À Victor Pavie.

Paris, 31 mars 1833.

Il y a des siècles que je veux vous écrire, mon ami. J’ai vraiment avec vous, que j’aime le mieux, l’apparence d’un homme oublieux, négligent, distrait, absorbé par sa propre chose, et je vous assure pourtant que rien n’est moins vrai. J’ai toujours pour les vrais amis que je me sais, — et vous êtes des meilleurs et des plus chers, — j’ai toujours un souvenir profond, continuel, doux et triste, dont je me remplis le cœur dans mes heures de loisir et de rêverie. Penser à un ami absent, c’est une des joies les plus graves et les plus calmantes de la vie. J’écris peu, parce que je suis paresseux et presque aveugle ; et puis, voyez-vous, Pavie, en amitié, comme en art, comme en tout, il arrive souvent que d’écrire gâte la pensée.

Vous, dont la vie n’est pas emportée et arrachée de toutes ses ancres par un continuel tourbillon, vous qui êtes à Angers et non à Paris, vous qui n’avez pas une existence publique qui rudoie à tout moment votre existence privée, vous devriez m’écrire souvent, mon ami, et me faire en de longues lettres l’histoire attentive de votre pensée et de votre âme. Ce serait bien à vous ; je me reposerais les yeux sur votre paix et sur votre bonheur.

Dites-moi, il y avait l’autre jour dans votre Feuilleton d’Angers un article bien remarquable, quoique beaucoup trop bon pour moi, signé C. R. Connaissez-vous l’auteur de cet article ? Remerciez-le pour moi. Si je savais où lui écrire, j’aurais plaisir à le faire moi-même.

Écrivez-moi longuement, mon cher Pavie. Parlez-moi de vous, de votre excellent père, de votre frère, si vous en avez des nouvelles. Dites-moi où vous en êtes de la vie.

Quand donc viendrez-vous à Paris ?

Je vous aime et je vous embrasse.

Victor H.

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