À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, dimanche matin,

28 décembre [1851].

Dumas va à Paris et se charge de te porter cette lettre. Chère amie, j’espère que vous vous portez tous bien là-bas. Je trouverai peut-être de vos lettres aujourd’hui à la poste et ce sera un bien grand bonheur pour moi dans ma solitude. Rien de nouveau ici. J’ai eu pourtant hier matin la visite de deux gendarmes. On m’a un peu pris au corps, fort poliment du reste ; on m’a un peu mené chez le procureur du roi ; on m’a un peu traîné à la police, pour m’expliquer sur mon faux passeport. Le tout s’est terminé par des quasi excuses de leur part, par un éclat de rire de mon côté, et bonsoir. Les journaux de l’opposition d’ici voulaient faire quelque bruit de la chose. J’ai trouvé cela inutile. Au fond ce gouvernement a peur de l’homme du coup d’État et il ne faut pas leur en vouloir de tracasser un peu les proscrits ; je leur pardonne, mais le procédé n’en est pas moins très belge — très welche, comme dit Voltaire.

Il sera peut-être arrangeable de faire quelque chose ici avec la librairie belge qui renoncerait à la contrefaçon. C’est un grand plan. On m’a fait des ouvertures. Nous verrons ce que cela deviendra.

Je travaille beaucoup aux notes que tu sais. Quel dommage que cela ne puisse pas être publié ainsi ! Enfin, nous verrons encore de ce côté-là.

Aimez-moi tous, Charles, Victor, Auguste, Paul Meurice, mes quatre fils, comme je les appelle. J’espère que tous ces chers prisonniers vont bien. Dis à mon Adèle chérie de m’écrire une bonne petite lettre comme l’autre jour. Dumas me presse de fermer ma lettre. Je vous embrasse tous et j’aspire au jour où je ne vous embrasserai plus sur le papier.

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