27 décembre 1852.
Cher Meurice, je pense qu’au moment où vous recevrez cette lettre, ma femme vous aura quitté et sera peut-être arrivée ici, avec mon fils, j’espère. Jusqu’à ce moment, je ne sais rien de ce qui se passe à Paris et j’attends avec anxiété. Je ne veux pourtant pas, quels que soient mes soucis, que la fin de l’année se passe sans que je vous aie serré la main et que j’aie déposé mon humble carte aux pieds de madame Meurice. Offrez-lui de ma part ce barbouillage, et si elle trouve ce ciel laid, dites-lui que c’est comme cela qu’il est dans l’exil.
Et puis laissez-moi vous remercier de tout ce que vous faites pour moi et pour nous à Paris ; je suis honteux par moments de toutes les peines, et de tout genre, que nous vous donnons là-bas ; je n’ai à vous donner en échange que le triste merci du proscrit.
Je me rappelle, c’est une de mes joies dans toute cette ombre, les trop courtes journées que vous nous avez données cet été, nos promenades, nos repas en famille, nos rires, nos effusions, toute cette poésie et toute cette gaîté que nous mêlions.
Je pardonne d’avance à l’an prochain de l’hégire impériale s’il doit nous donner encore quelques-unes de ces bonnes semaines-là.
Faites de beaux livres, cher poëte, faites de beaux drames, et pensez un peu à moi. Vous savez que vous avez toujours une partie de mon âme avec vous. Charles vous embrasse et ma fille embrasse madame Meurice.
↑ Extrait de journal collé sur la lettre :
« Puisque nous sommes en plein scandale, voici cette dédicace :
à monsieur le comte de morny.
Monsieur le Comte,
Voulez-vous accepter la dédicace de cette pièce, dont le succès vous revient de droit. Elle doit d’avoir vu le jour à votre protection que vous m’aviez offerte au mois d’octobre dernier, et qui ne s’est ni arrêtée, ni ralentie, quand vous avez eu l’occasion et le pouvoir de la montrer. C’est un fait assez rare dans l’histoire des protections pour que je le consigne ici avec toute l’expression de ma reconnaissance.
Recevez, M. le Comte, l’assurance de ma parfaite considération.
A. Dumas fils.
«Heureusement pour l’honneur des lettres françaises, Victor Hugo vit en exil, avec Félix Pyat, Lamennais, George Sand sont suspects et menacés. Pierre Dupont et Lachambaudie ont été désignés pour la transportation à Cayenne, Lamartine a protesté, et Beranger au moins se tait. »
↑ Le baron Coppens, qui avait participé à la résistance au coup d’État, parvint à gagner la Belgique. Un chapitre de L’Histoire d’un Crime raconte les péripéties de son voyage. Le baron Coppens a été inhumé au Père-Lachaise. On voyait encore, en 1907, l’inscription suivante sur sa pierre tombale :
{{c|histoire d’un crime.
Chapitre XV. Fin. — Comment on sortit de Ham.
Victor Hugo.
Pas d’autre indication. Le baron Coppens avait voulu associer son nom à celui du grand poëte. Cette inscription a disparu.
↑ Cet extrait est collé sur la lettre :
« Aujourd’hui nous rappellerons à propos de M. Lachambaudie une charmante anecdote qu’il nous racontait hier à propos du roi des poètes modernes, qui, si M. Bonaparte se décidait à l’absoudre, ne consentirait pas, lui, à absoudre M. Bonaparte.
victor hugo à montmartre.
« Le 29 juillet 1846, j’allai, accompagné de ma famille et de quelques amis, jusqu’au sommet de Montmartre pour admirer sans danger les illuminations et les feux d’artifice consacrés à l’anniversaire de juillet.
Avant l’heure de la fête, nous parcourions les rues étroites et détournées du Mont des Martyrs, lorsque j’aperçus seul, dans un cabinet de restaurant, Victor Hugo. Aussitôt l’idée me vint de lui adresser quelques vers et nous courûmes vers une auberge où je crayonnai sur un méchant papier bleu, ce qui suit :
Partout où Victor Hugo passe,
De son front, de ses yeux, mille rayons dorés
Sans cesse jaillissant, nous mettent sur sa trace.
De sa présence, amis, nous sommes honorés :
Ce soir, Montmartre est le Parnasse !
pierre lachambaudie.
Une dame de la compagnie se chargea de remettre ces vers au restaurateur pour les faire parvenir à leur adresse, et elle s’esquiva promptement pour éviter d’être vue. Deux jours après, mon concierge me donna trois volumes intitulés : Lettres sur le bord du Rhin avec une lettre ainsi conçue :
Monsieur,
Vous m’avez envoyé cinq louis d’or ; je vous rends trois gros sous. Vous n’en ferez jamais d’autres, monsieur ! Vous donnerez au monde votre âme avec sa foi, et vous recevrez en échange l’indifférence, vous lui donnerez de beaux vers et il vous rendra de la prose, c’est ce qui vous arrive aujourd’hui.
Agréez, etc.
victor hugo.
Je lui répondis sur-le-champ par le quatrain suivant :
Maître, vous vous trompez au sujet de mes rimes ;
Excusez si je vous reprends :
Vous avez reçu cinq centimes,
Moi, trois billets de mille francs. »
↑ La troisième page de cette lettre porte en effet cette dédicace :
Hommage et souvenir à Madame Luthereau.
Victor Hugo.
Jersey, 15 août 1852.