À Jules Janin.

Bruxelles, 9 juin 1852.

Cher poëte, on m’apporte votre article. J’ai les larmes aux yeux. Je vous écris à tort et à travers, tout droit par la poste. Si on ouvre cette lettre, qu’y trouvera-t-on ? Un cœur qui s’épanche dans un cœur. À cette heure où je vous écris, on vend mes derniers meubles, mais ce n’est pas cela qui m’occupe. Ce qui m’occupe, ce qui me console et me charme, c’est le beau poëme que vous faites de cette pauvre ruine. Jamais vous n’avez été plus éloquent, plus profond, plus doux. Vous prenez dans votre âme l’accent vrai, le cri touchant, le mot cordial. Je vous remercie, je vous remercie.

Un malheur immortalisé par vous n’est pas un malheur. Cette page que vous venez d’écrire surnage sur mon naufrage. Qu’importe ce qui est englouti ?

Cher Janin, on me dit que vous allez venir ici ; est-ce vrai ? Ce serait une grande joie pour ceux qui vous aiment dans cet exil, et pour moi entre tous. Je n’ai plus de maison à vous ouvrir, mais j’ai mes deux bras.

Savez-vous que ces désastres sont bons, et que la providence, dans ces catastrophes, caresse autant qu’elle frappe. Je ne vous connaissais pas bien encore ; je savais de vous le grand esprit, je ne savais pas le grand cœur. Maintenant, je vous vois comme vous êtes, je vous aime deux fois et cela vaut bien un peu d’exil.

À bientôt, si vous venez, à toujours, si vous ne venez pas, et du fond du cœur, ex imo.

Victor Hugo.

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