À Madame Victor Hugo.

Mercredi 31 mars [1852].

Je saisis comme tu vois toutes les occasions, chère et noble amie. Je sais depuis cinq minutes que M. Over Straten, un belge très distingué, homme d’esprit et de cœur, part pour Paris. Il te remettra ces trois mots. J’interromps pour te les écrire une déposition que me font Amable Lemaître et Lachambaudie sur les pontons dont ils sortent. C’est hideux.

Embrasse mon Victor et mon Adèle. Courage à tous. Grand succès à notre cher Paul Meurice. Poignée de main à Auguste. Mon cœur à toi.

À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, 8 avril.

Toujours des improvisations, chère amie. Notre cher et excellent Deschanel qui te portera ce mot, part pour Paris dans une heure. Reçois-le comme un de nos meilleurs amis qu’il est. J’ai vu par quelques lignes de Paul dans l’Indépendance (remercie Paul de ma part) que tu t’étais occupée, et utilement, des sottes rumeurs répandues par l’Élysée sur ma rentrée obtenue. J’avais fait répondre ici immédiatement par ces six lignes :

« Plusieurs journaux annoncent que M. Victor Hugo a été autorisé à rentrer en France. On ne s’explique pas l’origine d’un pareil bruit. M. Victor Hugo a fait obtenir autrefois à M. Bonaparte l’autorisation de rentrer en France. Il n’a pas à la lui demander aujourd’hui. »

Cependant l’Élysée a insisté. Hier l’Observateur belge publiait ceci :

J’ai répliqué par l’envoi suivant :

Te voilà au fait de mon dialogue avec l’Élysée. J’espère que ce mot lui cassera le bec.

Chère maman bien-aimée, j’ai passé hier une bonne soirée. Alexandre Dumas est arrivé, nous avons dîné ensemble et parlé de toi. Il nous a dit comme tout le monde t’aime et te respecte, et je lui ai dit que tout le monde avait bien raison.

Tu as dû voir Hetzel. Il a dû te parler de mon livre, et te faire toucher du doigt les obstacles à la publication. Ces obstacles disparaîtront. M. Trouvé-Chauvel, l’ancien ministre des Finances, est venu me voir tout à l’heure. Je crois qu’il ira à Londres et qu’il s’occupera du mode de publication de mon livre. Ils étaient là trois anciens ministres de 1848, Charras, Freslon et Trouvé-Chauvel. Je leur ai lu quelques pages de mon manuscrit. L’effet a été bon. Trouvé-Chauvel a dit : Ce livre sera un événement et un monument.

Caylus, du National, sort de chez moi. Il part pour l’Amérique. Le directeur du Courrier des États-Unis, journal français de New-York, désire m’acheter le droit de publier mon livre en Amérique. Caylus le verra, lui parlera et m’enverra la réponse. J’aurai une lettre de lui vers le 10 mai.

Voici un extrait d’un journal qui m’arrive :

Il me semble que les journaux d’ici doivent t’intéresser. Avez-vous su cette petite histoire ?

« M. Villemain ayant été obligé de se présenter à l’Élysée pour quelque affaire relative à l’Académie française, M. Bonaparte lui dit d’un ton aigre-doux : « Monsieur Villemain, l’Académie française me boude ; elle n’est pas comme l’Académie des Sciences qui m’a donné trois sénateurs. — L’Académie française est plus heureuse, a répondu M. Villemain, elle vous a donné trois exilés. »

Pour aujourd’hui, voilà mon sac à nouvelles vidé. Quant au cœur, il ne se vide pas. Je t’écrirais cent pages de tendresses que je n’aurai pas commencé. Charles est sorti. Mais je fais sa commission en t’embrassant bien tendrement ainsi que ma Dédé et mon Toto. Je m’ennuie bien de sa prison. S’il s’ennuie autant de mon exil, ce sera une bonne heure que celle où nous nous reverrons. J’ai su le beau succès de Paul Meurice. Félicite-le et embrasse-le pour moi.

Je serre la généreuse main d’Auguste.

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