À Monsieur Charles de Lacretelle.

De l’Assemblée, 13 février [1849].

Vous voyez les choses, mon vénérable ami, avec ce coup d’œil sûr et calme des esprits habitués à contempler et à méditer. Les hommes comme vous commencent par juger et finissent par aimer. En vieillissant, l’historien s’attendrit et devient un sage. Votre sévérité même est empreinte de bonté. Vous absolvez les choses parce que vous comprenez les hommes.

Cependant cette placidité sereine n’ôte rien à votre chaleur d’âme, et, quand nos sottises et nos folies sont dignes de colère, votre réprobation est d’autant plus pesante aux mauvais hommes qu’elle vient d’un esprit bienveillant.

L’histoire que nous faisons ne mérite pas un historien comme vous. Aussi je vous félicite de passer doucement votre vie dans vos champs à rêver et à faire des vers. Mais envoyez-moi de temps en temps, à moi lutteur, un de ces mots qui veulent dire : courage ! Le combat n’est pas fini. Nous aurons encore besoin de force et de résolution, nous qui sommes dans la mêlée. Quant à moi, j’ai le cœur à la fois plein de crainte et d’espérance. J’ai une foi profonde dans l’avenir de la civilisation et de la France, mais je ne me dissimule pas les chances de la tempête. Nous pouvons sombrer comme nous pouvons aborder ; je crois à deux possibilités : un naufrage horrible, un port magnifique. Que Dieu nous mène ! nous aidons Dieu.

Share on Twitter Share on Facebook