À Madame Victor Hugo, à Villequier.

Paris, mardi 27 août 1839.

J’ai fini mon troisième acte, chère amie. Il est presque aussi long que le premier, ce qui fait que ma pièce a déjà la longueur d’une pièce ordinaire.

Je suis tellement souffrant et la solitude de la maison m’est si insupportable que je vais partir. Je ferai mon dernier acte à mon retour. Il n’y perdra pas, car je suis épuisé de fatigue, et, si j’allais plus loin maintenant, je crois que je tomberais malade. Quand je reviendrai je serai refait, et en huit jours j’aurai fini.

Ainsi, tout est pour le mieux.

J’espère que vous avez fait un bon et charmant voyage et je vous vois d’ici maintenant installés chez mon excellent ami Vacquerie.

Repose-toi bien, mon Adèle, amuse-toi, et dis à tous mes petits bien-aimés de bien s’amuser et d’être bien heureux. Je pense à vous tous constamment et je recommande votre joie au bon Dieu.

J’espère aussi que Charles et Toto travailleront bien en conscience, comme il convient à des têtes couronnées.

Embrasse ma Didine bien-aimée, ma bonne petite Dédé, mon cher petit Toto, mon cher gros Charlot, et embrasse-toi toi-même de ma part, bien tendrement. Je t’aime.

Ton Victor.

À Léopoldine.

Marseille, 3 octobre [1839].

J’ai lu tes deux bonnes lettres, ma Didine, et elles m’ont donné bien de la joie. Tout ce que je vois, le beau ciel, les belles montagnes, la belle mer, tout cela n’est rien, vois-tu. Ma cheminée, mon vieux canapé bleu et vous tous sur mes genoux, cela vaut mieux que les Alpes et la Méditerranée. Je le sens bien profondément en ce moment où je suis seul lisant tes chères petites lettres avec les larmes aux yeux.

Dans une quinzaine de jours, du 15 au 20, je vous reverrai, je vous embrasserai, nous en aurons pour longtemps à être ensemble et je serai bien heureux.

Vois-tu, chère fille, on s’en va, parce qu’on a besoin de distraction, et l’on revient, parce qu’on a besoin de bonheur.

Continue d’être bonne et douce et de faire ma joie. Sois attentive et tendre avec ton excellente mère. Elle vous aime tant et elle est si digne d’être aimée.

Toutes les nuits je regarde les étoiles comme nous faisions le soir sur le balcon de la place Royale, et je pense à toi, ma Didine. Je vois avec plaisir que tu aimes et que tu comprends la nature. La nature, c’est le visage du bon Dieu. Il nous regarde par là, et c’est là que nous pouvons lire sa pensée.

Au moment où cette lettre te parviendra, vous serez sur le point de partir pour Paris. Peut-être même serez-vous déjà partis. Moi aussi, dans quelques jours, je vais commencer mon mouvement de retour. Je laisserai derrière moi le beau temps et le beau soleil, mais devant moi je t’aurai, ma Didine bien-aimée, je vous aurai tous. Toute ma vie est dans vous. Je t’embrasse, chère enfant.

Ton bon petit père,

V.

Écris-moi tout de suite à Chalon-sur-Saône, poste restante.

À Auguste Vacquerie.

Marseille, 3 octobre [1839].

Je ne lis qu’aujourd’hui, cher poëte, votre charmante et douce apostille à la lettre de mon Charlot. Votre message a voyagé à ma suite de Cologne à Marseille et ne fait que d’arriver. J’ai vu en effet de belles choses et dont vous auriez tiré une ravissante poésie. Moi, je n’ai fait que passer, pensant à ceux que j’aime.

Vous êtes parmi ceux-là au premier rang, vous le savez bien, n’est-ce pas ? Vous avez eu pendant un grand mois autour de vous tout ce qui remplit mon cœur. Je vous enviais et je les enviais.

J’avais commencé une longue lettre pour vous. Elle est là. Chaque jour le voyage m’emporte et m’empêche de la finir. — Cela vous montre du moins que je n’ai pas été un instant sans songer à la belle et douce maison de Villequier.

J’ai vu Arles, Avignon, Marseille, les gorges d’Ollioules, Toulon, le ciel de Provence et la Méditerranée. Je vois les plus beaux pays du monde et je vous aime.

Rendez-le moi.

Votre ami.

Victor H.

Je ne vous remercie pas de votre hospitalité si douce pour les miens. Où trouver des mots pour vous dire combien je suis touché ?

J’espère que Madame Lefèvre est tout à fait rétablie.

À Léopoldine.

Cannes, 8 octobre [1839].

Voici quatre dessins pour vous quatre, ma Didine. Je t’envoie à toi la cathédrale de Strasbourg pour faire pendant à celle de Reims ; à mon Charlot, une vue d’une vieille tour magnifique qui est à deux lieues d’ici au milieu de la mer dans l’île Saint-Honorat (j’ai mis l’histoire de la tour à côté du dessin) ; à mon Toto une vue d’un faubourg de Bâle, prise de la place de la cathédrale, et à ma Dédé quelques jolies maisons de Baden avec la porte de la ville. J’espère que vous serez tous contents, et puis je ferai d’autres dessins en arrivant à ceux qui se trouveront les moins bien partagés. Le mieux partagé encore, c’est moi, puisque je sens plus que vous la joie que je vous donne.

Les montagnes qu’il y a derrière le clocher de Strasbourg, ce sont les montagnes de la Forêt-Noire.

Je suis ici dans un lieu admirable où j’étais venu voir la prison du Masque de fer. J’ai vu aussi le golfe Juan où Napoléon a débarqué en 1815. Après-demain je pars pour Paris. J’y serai le 18 ou le 19. Embrasse bien pour moi ta bonne mère bien-aimée. Dis-lui que je compte sur une lettre d’elle à Chalon-sur-Saône. J’ai là une grosse lettre commencée pour elle. Vos dessins m’ont empêché de la finir. Elle la recevra bientôt.

Mon Charlot, te voilà rentré en classe. Travaille bien, sois un bon élève comme tu es un bon garçon, et aime bien ton père qui pense toujours à toi. Je t’écrirai dans la prochaine lettre que j’écrirai à ta mère.

À bientôt mon Charlot chéri.

À bientôt mon Toto. Depuis treize jours je vis sur la mer. J’ai appris à gouverner une barque à voiles, à faire des nœuds droits, des nœuds de garcette, des nœuds d’hirondelle, etc. Je te montrerai tous mes talents à Paris. Te voilà au collège ; travaille bien aussi toi, mon bijou.

Ma Dédé, je t’aime. Tu aimes bien aussi ton papa, n’est-ce pas ? J’ai voulu ramasser ici des coquillages pour toi ; mais je n’ai rien trouvé. Il n’y a que du sable. C’est absurde.

Je reviens à toi, ma Didine. Rends ta mère heureuse et aime-moi, mon ange.

À bientôt, maman ; à bientôt, mon Adèle. Écrivez-moi une bonne lettre, une bien bonne lettre. Je vous aime et je vous aimerai plus encore si vous me faites lire de douces et tendres paroles dont j’ai besoin.

Pour le loyer, prévenez M. Bellanger que je le paierai à mon retour le 18 ou le 19.

Embrasse-moi, mon Adèle, et sois heureuse si tu m’aimes, car je suis à toi du fond du cœur.

Je vous embrasse tous, mes bien-aimés.

Votre père,

V.

Les dessins sont tous les uns dans les autres. Il faut les défaire avec précaution.

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