clarté. » (Lettre du 18 janvier 1827.) Sainte-Beuve se destinait à la médecine ; mais dès 1824 il écrivit au Globe des articles de critique littéraire fort remarqués, ce qui le décida, en 1827, à se consacrer à la littérature : les succès qui l’attendaient justifièrent son choix. Il publia plusieurs volumes de vers et deux romans, de grands et beaux travaux sur Port-Royal, mais il dut surtout sa renommée à une critique de plus en plus appréciée qui fit de lui, pendant quarante-cinq ans, un maître très écouté et surtout très redouté.
En 1827, un article de lui sur les Odes et Ballades qui venaient de paraître lui fit connaître Victor Hugo ; il lui communiqua ses premiers vers, et bientôt s’établit entre eux une intimité, une amitié toute fraternelle, les lettres qu’on va lire en font foi ; en quelques années cette amitié se changea, chez Sainte-Beuve, en une haine maladive : il aimait Mme Victor Hugo. À quels excès de rage, de vengeance ont pu le porter cet amour et cette haine, on en jugera par ces lettres d’abord, et plus encore par le livre : Mes poisons, journal intime du malheureux Sainte-Beuve, trop disgracié pour n’être pas méchant.
Archives Spoelherch de Lovenjonl. Note de Sainte-Beuve : « Après mes premiers vers communiqués. » D’après Léon Séché (Sainte-Beuve, tome I), ces premiers vers auraient pour titre : Un jeune poëte italien au tombeau du Taße. — Nos notes sur Sainte-Beuve sont souvent établies d’après la Correspondance générale de Sainte-Beuve, publiée par Jean Bonnerot. Archives Spoelberch de Lovenjoul Attaques violentes anonymes contre l’Ode à la Colonne dans l’Étoile du 10 février et dans le Globe du 15 février 1827. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Célèbre statuaire ; il devint l’ami de Victor Hugo et le resta jusqu’à sa mort. On lui doit, outre le médaillon du poète (1828), deux beaux bustes, dont l’un, celui de 1840, est à la Maison de Victor Hugo. Ardent républicain, David fut nommé, à la révolution de 1848, maire du XIe arrondissement, puis fut élu représentant de Maine-et-Loire à l’Assemblée législative. Emprisonné, puis exilé après le coup d’État, il revint en France et y mourut en 1856. Béclard, savant anatomiste et chirurgien, inventa et perfectionna plusieurs procéda opératoires. Ode à Victor Hugo. Feuilleton d’Angers, 20 mai 1827. Mme Foucher mourut le 6 octobre 1827. Eugène Delacroix, peintre célèbre ; son talent puissant et violent, faisant bon marché des procédés classiques, l’avait fait considérer comme le chef de l’école romantique en peinture. Dante et Virgile aux enfers le révéla ; dès lors, il marcha de succès en succès. Amy Robsart.

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