À Madame de Girardin.

Mardi matin [2 juin 1846].

Ce que vous m’écrivez, madame, me suffit. Vous êtes admirable en toute chose, en amitié comme en poésie. Je n’ai jamais douté de Lamartine, vous le savez. J’avais été froissé de l’effet public. C’est une si belle chose pour tout le monde, c’est une chose si douce pour moi que cette fraternité entre Lamartine et moi sans nuage depuis vingt-six ans ! Qu’il continue de m’aimer un peu dans un coin de son cœur, moi je ne puis faire autrement que de l’admirer de toutes les forces du mien ! Saluer son nom, louer son génie, glorifier le siècle qu’il remplit et qu’il honore, c’est pour moi un de ces bonheurs profonds dans lesquels on sent un devoir. Qu’il m’aime, rien de plus, et que tout ceci, commencé par un sourire de vous, finisse par un serrement de main entre nous. — Cela ne veut pas dire que je ne serais pas très rayonnant et très fier si Lamartine mêlait quelqu’un de ces jours mon nom à son admirable parole, grand Dieu, cela me comblerait et me toucherait plus que je ne puis dire. Seulement, ce serait du luxe, du luxe magnifique comme celui qui vient du cœur. Faites là-dessus ce que vous voudrez. Tout ce que vous faites est excellent et charmant, parce que tout ce que vous faites vous ressemble. Mais dites-lui qu’à cette heure où j’écris je me tiens pour absolument content et satisfait. Qu’y a-t-il de meilleur au monde qu’une parole de lui redite par vous !

Je crains, chère et illustre amie, de n’être libre ni ce soir, ni demain, mais j’irai certainement avant la fin de la semaine mettre tout ce que j’ai dans l’âme et dans l’esprit à vos pieds.

Victor.

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