À Monsieur de La Bourdonnaye, Ministre de l’Intérieur.

Paris, le 14 août 1819.

Monseigneur,

Je suis profondément touché des bontés du roi.

Mon dévouement au roi est, en effet, sincère et profond. Ma famille, noble dès l’an 1531, est une vieille servante de l’État. Mon père et mes deux oncles l’ont servi quarante ans de leur épée. J’ai moi-même peut-être été aussi assez heureux pour rendre quelques obscurs services au roi et à la royauté. J’ai fait vendre cinq éditions d’un livre où le nom de Bourbon se trouve à chaque page.

Monseigneur, ce dévouement est tout désintéressé. Il y a six ans le feu roi daigna m’accorder, par ordonnance royale, et en même temps qu’à mon noble ami, M. de Lamartine, une pension de 2 000 francs sur les fonds littéraires du ministère de l’Intérieur. Je reçus cette pension avec d’autant plus de reconnaissance que je ne l’avais pas sollicitée.

Monseigneur, cette pension, si modique qu’elle soit, me suffit. Il est vrai que toute la fortune de mon père, à peu près, est détenue sous le séquestre par le roi d’Espagne, contrairement au traité de 1814. Il est vrai que j’ai une femme et trois enfants. Il est vrai que je soutiens des veuves et des parents de mon nom. Mais j’ai été assez heureux pour trouver dans ma plume une existence honorable et indépendante. C’est pourquoi cette pension de 2 000 francs, qui m’est précieuse surtout comme gage des bontés du roi, me suffit.

Il est vrai pourtant encore que, vivant de ma plume, j’avais dû compter sur le produit légitime de mon drame de Marion de Lorme. Mais puisque la représentation de cette pièce, œuvre cependant toute de conscience, d’art et de probité, paraît dangereuse, je m’incline, espérant qu’une auguste volonté pourrait changer à cet égard. J’avais demandé que ma pièce fût jouée ; je ne demande rien autre chose.

Veuillez donc, Monseigneur, dire au roi que je le supplie de permettre que je reste dans la position où ses nouvelles bontés sont venues me chercher. Quoi qu’il advienne, il est inutile que je vous en renouvelle l’assurance, rien d’hostile ne peut venir de moi. Le roi ne doit attendre de Victor Hugo que des preuves de fidélité, de loyauté et de dévouement. Je désire, Monseigneur, que Votre Excellence veuille bien mettre cette lettre sous les yeux du roi, avec l’hommage de ma vive gratitude et de mon profond respect.

J’ai l’honneur d’être, Monseigneur, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur,

Victor Hugo.

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