1832.

À Monsieur Esquirol,
médecin en chef de la Maison Royale de Charenton.

Monsieur,

Il y a quelques mois, on me transmit une lettre adressée à un de mes ... et dans laquelle l’administration de St-Maurice réclamait de la famille de M. Eugène Hugo, mon frère, une somme de cinquante ou soixante francs par an pour subvenir à ceux de ses besoins auxquels l’État ne pourrait pas subvenir. La liquidation de la succession de mon père n’étant pas encore terminée, et ne sachant si, toutes dettes payées, il reviendrait une part quelconque à ses héritiers, je crus devoir offrir sur-le-champ, d’avance, moi-même, la somme que l’administration réclamait, et je chargeai la personne à laquelle la demande était adressée de répondre que M. Victor Hugo paierait, sur la demande de l’administration et sur ses reçus, la somme de soixante francs par an en deux paiements semestriels de trente francs, le jour où l’administration les réclamerait près de lui. J’apprends aujourd’hui que mes intentions n’ont pas été remplies, et que mon cher et pauvre frère attend toujours. Je m’empresse, monsieur, de m’adresser directement à vous et de vous faire savoir que j’ai toujours été prêt, quoique sans aucune fortune et chargé d’une famille de neuf personnes, à faire pour mon frère Eugène ce que l’administration de Saint-Maurice réclamait. Je serais charmé d’en causer avec vous, si vous en avez le loisir, le jour, l’heure et à l’endroit que vous me désignerez. Je voudrais aussi savoir si vous verriez toujours à ce que je visite mon frère les mêmes inconvénients qu’y voyait il y a sept ans M. Royer-Collard.

Je compte, monsieur, sur un mot de réponse de vous, et je vous prie d’excuser la peine que je vous donne et d’agréer l’assurance de mes sentiments distingués.

Paris, 23 janvier [1832].

Victor Hugo.

9, rue Jean-Goujon,
Champs-Élysées.

À Monsieur le général Louis Hugo.

Je t’écris, mon cher oncle, avec des yeux bien malades ; mais le plaisir que j’ai à t’écrire m’empêche de m’apercevoir de mon mal. J’ai reçu ta petite lettre et le mandat pour Martine qui te remercie bien.

Tu as peut-être appris par les journaux qu’un de mes enfants, mon pauvre gros Charlot, avait été malade du choléra. Dieu merci ! nous l’avons sauvé. Mais ta femme qui est mère, se figurera aisément les angoisses de la mienne. Nous espérons comme toi que l’épidémie n’atteindra pas Tulle, car nous serions bien inquiets de vous tous. Paris en est presque délivré.

Voici une nouvelle édition de mes romans que je t’envoie. Tu recevras les autres volumes à mesure qu’ils paraîtront.

Eugène est toujours dans le même état. Ce pauvre frère souffre peu ou point, c’est le seul bonheur qu’un pareil malheur nous laisse. M. Esquirol me défend toujours de le voir, mais j’ai fréquemment de ses nouvelles, et j’ai pris les mesures pécuniaires nécessaires pour qu’il ne manque de rien.

Adieu, mon excellent oncle. Nous vous embrassons tous de tout cœur.

Victor.

5 mai [1832]. Paris.

À Sainte-Beuve.

17 mai [1832].

Je pense, mon cher ami, que vous avez vu Renduel et qu’il vous a dit ce dont je l’avais chargé. Jusqu’à présent je n’ai proposé votre article aux Débats qu’avec une extrême réserve en maintenant tous les privilèges dus à votre talent, et en demandant que l’article fût accepté sur votre nom sans être lu au préalable. Cependant M. Bertin l’aîné, qui a, vous le savez, la plus haute et la plus profonde estime de ce que vous faites et de ce que vous êtes, m’ayant témoigné hier le désir de lire l’article, uniquement pour voir s’il ne renfermait rien de contraire à la couleur politique du journal, je ne pense pas qu’il faille le lui refuser. Je le lui remettrai donc, si vous ne me le défendez pas. M. Bertin est on ne peut plus disposé à insérer, et je suis convaincu que l’article passera. Sinon, je compte toujours sur votre bonne intention pour le National. J’ajouterai ici, en confidence, que le désir de vous avoir aux Débats comme rédacteur littéraire me paraît très grand et perce dans tout ce qu’on me dit. Tenez ceci bien secret. Qu’en pensez-vous de votre côté ?

Maintenant, vous serait-il possible d’ajouter à votre admirable article une page, n’importe où, à la fin par exemple, pour parler de l’édition en elle-même, des nouvelles préfaces, notamment de celle du Dernier jour d’un condamné qui a quelque étendue, sinon quelque importance, et pour dire que lorsque la réimpression nouvelle de Notre-Dame de Paris paraîtra, le journal en reparlera, ainsi que des trois chapitres nouveaux qui sont très longs, et où figure Louis XI. Ceci est dans l’intérêt matériel de la chose et du libraire. Pardon ! si vous y consentez, écrivez-moi s’il est nécessaire que je vous renvoie l’article ou si au contraire vous pouvez faire cette addition sans cela et me l’envoyer assez promptement pour que la remise du tout à M. Bertin ne soit pas trop retardée.

Pardon encore et mille fois merci.

V.

À Sainte-Beuve.

Ce 7 juin, dix heures du soir [1832].

Je rentre, mon cher ami ; l’heure du rendez-vous au National est passée. Mais je m’unis à vous de grand cœur. Je signerai tout ce que vous signerez, à la barbe de l’état de siège.

Votre ami dévoué,

Victor.

À Sainte-Beuve.

12 juin 1832.

Je ne suis pas moins indigné que vous, mon cher ami, de ces misérables escamoteurs politiques qui font disparaître l’article 14 et qui se réservent la mise en état de siège dans le double fond de leur gobelet !

J’espère qu’ils n’oseront pas jeter aux murs de Grenelle ces jeunes cervelles trop chaudes, mais si généreuses. Si les faiseurs d’ordre public essayaient d’une exécution politique, et que quatre hommes de cœur voulussent faire une émeute pour sauver les victimes, je serais le cinquième.

Oui, c’est un triste, mais un beau sujet de poésie que toutes ces folies trempées de sang ! Nous aurons un jour une république, et quand elle viendra, elle sera bonne. Mais ne cueillons pas en mai le fruit qui ne sera mûr qu’en août. Sachons attendre. La république proclamée par la France en Europe, ce sera la couronne de nos cheveux blancs. Mais il ne faut pas souffrir que des goujats barbouillent de rouge notre drapeau. Il ne faut pas, par exemple, qu’un Frédéric Soulié, dévoué il y a un an à la quasi-censure dramatique de M. d’Argout, clabaude à présent en plein café qu’il va fondre des balles. Il ne faut pas qu’un Fontan annonce en plein cabaret pour la fin du mois quatre belles guillotines permanentes dans les quatre places principales de Paris. Ces gens-là font reculer l’idée politique qui avancerait sans eux. Ils effrayent l’honnête boutiquier qui devient féroce du contre-coup. Ils font de la république un épouvantail. 93 est un triste asticot. Parlons un peu moins de Robespierre et un peu plus de Washington.

Adieu. Nous nous rencontrerons bientôt, j’espère. Je travaille beaucoup en ce moment. Je vous approuve de tout ce que vous avez fait, en regrettant que la protestation n’ait pas paru. En tout cas, mon ami, maintenez ma signature près de la vôtre.

Votre frère,

Victor.

Au baron Taylor.

Ce jeudi, 7 septembre [1832].

Je pars, mon cher Taylor, après-demain samedi, à une heure après midi ; je reviendrai à Paris exprès pour la lecture ; mais comme je serai obligé de retourner dîner à Bièvre à six heures, et qu’il y a trois heures de chemin, il faudra absolument que la lecture soit finie à trois heures au plus tard, et par conséquent qu’elle ait commencé au plus tard à dix heures et demie du matin. Je vous serai donc reconnaissant de faire la convocation de ce jour-là pour dix heures. Je serai forcé, moi, de me lever à six heures du matin ; c’est une dure extrémité, mais je m’y résigne. Vous trouverez ci-contre une ébauche de la distribution. J’aurais bien besoin de vos bons conseils pour cela, et vous seriez bien aimable de venir me voir un moment pour cet objet demain ou après-demain avant midi. Vous savez combien est entière ma confiance en vous. Mlle Mars accepte-t-elle ? Monrose désire-t-il ? Que me conseillez-vous à défaut de Mlle Mars, Mlle Anaïs ou Mlle Brocard ? Je voudrais bien vous parler aussi de Desmousseaux que j’aime et que j’estime et à qui je ferai un beau rôle avant peu. Vous voyez que j’ai un million de choses à vous dire, sans compter les amitiés.

Victor.

Il serait fort à souhaiter que M. Ciceri et le dessinateur des costumes fussent au théâtre le jour de la lecture pour que je puisse leur parler.

Projet de distribution :

François Ier

M. Bocage.

Triboulet

M. Ligier.

Blanche

Mlle Mars ou Anaïs.

M. de Saint-Vallier

M. Joanny.

Saltabadil

M. Monrose ou Beauvallet.

Maguelonne

Mlle Dupont.

Clément Marot

M. Samson.

M. de Pienne

M. Geffroy.

M. de Pardaillan (page)

Mme Menjaud.

M. de Cossé

M. Duparay.

Mme de Cossé

Mme Masson.

M. de Gordes

M. Marius.

M. de Vie

M. Bouchet.

M. de la Tour Landry

M. Mirecour.

MM. de Montchenu, de Brion et de Montmorency.

M. Régnier.

M. Albert.

M. Monlaur.

Dame Bérarde

Mme Tousez.

Une femme du peuple

Mlle Petit.

Un médecin

M. Dumilatre.

Victor Hugo.

Vous voyez que j’ai besoin de vos conseils pour ces rôles secondaires,

qu’on peut d’ailleurs distribuer un peu plus tard sans inconvénient.

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