À Monsieur Etcheverry, an journal les Écoles.

27 février 1839.

Quels beaux vers, monsieur, et comment vous en remercier ! En vers ? Je souffre trop en ce moment de mes yeux malades. En prose ? j’en suis honteux. Vous m’écrivez dans la langue de Lamartine ; il est dur de vous répondre dans la langue de M. Jourdain. Il le faut bien pourtant. Excusez-moi et plaignez-moi. Je ne demanderais pas mieux que de faire des vers comme vous.

Je lis avec un vif intérêt votre Gazette des Écoles. Il y a dans ce journal, comme dans tout ce qui vient de la jeunesse, quelque chose de noble et d’honnête qui fait qu’on l’ouvre avec plaisir. Les articles littéraires ont beaucoup de poésie. Votre critique sait d’où elle vient et où elle va. Il y a dans tout l’ensemble du journal dignité, gravité et talent.

Courage, messieurs, courage ! vous êtes de la génération qui a l’avenir. En philosophie, en littérature, en religion, vous ferez de grandes choses. En politique, vous achèverez les ébauches ; en littérature, vous continuerez l’œuvre. Depuis longtemps, dans tout ce que j’écris, j’appelle à grands cris le jour où l’on substituera les questions sociales aux questions politiques, le jour où, entre le parti de la Restauration et le parti de la Révolution, le parti de la civilisation surgira. Ce jour-là, ce sera votre jour ; ce parti-là, ce sera vous.

Quoi qu’on en dise, l’époque où nous vivons est une belle époque. L’art et la pensée n’ont en aucun temps monté plus haut. Il y a partout de grands commencements de tout. Félicitez-vous, car vous aurez plus d’une sainte tâche à remplir. Pour moi, je vois sans anxiété les innombrables questions qui s’agitent de toutes parts ; car je pressens l’esprit des nouvelles générations, et je sais que vous arrivez les mains pleines de solutions.

Vous êtes penseur et vous êtes poëte, monsieur. Je me félicite d’avoir eu cette occasion de causer un moment avec vous.

Recevez, je vous prie, l’assurance de mes sentiments les plus affectueux et les plus distingués.

Victor Hugo.

À Léopoldine.

Ce dimanche 12 [Mai 1839].

Envoie, je te prie, ma Didine chérie, à ton amie Clémentine le billet ci-inclus pour son frère qui m’a adressé de jolis vers et dont j’ignore l’adresse. Dis à ta bonne mère que j’ai vu ce matin Charles et Toto. M. Prieur les a réclamés pour la journée. Le thème de concours de Charles est très bien, mais il a malheureusement fait deux solécismes. Cependant rien n’est désespéré.

Dis aussi à ta mère que j’ai oublié sur ma cheminée la lettre pour l’épicier.

A bientôt, chère enfant. Je vous embrasse tous tendrement.

Ton petit père,

V.

À Léopoldine.

Mardi, 25 juin, 8 h. du soir (1839].

Je te réponds tout de suite, chère enfant, afin que cette lettre t’arrive avant ton départ. Ton petit billet m’a fait bien plaisir. Tu t’amuses, tu es contente, cela suffit à tes parents, ma fille ; nous te sentons heureuse, nous sommes heureux.

Il ne faut pas t’étonner si ta bonne mère ne t’a pas écrit. Elle est bien occupée, tu le sais. Elle a toute la maison à tenir, et elle passe tous les jours quatre heures à faire travailler ce pauvre ange de Dédé.

Remercie bien en notre nom l’excellente Mme Chaley et toute sa famille pour les bontés dont tu as été comblée. Moi je te remercie d’avoir copié ces vers. J’ai pris quelques heures aux promenades, aux jeux, aux causeries sous les arbres ; mais puisque cela ne t’a pas ennuyée, je suis content. Cela t’a fait penser à ton père qui n’a besoin de rien pour penser à toi.

À jeudi, ma Didine bien-aimée. Tu vas nous revenir, et cette idée remplit la maison de joie. À jeudi, mon ange.

Ton bon père.

V.

À Auguste Vacquerie.

23 juillet [1839].

Vous m’envoyez des vers charmants, et vos reproches sont des caresses. Je voudrais, moi, vous remercier en vers, et c’est tout au plus si je puis vous remercier en prose. Figurez-vous que je suis dans ces jours décisifs où l’on tourne autour d’une œuvre qu’on a dans l’esprit afin de trouver le meilleur côté pour l’entamer. Vous avez vu l’an dernier combien j’étais absorbé au moment de commencer Ruy Blas. Il y a une sorte de tristesse sombre et mêlée de crainte qui précède l’abordage d’une grande idée. Vous savez cela, n’est-ce pas ? Je suis dans un de ces instants-là. Seulement, l’idée est-elle grande ? Je le crois. Vous en jugerez un jour.

Ma famille sera bien heureuse en vacances, grâce à vous, mon cher poëte. Je voudrais bien en être. Mais j’ai un tas de cathédrales à voir pour nos travaux du comité, et j’aurai à peine six semaines à moi. Vous me regretterez un peu, n’est-il pas vrai ?

Adieu, je suis à vous de toute âme.

Victor H.

Remerciez bien pour moi et les miens votre aimable et excellente

famille.

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