À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, 8 janvier, jeudi.

Chère amie, je t’ai écrit hier soir par M. Couvreur, du Messager des Chambres. Mais il ne sera pas à Paris avant quatre ou cinq jours. Je profite d’une occasion que me donne M. Lévy pour t’envoyer de mes nouvelles. M. Lévy est l’ami de Crémieux. C’est lui qui m’a apporté le paquet au sujet duquel tu t’es inquiétée. Sois tranquille. J’ai tout reçu. M. Lévy est excellent et continue de m’offrir ses bons offices. J’en userai, et je commence aujourd’hui comme tu vois.

Je t’écris de ma chambre sur la Grande Place, avec un beau soleil et ce magnifique Hôtel de Ville sous les yeux. Hier, j’ai visité l’intérieur de l’Hôtel de ville en compagnie du bourgmestre de Bruxelles, M. de Brouckère, qui me fait très gracieusement les honneurs de la ville. Je continue d’être ici l’objet d’une foule d’attentions. Le Maupas d’ici, un certain baron Hody, qui m’avait envoyé les gendarmes le mois passé, vient d’être forcé de donner sa démission. Mon affaire n’est pas étrangère à sa déconfiture. Je te donne quelques détails à ce sujet dans la lettre que te remettra M. Couvreur.

M. Couvreur, que tu recevras de ton mieux, est un homme intelligent et avenant. Seulement préviens bien nos amis qu’il n’a pas d’argent et qu’il semble avoir ici peu de crédit. Ceci fort entre nous.

Écris-moi toujours de longues lettres. Elles m’intéressent au plus haut point. Mets-y force détails. En choisissant bien les occasions, tu peux tout m’écrire.

Quant à l’affaire délicate dont tu me parles, je crois que le Voyage au pôle nord peut paraître sans inconvénient aucun dans la Revue de Paris en le signant M me Thévenot d’Aunet. Ce nom déroute les malignités. Au reste, juge et décide. Ce que tu feras sera bien. Mais songe qu’il m’importe de porter aide et appui là. Je te remercie dans tous les cas de l’appui et de la chose.

On nous dit ici que Xavier Durieu, Rivière, l’avocat, et Hippolyte Magen, le libraire, sont déportés à Cayenne. J’ai reçu ce matin l’ancien constituant Laussedat dont les biens ont été mis sous le séquestre. Les horreurs continuent en France. — Quant à la Belgique, sois parfaitement tranquille. Les ministres et le bourgmestre me font mille assurances cordiales. Ne crains rien. Je suis ici comme un centre. Ma halle — car ma chambre est une halle — ne désemplit pas. Il y a quelquefois trente personnes, et je n’ai que deux chaises ! — Je vais du reste faire effort pour clore ma porte ; car, si je me laisse envahir, on me prendrait mon temps et j’en ai besoin plus que jamais. Je continue à force mon travail sur le 2 décembre. On m’envoie un journal de modes qui paraît ici et qui s’intitule : Esmeralda. Les journaux belges appellent Bonaparte Napoléon le Petit. Ainsi j’aurai baptisé les deux phases de la réaction, les Burgraves et Napoléon le Petit. C’est déjà quelque chose. — En attendant mieux.

Je t’embrasse, ma bonne et généreuse femme. Tes lettres m’apportent de la force et de la foi. Dis à ma chère petite fille de m’écrire et à tous ces chers enfants de la Conciergerie.

J’attends toujours Charles pour la fin du mois. — Pas d’imprudence en paroles.

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