À Sainte-Beuve.

[4 février 1834.]

Mon ami,

Il faut être bien sûr des droits que donne une amitié comme la nôtre pour vous écrire ce que j’ai sur le cœur en ce moment. Mais j’aime encore mieux cela que le silence qui peut se mal interpréter. — J’ai lu votre article, qui est un des meilleurs que vous ayez jamais écrits, et il m’en est resté, comme de notre conversation de l’autre jour chez Güttinguer, une impression pénible dont il faut que je vous parle. J’y ai trouvé, mon pauvre ami (et nous sommes deux à qui il a fait cet effet), d’immenses éloges, des formules magnifiques, mais au fond, et cela m’attriste profondément, pas de bienveillance. J’aimerais mieux moins d’éloges et plus de sympathie. D’où cela vient-il ? Est-ce que nous en sommes là ? Interrogez-vous consciencieusement, et dites-moi si j’ai raison. Si j’ai tort, dites-le-moi aussi, et aussi durement que vous voudrez. Je serais si heureux que vous me prouvassiez que j’ai tort.

Avant de clore cette lettre, j’ai voulu relire pour la quatrième fois votre article, et mon impression m’est restée. Victor Hugo est comblé, Victor Hugo vous remercie, mais Victor, votre ancien Victor, est affligé.

Je vous serre bien la main.

V.

À Sainte-Beuve.

7 février [1834].

Je voudrais vous avoir là pour vous prendre la main. Votre lettre est bonne. Je vous remercie, mon ami. J’ai à peine le temps de vous écrire quatre lignes, mais je ne veux pourtant pas laisser ce jour finir sans vous dire que vous allez me faire passer une bonne nuit.

V.

À Sainte-Beuve.

Mardi soir, 1er avril [1834].

Il y a tant de haines et tant de lâches persécutions à partager aujourd’hui avec moi, que je comprends fort bien que les amitiés, même les plus éprouvées, renoncent et se délient. Adieu donc, mon ami. Enterrons chacun de notre côté, en silence, ce qui était déjà mort en vous et ce que votre lettre tue en moi. Adieu.

V.

À Sainte-Beuve,

2 avril [1834].

Entre hommes comme nous, mon cher Sainte-Beuve, quand l’amitié cesse, l’estime doit rester. J’ai besoin de vous entretenir d’une démarche que j’ai faite aujourd’hui près du sieur Buloz et dont Boulanger était le principal objet ; ce qui m’a déterminé à vous demander un quart d’heure de conversation à ce sujet, c’est une lettre inouïe que je reçois ce soir du sieur Buloz, et à laquelle votre nom est mêlé d’une manière qui me fait croire que ce mauvais drôle a tout travesti vis-à-vis de vous. Je m’inquiète fort peu des manœuvres de cet homme, mais non quand elles vous ont pour objet.

Écrivez-moi où et quand je pourrai vous voir dix minutes.

V.

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