À Madame David d’Angers.

Guernesey, 13 mai 1856.

Je ne veux pas, madame, que cette lettre parte sans vous porter mon remerciement, mon respect et mon souvenir. Vous êtes la veuve de notre grand David d’Angers, et vous êtes sa digne veuve comme vous avez été sa digne femme.

À cette heure, toutes les fois que je me tourne vers la patrie, c’est seulement vers les ombres que je me tourne, car c’est là qu’est la gloire, la fierté, la grandeur des âmes, la lumière ; et il y a maintenant plus de vie dans les morts que dans les vivants.

David est une des ombres auxquelles je parle le plus souvent, ombre moi-même. Mon exil est comme voisin de son tombeau, et je vois distinctement sa grande âme hors de ce monde, comme je vois sa grande vie dans l’histoire sévère de notre temps. Soyez fière, madame, du nom grave et illustre que vous portez. David est aujourd’hui une figure de mémoire, une renommée de marbre, un habitant du piédestal après en avoir été l’ouvrier. Aujourd’hui, la mort a sacré l’homme et le statuaire est statue. L’ombre qu’il jette sur vous, madame, donne à votre vie la forme de la gloire.

Je suis heureux que le livre des Contemplations ait été lu par vous. Vous y avez retrouvé nos chers souvenirs et nos aspirations communes. L’exil a cela de bon, qu’il met le sceau sur l’homme et qu’il conserve l’âme telle qu’elle est.

Avant peu, peut-être, madame, ma famille vous demandera de lui rendre ce buste qui est ma figure, ce qui est peu de chose, mais qui est un chef-d’œuvre de David, ce qui est tout. C’est lui encore plus que moi, et c’est pour cela que nous voulons l’avoir parmi nous.

Je mets à vos pieds ma tendre et respectueuse amitié.

Share on Twitter Share on Facebook