À Michelet.

9 mai. — Hauteville-House [1856].

Votre noble et douce lettre m’arrive. Merci avec l’âme et avec le cœur. Je lis en ce moment — dans un charme qui croît de page en page — votre livre exquis et profond, l’Oiseau. Vous êtes le véritable historien, car il y a tous les souffles en vous, la philosophie qui vient des tombes et la poésie qui vient des étoiles.

Ce que vous me dites du Crucifix est vrai. Il est de fer maintenant, et l’on en martèle les crânes pour y tuer l’idée. Mon sentiment est le même que le vôtre, et je vous approuve et je vous seconde de mon mieux dans votre grande lutte contre la forme vieillie et devenue spectre. Seulement, — et vous ne me blâmerez pas en cela, — je ne puis oublier que Jésus a été une incarnation saignante du progrès ; je le retire au prêtre, je détache le martyr du crucifix, et je décloue le Christ du christianisme. Cela fait, je me tourne vers ce qui n’est plus qu’un gibet, le gibet actuel de l’humanité, et je jette le cri de guerre ; et je dis comme Voltaire : « Écrasons l’infâme ! », et je dis comme Michelet : « Détruisons l’ennemi ! ».

Quant à ce mot Dieu, ou demi-Dieu, appliqué à un homme, si vous allez jusqu’à Ce que dit la bouche d’ombre, vous verrez, — et vous pressentez certainement, même sans lire cela, — dans quel sens je l’emploie.

Oui, nous faisons la même œuvre, vous, avec votre prose de flamme et d’airain ; moi, comme je peux. Je suis comme vous tout soulevé du souffle sombre de la nature, et, par moments, quand un de vos splendides livres apparaît, vous me faites l’effet de passer dans un tourbillon.

Votre ami,

Victor Hugo.

Paul Meurice m’annonce de votre part le volume des Guerres de religion. Merci de cette manne dans ma solitude ; dès que je l’aurai lu, je vous écrirai.

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