À Hetzel.

24 avril [1853].

Schœlcher me répond ; il ne pourrait mettre dans l’affaire que 500 francs. Restent donc mille francs à trouver. Il me semble que cela n’est pas impossible. Le gros obstacle pour moi est toujours ceci : si vous êtes expulsé de Belgique ? Je ne vous connais pas d’alter ego. Un second Hetzel, ce serait une fameuse trouvaille. — Plus j’examine la proposition Mœrtens, moins elle me paraît acceptable, telle qu’elle est. D’abord, avec le système de l’édition expurgée, le risque du responsable est bien moindre. Il ne pourrait plus être poursuivi comme éditeur, mais seulement comme vendeur et distributeur de l’édition clandestine complète. Grande différence. Il faudrait de toute nécessité, et c’est l’avis unanime autour de moi, remplacer les 500 francs par mois (énormité) par la combinaison que je vous ai indiquée ; on pourrait, pour détruire toute objection, fixer un minimum par mois, 150 ou 200 francs que nous garantirions au prisonnier, et que nous lui paierions chacun selon la proportion de nos parts, vous un quart, moi moitié. Ensuite toute latitude pour la fabrication, je le comprends, mais il faudrait s’entendre sur ceci : dont le prix pourrait être éventuellement beaucoup plus considérable que d’ordinaire. Ici il y a une ouverture par où l’opération tout entière pourrait passer. Songez à tout cela, cher co-proscrit et conmilito. — Faisons de grands avantages, soit, mais que cela n’aille pas jusqu’à l’abandon de toute chance de produit pour vous, l’éditeur, et pour moi, l’auteur. — Je comprends qu’on ne s’engage pas dans une opération avec Pierre Leroux, esprit trouble, s’il en fut ; mais je ne comprends pas autant les objections contre la fabrication ici, aux conditions que voici : Même prix qu’en Belgique, et alors suppression des éventualités ci-dessus ; — mêmes facilités de paiement, au besoin paiement par un tirage, qu’on pourrait concéder, à l’imprimeur, d’un nombre limité d’exemplaires. — Fabrication sous mes yeux (immense avantage, plus d’envoi d’épreuves par la poste, point d’évent de police possible, économie de temps et d’argent), fabrication, dis-je, sous mes yeux des moulages en carton que je vous enverrais et sur lesquels vous feriez clicher.

Charles Leroux, frère de Pierre, vient d’arriver à Jersey ; il sort de chez moi ; il est au fait, me dit-il, du moulage et même de ses progrès tout récents ; il s’est engagé à m’apporter dans quelques jours une page moulée par lui que je vous enverrai comme spécimen de ce que seraient les matières faites ici, et dont vous jugerez.

Je crois très utile d’avoir le livre en clichés, pas d’emmagasinage, nulle crainte des saisies d’éditions, on tirerait au fur et à mesure des besoins ; on pourrait vendre les clichés en Allemagne, en Suisse, en Amérique, avec des droits de tirage. Tout ceci me paraît faisable, même avec, surtout avec notre imprimerie à nous, si elle se réalise. Mais pour cette imprimerie, n’oubliez pas ces deux points essentiels : 1° votre alter ego ; 2° solution préalable de la question contrefaçon. — Je n’ai plus que quatre lignes. Tout est bien ici. Le discours que je vous ai envoyé est dans tous les journaux avec force dithyrambes. On le vend en anglais et en français (deux tirages) au profit de la caisse de secours. On le fait passer à force en France ; on me dit que l’effet est excellent partout. Nos petits terroristes locaux se taisent. L’immense majorité républicaine est avec les idées de toute ma vie. — Occupez-vous un peu de l’édition des discours, et pressez Tarride. — Le moment va être bon. Adieu, et à vous, et à tous nos amis. Ex imo corde.

Les plus tendres amitiés de Charles — et de tout le groupe de Marine-Terrace, qui vous désire. Charles s’occupe de vous et va vous écrire. Charles Leroux me dit qu’avec la meilleure matrice-carton du monde, on peut faire de mauvais clichés, si la fonte est réfractaire ou le fondeur malhabile.

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