À Paul Meurice.

Marine-Terrace, 31 janvier [1854].

Vous trouverez sous ce pli, cher et doux poëte, une prose un peu sœur de votre poésie. C’est ce que j’appelle mon épître aux Guernesiais. Il s’agit, comme vous savez, de faire donner signe de vie à la démocratie en renversant le gibet et en sauvant un homme. Je vous envoie ce speech, qui vous parviendra, je pense, vu qu’il ne touche en rien le 2 décembre. Il se prépare une édition moins laide que je voulais vous adresser, mais il fendrait attendre encore. Va donc pour ce papier à sucre et ces têtes de clous. Maintenant voici : — le flegme guernesiais s’est ému sur mon speech ; les pétitions pullulent. Un sursis est obtenu. Nous espérons gagner le procès. Ce serait un grand fait. Mais il nous faudrait un coup de collier parisien. J’ai fait envoyer (avec des lettres de moi) le speech au Siècle et à la Presse. Si vous voyez par bonne aventure Girardin ou Havin, parlez-leur-en. Un mot des deux journaux aiderait beaucoup et piquerait d’honneur les anglais. — Du reste, nul péril. Cela ne touche pas à la politique. On peut bien, je crois, sauver la vie d’un homme en Angleterre sans que M. Bonaparte le trouve mauvais.

À l’autre affaire à présent. J’ai vu les propositions de ces messieurs. En l’état, elles sont peu admissibles. Je consentirais à toutes les conditions de détail qu’ils indiquent, mais se sont-ils bien rendu compte de cette énorme réduction de prix, qui est presque un rabais de moitié ? Je m’adresse à leur conscience en laquelle j’ai confiance entière. Cela ne semblerait-il pas abuser un peu de la situation ? Qu’ils calculent, frais, prix, etc. et qu’ils voient la part qu’ils se réservent. Je les sais tous très honnêtes, et je me borne à faire cet appel à leur propre jugement. Déjà, le traité de 1832 étant un rachat de traités antérieurs, le prix stipulé était un rabais. Rabattre aujourd’hui sur ce rabais, n’est-ce pas un peu excessif ? Je les fais juges eux-mêmes. S’ils persistaient dans cette dépréciation des deux volumes de poésie, il n’y aurait plus qu’à exécuter purement et simplement le traité de 1832. Mais voyons. Ne puis-je point faire moi-même de concessions ? Si vraiment.

J’admettrais, vu la réduction des deux volumes à 12 fr., un rabais — et même un rabais d’un quart. Je consentirais à 9 000 fr. payés comme il est dit au traité. Je consentirais aux autres conditions indiquées, en leur nom, dans votre lettre. Chaque volume contiendrait autant de vers que les feuilles d’automne. Si cela leur va, je suis prêt à signer. Sinon, tenons-nous-en à l’ancienne convention. — Dans ce dernier cas, seriez-vous assez bon pour prier M. Gosselin de m’écrire lui-même (il est homme de trop bonne compagnie pour oublier que je lui ai écrit) si lui et ses associés sont prêts à exécuter le traité de 1832 cette année ; car, s’ils n’étaient pas prêts, la conséquence serait qu’ils consentiraient tout naturellement à me laisser publier mon premier roman en dehors d’eux et à reporter leur privilège (du traité 1832) sur mon deuxième roman. S’ils sont prêts, mon premier roman publié leur appartient. Veuillez, je vous prie, lire ma lettre à M. Gosselin dont je connais toute la bonne grâce et lui répéter que je le prie de vouloir bien m’écrire lui-même la réponse, ce qui est même nécessaire en sa qualité de signataire du traité.

Je prendrai un parti selon ce qu’il m’écrira.

Du reste, si ces MM. fixent, d’accord avec moi dans ce cas spécial, le prix des deux volumes de poésie (nombre du traité 1832) à 9 000 fr., je suis prêt à conclure la convention nouvelle. Mais il faudrait qu’ils eussent la bonté de se hâter dans l’intérêt même de l’affaire, car il me faudra toujours bien au moins trois mois pour finir et mettre en ordre les deux volumes. — Que de peines je vous donne ! Comment vous remercier ? en vous aimant.

V.

J’écris à la hâte. S’il y a quelque chose à adoucir dans ma lettre adoucissez. Je veux les formes les meilleures.

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