À Hetzel.

5 mai [1853], Marine-Terrace.

Voici : M. Charles Leroux (frère de Pierre) m’avait remis ces jours passés une matrice-carton de mon discours pour que vous puissiez juger de son savoir-faire en ce genre ; mais d’après votre lettre, que je reçois aujourd’hui, je vois que le carton ne vous suffit pas, et c’est juste. Voulez-vous, pour savoir à quoi nous en tenir sur le talent de clicheur de Ch. Leroux, que je lui demande le cliché en plomb d’une page ? Je vous l’enverrais par un de nos amis qui part le 9 pour Bruxelles ; mais pour cela il faut me répondre courrier par courrier oui ou non. Il serait inutile de donner gratuitement cette peine à Ch. Leroux, si nous ne devons pas nous en servir.

Cependant, si, épreuve faite, il se trouvait que Ch. Leroux sait clicher, que penseriez-vous de ceci ? lui faire exécuter sur-le-champ le livre entier en caractères neufs, et vous l’envoyer tout cliché dans une caisse à Bruxelles, où vous tireriez ? Voici les questions qu’il faudrait résoudre : 1°, la caisse pourrait-elle entrer en Belgique ? Y aurait-il des difficultés de douane ? 2°, quel accord serait fait pour le prix ? Ne faudrait-il pas demander un devis à l’imprimeur (un polonais appelé Zéno, les Leroux n’y sont qu’ouvriers) ? quels arrangements prendraient les éditeurs pour payer l’imprimeur ? etc. Et toutes les questions pratiques qui découlent de celles-ci et que vous savez mieux que moi. — Il me semble, si Ch. Leroux est bon clicheur, et si toutes les questions ci-dessus peuvent être résolues d’une façon satisfaisante, que la chose serait à merveille ainsi.

On composerait sous mes yeux. Je vous enverrais les épreuves au fur et à mesure, et vous feriez imprimer à Bruxelles en même temps l’édition expurgée. Quant à l’expurgation, je vous enverrais sur l’épreuve mes indications à l’encre rouge, en vous laissant toute latitude pour multiplier les retranchements, absolument comme vous le jugeriez utile. Je pense comme vous qu’il faut que l’expurgée soit inattaquable pour bien couvrir l’autre.

Ceci, du reste, ne nous empêcherait pas de faire notre imprimerie, au contraire. Mon livre s’imprimant tout de suite, je pourrais porter ma souscription à 2 000 francs ; et les clichés des Châtiments seraient une bonne propriété, une vraie vache à lait. Que dites-vous de tout cela ? Répondez-moi bien vite, car notre ami part pour Bruxelles le 9, et ce serait une occasion unique pour vous faire porter les clichés de Ch. Leroux. Plus tard, nous n’aurions que la poste. Frais et périls.

Toutes vos réponses sont bonnes et me vont. Va donc pour Samuel, donc pour Mourlon. Je trouve juste et à propos que vous ayez pour alter ego un gendebien. Dites-moi : je suis tranquille, et je le serai.

Les caractères de l’imprimerie d’ici sont anglais, et fort convenables. Du reste, pourvu que cela soit propre et lisible, c’est l’essentiel. Nos livres proscrits ne sont pas tenus à être coquets. Ce qui n’empêche pas Nap.-le-Petit d’être un véritable Elzévir.

Je vous envoie la copie de la lettre de M. Mœrtens, avec mes notes en marge comme vous le souhaitez.

Dans le cas où nous ferions l’affaire imprimerie il va sans dire — c’est ainsi que vous, Schœlcher et moi le comprenons — que personne ne serait engagé en quoi que ce soit au delà de sa mise de fonds.

Tout ce que vous me dites du discours me charme. L’effet est bon partout. J’ai reçu à ce sujet de Belgique de bien excellentes lettres, une entr’autres de Noël Parfait. Remerciez-le pour moi en attendant que je lui écrive. En Angleterre, presque tous les journaux reproduisent le speech, quelques-uns en français, et tous en parlent, même les journaux de sport. Ils en disent (en moins bons termes) ce que vous en dites. Je crois que c’est une bonne pierre dans notre fronde. Remerciez mes amis de Belgique de leur idée de réimpression. Nous avons une petite édition ici qui passe en France à force. Prenons le Bonaparte par les deux frontières. Je compte sur votre promesse de m’envoyer quelques exemplaires de votre édition belge. — Pressez, je vous prie, les Œuvres oratoires (fiat voluntas tua), puisque vous trouvez le titre bon, c’est qu’il est bon. Mais, en définitive, Tarride répondra-t-il à mes questions sur Cappellemans ? Y a-t-il en somme quelque chose de perdu ? ou avez-vous tout retrouvé ? Si quelque chose est perdu, qu’est-ce ? On a une note à l’imprimerie, écrite de ma main, où est détaillé tout le contenu des deux volumes. Il est donc facile de voir si quelque chose manque. Il serait important que je fusse renseigné sur cela, et renseigné d’une façon détaillée et précise. Voulez-vous prendre encore cette peine ?

Vous avez raison quant à universelle, mais, ici, c’était nécessaire. Je vous expliquerai cela, le jour où vous nous donnerez cette grande joie de venir dans notre cabane.

Je suis charmé d’aller côte à côte avec Bancel. C’est un noble et jeune et généreux cœur, et un beau talent. Serrez-lui la main pour moi quand vous le rencontrerez.

Les Châtiments sont très attendus et très annoncés partout, et particulièrement en Angleterre. Un journal anglais que je viens de lire les annonce ainsi : « Victor Hugo va dépasser Nap.-le-Petit. Il prépare un livre terrible, un livre à faire frémir les statues de marbre »;

Répondez-moi tout de suite quant au cliché. Si Ch. Leroux cliche bien, par hasard, ce serait une trouvaille.

Tout mon groupe (Charles compris) est utile ici pour une chose dont je vous parlerai prochainement et qui entrerait parfaitement dans le cadre de nos opérations. Il serait donc difficile, impossible même, de vous le prêter.

Je n’ai plus que la place de vous embrasser. Mettez-moi aux pieds de madame Hetzel. Vous me parlez de ma fille en me parlant de la vôtre. Nos deux cœurs se mêlent dans cette douleur.

À vous. Ex imo.

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