Au roi Joseph.

Paris, 6 septembre 1831.

Sire,

Votre lettre m’a profondément touché. Je manque d’expression pour remercier Votre Majesté.

Je n’ai pas oublié, sire, que mon père a été votre ami. C’est aussi le mot dont il se servait. J’ai été pénétré de reconnaissance et de joie en le retrouvant sous la plume de Votre Majesté.

J’ai vu M. Poinset. Il m’a paru en effet un homme de réelle distinction. Au reste, sire, vous êtes et vous avez toujours été bon juge.

J’ai causé à cœur ouvert avec M. Poinset. Il vous dira mes espérances, mes vœux, toute ma pensée. Je crois qu’il y a dans l’avenir des événements certains, calculables, nécessaires, que la destinée amènerait à elle seule ; mais il est bon quelquefois que la main des hommes aide un peu la force des choses. La providence a d’ordinaire le pas lent. On peut le hâter.

C’est parce que je suis dévoué à la France, dévoué à la liberté, que j’ai foi en l’avenir de votre royal neveu. Il peut servir grandement la patrie. S’il donnait, comme je n’en doute pas, toutes les garanties nécessaires aux idées d’émancipation, de progrès et de liberté, personne ne se rallierait à cet ordre de choses nouveau plus cordialement et plus ardemment que moi, et, avec moi, sire, j’oserais m’en faire garant en son nom, toute la jeunesse de France, qui vénère le nom de l’empereur et sur laquelle, dans ma position obscure, mais indépendante, j’ai peut-être quelque influence.

C’est sur la jeunesse qu’il faudrait s’appuyer maintenant, sire. Les anciens hommes de l’empire ont été ingrats et sont usés. La jeunesse fait tout aujourd’hui en France. Elle porte en elle l’avenir du pays, et elle le sait.

Je recevrai avec reconnaissance les documents précieux que Votre Majesté a l’intention de me faire remettre par M. Presle. Je crois que Votre Majesté peut immensément pour le fils de l’empereur.

Je sais que Votre Majesté a toujours aimé les lettres, et qu’elle les a cultivées avec un éclat tel qu’il a rehaussé jusqu’à une couronne. Aussi votre suffrage, si éclairé et si bienveillant, m’est-il glorieux de toutes les manières. Permettez-moi donc, sire, d’offrir à Votre Majesté, comme un hommage personnel, un exemplaire de mon dernier ouvrage. M. Poinset partant demain, le temps me manque pour le présenter à Votre Majesté sous une forme plus digne d’elle. J’espère que vous le lirez avec indulgence. Vous y verrez, comme dans tous mes autres ouvrages, le nom de l’empereur. Je le mets partout, parce que je le vois partout. Si Votre Majesté m’a fait l’honneur de lire ce que j’ai publié jusqu’ici, elle a pu remarquer qu’à chacun de mes ouvrages mon admiration pour son illustre frère est de plus en plus profonde, de plus en plus sentie, de plus en plus dégagée de l’alliage royaliste de mes premières années. Comptez sur moi, sire ; le peu que je puis, je le ferai pour l’héritier du plus grand nom qui soit au monde. Je crois qu’il peut sauver la France. Je le dirai, je l’écrirai, et, s’il plaît à Dieu, je l’imprimerai.

Ce que vous avez fait pour mon père, pour ma famille, ne sortira jamais de mon cœur ni de ma mémoire. En portant le plus haut que je puis le nom de Napoléon, en le défendant, comme un soldat fidèle, contre toute attaque, contre toute injure, je satisfais tout ensemble ma conscience et ma reconnaissance. J’ai à la fois le double bonheur de remplir mon devoir et d’acquitter une dette.

Je suis avec respect, de Votre Majesté, le très humble serviteur.

Victor Hugo.

À Monsieur Cordellier-Delanoue.

Ce dimanche, 25 septembre [1831].

C’est moi, mon cher et excellent ami, qui renonce tout de suite et à l’instant même à Louis XVI, du moins jusqu’à ce que Strafford soit joué. Tenez-vous ceci pour dit. Et allez, mon ami, le plaisir que j’éprouve à vous faire ce sacrifice est plus grand que le sacrifice, si sacrifice il y a.

Si je trouve quelque autre combinaison, comme de faire nommer Bonaparte dès les premières scènes et de renoncer à l’effet du nom inédit jeté à la fin, je vous la soumettrai comme un ami à un ami, ut decet. Et dans tous les cas on ne jouera Louis XVI, je vous le répète, que quand vous le voudrez, et jamais si vous le voulez.

Je me rappelle fort bien à présent que vous m’aviez dit votre idée et je trouve que la mienne y ressemblait, en effet, beaucoup. À vous donc toute priorité. C’est la première fois, je vous le dis sincèrement, que je me surprends en plagiat flagrant. Cela m’afflige. Est-ce que l’archevêque de Grenade baisserait déjà ?

D’ailleurs, votre vers est sublime et renferme une idée qui est la plus belle, et que je n’ai pas :

… Charles premier, je me nomme Cromwell.

Chez moi, rien de cette grandeur. Bonaparte ne dit pas le vers à Louis XVI, et Bonaparte n’est pas le régicide de Louis XVI.

Merci cent fois de votre bonne et généreuse lettre. Je ne veux pas que Strafford perde un cheveu, ni un vers, et je compte bien l’applaudir bientôt de toutes mes mains et de tous mes poumons.

À vous fraternellement.

Victor.

À Monsieur Cordellier-Delanoue.

30 septembre [1831].

Je vous remercie, mon cher Delanoue, de votre noble et cordiale lettre, comme d’une des plus chères preuves d’amitié que vous puissiez me donner ; mais je persiste. Louis XVI après Strafford. Ce que j’ai écrit, ce que je vous ai dit, ce n’était pas du bout des lèvres, mais du fond du cœur. Ma résolution était fermement prise, et au moment où j’ai reçu votre dernière lettre j’avais déjà abandonné Louis XVI pour une autre victime. À Strafford donc, mon ami ! Je l’aime comme je vous aime. Ce qui vient de votre cœur ira toujours au mien.

Victor.

À David d’Angers.

Samedi soir [septembre 1831].

Mon bon ami, il est minuit. J’arrive du théâtre. Voyez quelle fatalité ! Mlle George a précisément demain, à l’heure dite, une indispensable répétition de Catherine II. Elle vous supplie de l’excuser, et surtout de ne pas renoncer à inscrire son profil sur vos impérissables tablettes de bronze. J’espère que cette lettre, que je vous ferai tenir demain matin, vous arrivera à temps.

À vous du fond du cœur,

Victor Hugo.

Archives Spoelberch de Lovenjoul. Paul Foucher. L’original de cette lettre a été vendu le 21 juin 1892 à l’Hôtel Drouot. Nous n’avons donc pu collationner cette copie. Anatole France a publié cette lettre dans l’Univers illustré du 25 juin 1892. La révolution de 1830 eut une répercussion prolongée sur la situation financière des théâtres ; au début de janvier 1851, la fermeture de la Comédie-Française avait été envisagée ; le bruit courut alors que Victor Hugo et Alexandre Dumas en prendraient la direction. Victor Pavie lui adressa une lettre éplorée : « Un directeur, le confrère d’un Crosnier, d’un Harel, vous ! la femme d’un directeur, une femme comme la vôtre ! Cela est triste à faire pleurer ! Vous voilà mêlé aux cent mille intrigues des coulisses, résiliant des baux, payant des dédits, trafiquant d’acteurs et d’actrices, vous ! » (23 février 1831.) Inédite. Duseigneur ne fut admis à exposer au Salon qu’en 1831. Ses premières compositions s’inspirèrent du moyen âge. Plus tard il se consacra la décoration des églises. Il écrivit une importante étude sur la Sculpture du IV e au XII e siècle. La Esmeralda au pilori, ne fut exposé qu’au salon de 1833. Bibliothèque d’Angers. François Buloz, ses études terminées, fut typographe dans la même imprimerie que Pierre Leroux ; en 1831, il devint directeur de la Revue des Deux Mondes, puis, de 1838 à 1848, commissaire royal près le Théâtre-Français. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Mme Dorval personnifia l’héroïne romantique. Ses plus belles créations furent Adèle dans Antony, Marion de Lorme, Catarina dans Angelo (elle reprit le rôle de la Tisbe après Mlle Mars et y eut un grand succès), Kitty Bell dans Chatterton. Elle dut son engagement au Théâtre-Français à Victor Hugo qui lui témoigna toujours une affection sincère et dévouée. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Sainte-Beuve avait dû avouer à son ami qu’il aimait Mme Victor Hugo. Sainte-Beuve ne fit pas d’article sur Notre-Dame de Paris, dans le Globe. Éditeur de Notre-Dame de Paris. Archives Spoelherch de Lovenjoul. Voici deux extraits de la lettre de Sainte-Beuve : « ... Quelque coupable que j’aie été envers vous et que j’aie dû vous paraître, j’ai cru, mon ami, que vous-même aviez eu alors envers moi des torts réels dans l’état d’amitié intime où nous étions placés, des torts par manque d’abandon, de confiance, de franchise... — Votre conduite, aux yeux de l’univers, si vous l’exposiez, serait irréprochable ; elle a été digne, ferme et noble ; je ne l’ai pas trouvée, à beaucoup près, aussi tendre, aussi bonne, aussi rare, aussi unique, qu’elle pouvait l’être dans l’état d’amitié unique où nous vivions.» (13 mars 1831.) Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à M me Victor Hugo, Revue de Paris, 1er janvier 1905. Archives Spoelberch de Lovenjoul. « J’ai moi-même eu besoin d’attendre bien des jours avant de vous répondre... Il n’était pas entré dans ma pensée de vous offenser le moins du monde dans ma lettre ; l’expression m’en avait paru triste et douloureuse, mais sans aigreur ; je vous avais dit sincèrement là où était ma plaie ; qu’il n’en soit plus question entre nous, mon ami ; car vous l’êtes toujours, non pas malgré moi je vous jure... Si je suis si méchant, si passionné, si inégal, c’est que je suis livré aux caprices de mon misérable cœur. » Lettre de Sainte-Beuve, 3 avril 1831. Gustave Simon. Lettres à Victor Hugo et à M me Victor Hugo. Revue de Paris, 1er janvier 1905. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Le docteur Requin, agrégé de la Faculté de médecine et membre de l’Académie de médecine, a publié plusieurs volumes de pathologie et de philosophie médicales. Marion de Lorme qu’on répétait à la Porte Saint-Martin. Collection Louis Barthou. Sainte-Beuve avait écrit la veille à Victor Hugo, alors chez les Bertin avec sa femme, pour
lui demander les quatre ou cinq premiers vers que François de Neufchâteau avait adressés au
jeune poëte après le concours de l’Académie où Victor Hugo avait obtenu une mention. Sainte-Beuve voulait citer ces vers dans l’article qu’il préparait sur Victor Hugo pour la Biographie des Contemporains, juillet 1831.
Sainte-Beuve devait partir incessamment pour Liège où il avait été nommé titulaire d’une chaire de littérature ; mais il y renonça et expliqua à Victor Hugo, dans une lettre que nous n’avons pas, les motifs de sa décision. Archives Spoelberch de Lovenjoul. 'Archives Spoelberch de Lovenjoul. Écrite le 7 juillet, en réponse à la lettre du 6 ; Sainte-Beuve s’y montre affectueux : « ... Cette lettre qui m’accable et m’afflige beaucoup ne m’irrite nullement, j’ai un regret amer, une douleur secrète d’être pour une amitié comme la vôtre une pierre d’achoppement, un gravier intérieur, une lame brisée dans la blessure... ». — Gustave Simon, Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à M me Victor Hugo. Revue de Paris, 1er janvier 1905. Archives Spoelberch de Lovenjoul. « ... Tâchez, mon ami, tâchez de vaincre le malheureux et noir soupçon qui vous est né ; je sais combien cette plaie est douloureuse, pudique, et combien on rougit qu’une main y touche, même la main la plus délicate et la plus compatissante. Mais que n’avez-vous parlé plus tôt ? Que n’avez-vous, par un mot de confiance, éloigné plus à temps pour vous l’auteur de ce tourment ?... Quelquefois peut-être, plus tard, je vous demanderai de venir dîner avec moi à quelque café... Adieu mon ami, votre ami comme toujours et plus que toujours. » 8 juillet 1851. Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à M me Victor Hugo. Revue de Paris, 1er janvier 1905. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Inédite. Mme Victor Hugo avait quitté Bièvre avec ses enfants et était rentrée à Paris ; Victor Hugo, après avoir accompagné sa femme, était retourné pour quelques jours chez les Bertin. Édouard Bertin, fils aîné de M. Bertin, peintre paysagiste de talent, inspecteur des Beaux-Arts sous Louis-Philippe, directeur du Journal des Débats à partir de 1854. Le ministère avait demanda à Victor Hugo un Hymne aux morts de Juillet, pour l’inauguration du monument élevé au Panthéon en leur honneur. On avait demandé la musique de l’hymne à Hérold, qui venait de remporter le grand succès de Zampa. Victor Hugo avait recueilli la tante Martine, veuve du major Francis Hugo. Bibliothèque Nationale. Ces vers parurent dans les journaux de l’époque, et furent insérés, en 1835, dans les Chants du Crépuscule. Ce siècle avait deux ans, vers publiés dans les Feuilles d’Automne. Sainte-Beuve demandait ces vers pour les insérer dans la biographie de Victor Hugo qui parut dans la Revue des Deux Mondes, 1er août 1831, et pour laquelle une partie de l’article de juillet (Biographie des Contemporains) fut utilisé. Archives Spoelberch de Lovenjoul. La veille Sainte-Beuve lui avait écrit : « ... Est-ce bien sûr qu’on donne Marion lundi ou mardi ? Vous seriez bien bon de ne pas m’oublier pour la répétition générale... Je voudrais bien, mon ami, pouvoir vous être bon à quelque chose dans ceci, mais je ne vois pas à quoi. Si vous aviez quelque service pour lequel je vous fusse bon, j’éprouverais une vraie reconnaissance de vous voir me le demander. » 5 août 1831. Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à M me Victor Hugo. Revue de Paris, 15 janvier 1905. Lerminier, professeur d’histoire et de législation au Collège de France ; ami de Sainte-Beuve et saint-simonien très ardent. Charles Magnin, critique littéraire au Globe, puis au National ; attaché à la Bibliothèque Royale, dont il devint conservateur des imprimés en 1832. Brizeux, poète breton, fit plusieurs articles de critique littéraire et laissa un poème qui eut à l’époque beaucoup de succès : Marie. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Marie Nodier, mariée à M. Ménessier, devait suivre son mari à Metz. Deux articles de Nodier sur Marion de Lorme ont paru dans le Temps, les 31 octobre et 2 novembre 1831. Le roi Joseph avait écrit, de New-York, le 29 juin 1831, à Victor Hugo ; il lui demandait son opinion sur la lettre adressée par lui, le 19 septembre 1830, à la Chambre des Députés, mais qui n’avait pas été lue en séance. Il en promettait la copie à Victor Hugo, copie qui devait lui être remise par M. Presle. Le duc de Reichstadt. Marion de Lorme, préface. Brouillon. Archives de la famille de Victor Hugo. Cordellier-Delanoue collabora tout jeune à la France littéraire, puis aborda tous les genres, poésie, roman, théâtre. Victor Hugo avait eu à ce moment l’idée d’écrire un drame où il aurait mis Bonaparte en présence de Louis XVI, comme M. Cordellier-Delanoue mettait Cromwell en face de Charles Ier. Le drame de Cordellier-Delanoue fut représenté au théâtre de la Porte Saint-Martin le 21 mai 1835 sous le titre : Cromwell et Charles I er. Mlle George, tragédienne célèbre, débuta, à quatorze ans, à la Comédie-Française qu’elle quitta en 1818 ; après de brillantes représentations dans les capitales d’Europe, elle se consacra au drame moderne et créa, avec grand succès, Lucrèce Borgia et Marie Tudor. Sur son déclin elle eut souvent recours à Victor Hugo qui lui témoigna toujours une amitié fidèle et agissante. Drame de Lockroy et Arnould, joué le 29 septembre 1831, au théâtre de l’Odéon.

Share on Twitter Share on Facebook