À Madame Victor Hugo.

[24 juin 1848.]

De l’Assemblée, 8 heures du matin.

Chère amie, j’ai passé la nuit à l’Assemblée, à la disposition des événements. Ce matin, à six heures, j’ai essayé d’aller te retrouver et vous embrasser tous place Royale. J’ai pu parvenir par le quai, à travers quelques fusillades, jusqu’à l’Hôtel de Ville. J’ai parlé au général Duvivier et j’ai poussé jusqu’à l’entrée de la rue Saint-Antoine. Là, place Baudoyer, il y avait des barricades gardées par la ligne. On se tiraillait. Les officiers m’ont supplié de ne pas aller plus loin, et un représentant qui est survenu m’a fait remarquer qu’en passant outre je risquais de tomber au pouvoir des insurgés qui me garderaient peut-être comme otage, ce qui embarrasserait l’Assemblée. Je me suis retiré, le cœur navré, et bien inquiet sur ma pauvre place Royale. Tous les gardes nationaux, et un professeur de Charlemagne qui était dans la barricade, m’ont assuré pourtant que la place Royale était toujours tranquille. J’espère que, d’ici à ce soir, le passage sera libre et que vous me reverrez tous ; ma pensée est avec vous.

Quelle affreuse chose ! et qu’il est triste de songer que tout ce sang qui coule des deux côtés est du sang brave et généreux ! Dis à notre Charles qu’il ne s’expose pas trop. Qu’il fasse son devoir comme je fais le mien, mais qu’il évite les imprudences.

Nous sommes en permanence, l’Assemblée va rentrer en séance dans quelques minutes.

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