À Madame Victor Hugo. (Madame Rivière, 37 rue de la Tour d’Auvergne.)

Vendredi 26 mars.

Charles t’explique, chère amie, la hâte de notre lettre. Au reste, si mes lettres sont courtes, elles sont fréquentes, et tu sais d’ailleurs comme je travaille. En conscience, tu me dois des pages pour mes lignes.

Je voudrais pouvoir t’écrire longuement, car j’ai cent choses à te dire. Ces jours passés, j’ai eu la visite d’un élyséen, ancien ami à moi, ami actuel de Louis Bonaparte. Il passait par Bruxelles, m’a-t-il dit, et n’a pas voulu passer sans me serrer la main. Il m’a dit : Louis Bonaparte est désolé de la fatalité qui est entre vous.

— Ce n’est pas la fatalité, lui ai-je dit, c’est son crime. Et son crime est un abîme. — Il a repris : Il sait toute la reconnaissance que sa famille vous doit. Il a hésité cinq jours avant de mettre votre nom sur la liste de proscription. — Ah ! ai-je fait en éclatant de rire, il aurait mieux aimé me mettre sur la liste du Sénat, n’est-ce pas ? Eh bien, dites-lui ceci, c’est que c’est la liste du Sénat qui est la liste de proscription. Être exilé de France, ce n’est rien. Être exilé de l’honneur, c’est la vraie misère.

Le brave homme va être sénateur un de ces jours. Il s’en est allé comme il a pu.

Chère amie, j’écourte ce billet. Hetzel entre, il est minuit. Il part demain à 6 heures du matin. Je comptais pourtant bien encore remplir la page qui est là à côté, mais il faut y renoncer. Je t’envoie, et à mon Adèle, et à mon Victor, et à tous nos amis de la Conciergerie mes plus tendres affections. Il faut que vous m’écriviez tous bien long pour la peine.

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