À Louise Colet.

Marine-Terrace, 12 janvier [1854].

Le conseil que vous me demandez veut une prompte réponse, car je sais comme l’Académie est traître. C’est une tortue qui a des coups de foudre. On dort sur la foi du fauteuil. Crac ! c’est fini. Plus rien à faire. Donc je me hâte. Le concours est peut-être déjà en examen. Oui, prenez M. de Vigny. C’est un beau talent et un noble esprit. Seulement, quelquefois, il se croit obligé par la dignité à la froideur. Tâchez d’avoir quelqu’un du côté Mignet-Barante-Patin. Il y a une excellente âme : c’est Pongerville. S’il n’était pas jusqu’au cou et jusqu’au licou dans le 2 décembre, je lui écrirais. Mais je crois que vous pouvez l’avoir aisément. C’est dommage aussi que Leb. soit sénateur. Quant à Mérimée, le Sénat lui va. J’écrirai certainement à Villemain quand et comme vous voudrez. Je serai charmé d’avoir son livre. Paul Meurice me le ferait parvenir.

Savez-vous que maintenant me voilà plus intéressé au prix que vous-même ! Vous viendriez à Londres ? — à Jersey peut-être ! Que l’été se comporte comme il voudra, me voilà sûr du soleil.

Sûr ? Hélas ! il faut encore que l’Académie y consente. Quelle drôle de chose ! il faut l’exeat de ces bons 39 pour que la poésie vienne visiter l’exil !

Remerciez Pelletan de sa future lettre. Dites-lui bien que je l’attends, que je la veux. Et, puisque je ne puis serrer sa main, permettez-lui de baiser la vôtre. Comme le Castillan, debo a un maravedi, do a un doblon.

Envoyez-moi une adresse intermédiaire sûre. J’y ferai déposer le livre, et vous pourrez l’y faire prendre. En attendant, voici encore quelques vers.

Noble et chère et charmante femme, continuez d’avoir foi. Où sera la foi, où sera l’espérance, si ce n’est dans les âmes pleines de lumière comme la vôtre ? Ce que vous dites du peuple est bien, mais on lui mettra l’aiguillon au flanc, à ce taureau.

Puisque ceci est une page blanche, pourquoi n’y pas écrire un mot ? Je cause avec vous jusque sur le dernier bout de papier, comme ces gens qui vous retiennent par le bouton de l’habit sur le pas de la porte. Figurez-vous qu’en ce moment on veut pendre un homme à Guernesey, et que je ne veux pas. L’homme, un assassin, est peu intéressant, mais le gibet l’est encore moins. J’ai donc écrit une lettre aux habitants de Guernesey — mon épître aux corinthiens — pour leur dire : ne pendez pas. Je vous enverrai cette lettre un de ces jours. Elle paraît demain dans les neuf journaux de l’archipel. Qu’adviendra-t-il ? Qui sera vaincu ? Sera-ce le progrès ? Sera-ce le gibet ? Les guernesiais sont très montés contre leur pendu. Tout ceci fait une grande émotion dans nos îles. Priez pour mon misérable client !

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