À Madier de Montjau.

Marine-Terrace, 30 octobre samedi [1852].

Quelques jours avant votre lettre, mon cher collègue, j’avais reçu de plusieurs démocrates de Paris, — et des plus intrépides, une lettre me demandant avis et contenant à peu près les mêmes observations que la vôtre. J’avais convoqué les proscrits de Jersey, et après examen et débat approfondi, mon opinion et l’opinion unanime avaient été de persister dans l’abstention. J’avais été invité à rédiger une déclaration dans ce sens. Votre lettre reçue, en présence des motifs si graves et si bien déduits par vous, nouvelle convocation, cette fois plus nombreuse et réunissant tous les proscrits républicains de toutes nuances. La réunion a eu lieu hier soir. On a persisté dans l’avis de s’abstenir ; la résolution a été prise à l’unanimité moins trois voix. Une déclaration que je rédigerai sera faite dans ce sens. Je m’empresse de vous faire part du résultat. On a considéré que les scrutins de M. Bonaparte étaient un leurre, que son chiffre, puissamment supérieur au chiffre du 20 X bre, était certainement arrêté dès à présent, que si le chiffre de Paris ou de Lyon lui était contraire, il l’altérerait et publierait un chiffre quelconque à sa fantaisie, que par conséquent il n’y aurait pas de manifestation sérieusement possible par le vote, qu’il serait beaucoup plus difficile à Bonaparte de masquer une abstention se manifestant sur une grande échelle que de falsifier un scrutin, que la politique donc était d’accord avec les principes, qu’à coup sûr Bonaparte ne serait pas assez naïf pour tolérer et rendre public un échec à son empire, qu’il fallait donc s’abstenir plus que jamais, et insister sur la mise hors la loi de Bonaparte, et sur la nécessité de se préparer à l’insurrection, droit et devoir unique de la situation. Demain on votera sur les termes de la déclaration. Je pense que je pourrai avant de fermer cette lettre, vous écrire le résultat.

Dimanche 31, 2 heures.

Je reprends ma lettre. Je sors de la réunion. Persistance plus vive et plus unanime que jamais dans l’abstention. La déclaration lue par moi a été votée par acclamation : on a souscrit immédiatement pour l’imprimer et la répandre. Je pense que je pourrai vous l’envoyer par le prochain courrier. Les proscrits hongrois, polonais, italiens, etc. étaient présents. Quant aux proscrits français, trente-huit départements étaient représentés. On pense unanimement que les deux groupes de Londres résoudront la question dans le même sens. Boichot venu de Londres, et présent, est de cet avis. — Je vous écris tout cela bien vite. Si vous vous ralliez, cher et éloquent collègue, à cette opinion, aujourd’hui absolument unanime ici, il serait utile de vous mettre tous à l’œuvre de votre côté immédiatement et d’organiser une immense abstention.

Le 4 approche. Parlez-en à tous nos amis. Le facteur va passer. Je ferme cette lettre. J’ai dit à ma femme combien c’est une noble et charmante femme que Mme Madier de Montjau. Mme Victor Hugo désire ardemment la connaître. Quand donc nous viendrez-vous ? Je vous envoie mes plus cordiales effusions.

V. H.

Amitiés à tous nos amis. Charles vous serre la main.

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