À Jules Lacroix.

14 avril 1842.

Vous avez cent fois raison, cher poëte : faites un tissu homogène. Dans la langue française, il y a un abîme entre la prose et les vers ; en anglais, c’est à peine s’il y a une différence. C’est un magnifique privilège des grandes langues littéraires, du grec, du latin et du français, d’avoir une prose. Ce privilège, l’anglais ne l’a pas. Il n’y a pas de prose en anglais. Le génie des deux langues est donc profondément distinct dans cette question. Ce que Shakespeare a pu faire en anglais, il ne l’aurait certes pas fait en français. Suivez donc votre excellent instinct de poëte, faites en français ce qu’eût fait Shakespeare, ce qu’ont fait Corneille et Molière. Écrivez des pièces homogènes. Voilà mon avis.

Et puis, je vous aime de tout mon cœur.

À Madame Dorval.

On m’annonce, mon admirable Tisbe, que vous êtes engagée à l’Odéon. J’en félicite l’Odéon. Il faut un miracle pour peupler cette effroyable solitude, mais vous demander un miracle, c’est tout simplement vous demander ce que vous savez faire. J’espère donc ; et votre réapparition sera pour nous tous un grand bonheur.

Vous connaissez certainement le talent et le nom de M. Auguste Vacquerie. C’est un des premiers et des plus nobles esprits de la nouvelle génération. C’est un poëte, dans la plus haute acception du mot. Il a une fort belle pièce qui est reçue à l’Odéon, et dans cette belle pièce un beau rôle qui voudrait être joué par vous. M. Vacquerie désirerait en causer avec vous-même et se présentera chez vous un de ces jours. Je crois qu’il y a dans son œuvre un grand succès, et que vous y feriez particulièrement un effet profond. Voyez et lisez. Je serais charmé, quant à moi, d’être un jour remercié par M. Auguste Vacquerie et par vous tout à la fois.

Je mets tous mes hommages à vos pieds.

Victor Hugo.

30 juillet [1842].

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