À Madame de Girardin.

Marine-Terrace, 9 janvier 1853.

Ma femme m’est revenue parlant de vous avec tout son cœur que vous connaissez. Vous allez avoir un immense succès, et j’en suis joyeux dans mon trou noir. Lady Tartuffe ira aux nues. Vous voyez que je suis plus à Paris que je n’en ai l’air.

Ma femme me conte que mon manifeste vous a un peu effarouchée. Il ne dit rien pourtant que ce qui est à chaque page de Nap.-le-Petit. L’insurrection contre cet homme, droit et devoir. Et puis, je veux sauver sa tête, et par conséquent toutes les autres têtes. Je ne vois pas bien clairement ma férocité. Expliquez-la-moi.

J’introduis de nouveau près de vous une personne digne de vous approcher, car c’est un noble esprit et un noble talent. Mme Jul. Dillon. Vous l’avez vue chez moi, et, je crois, chez vous. Vous l’avez entendue. Elle donne au piano, cette bête de bois, une âme magnifique. Elle vous aime et vous admire, recevez-la, je vous prie, comme vous me recevriez moi-même. Elle n’ose pas vous approcher sans un mot de moi. Vous ne feriez pas peur à un homme, mais vous faites peur à une femme, et c’est tout simple. Il y a dans les êtres comme vous quelque chose des dieux. Les auréoles sont pleines d’éclairs.

Hélas ! je ne serai pas à Lady Tartuffe ! L’exil est lourd, vous le voyez. Je serais féroce que j’en aurais le droit, convenez-en.

Je vous baise tendrement les mains. Ma femme et ma fille vous embrassent.

Victor Hugo.

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