À Paul Meurice.

Mon cher ami, L’Événement d’aujourd’hui me parvient à dix lieues de Paris, et j’y lis avec regret un feuilleton de votre jeune et spirituel collaborateur M. Gaiffe. Vous savez que je suis un de vos lecteurs les plus sympathiques, nous défendons sur des terrains différents les mêmes principes, et vous permettez dans l’occasion à mon amitié quelques observations. Laissez-moi vous dire que cet article, qui m’a paru injuste pour trois poëtes de talent, m’a vivement contristé. Dans l’idée que je me fais de L’Événement, il me semble que ce n’est pas dans un tel journal que les hommes de talent peuvent être attaqués.

Vous êtes de ceux qui avertissent et qui conseillent le talent, mais en le glorifiant toujours. Et, en particulier, au moment où M. de Musset se présente à l’Académie, L’Événement, journal des générations nouvelles et des idées vraies, doit, comme nous tous, ne le pensez-vous pas, son concours le plus cordial et le plus absolu à ce jeune et glorieux candidat, que je n’hésite pas, pour ma part, à ranger parmi les plus charmants esprits et les plus éminents poëtes de notre temps et de tous les temps.

Au reste, je ne fais là que vous dire ce que vous pensez et que vous rappeler ce que vous faites. Vous n’avez, pour satisfaire les plus généreuses consciences, qu’à rester d’accord avec vos traditions de tous les jours. Si j’étais à Paris, je vous le dirais ; je suis à la campagne, je vous l’écris. Vous me le pardonnerez, n’est-ce pas ?

Je vous serre la main.

Victor Hugo.

17 août [1850].

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