À Paul Meurice.

Dimanche 6 avril.

Un esprit comme le vôtre est tout un public, vous avez à la fois la pénétration de l’élite et l’intuition de la foule, étant artiste comme le ciseau qui sculpte et poëte comme le vent qui souffle. Aussi vos lettres me charment ; elles me font l’effet de commencer pour ce livre que vous voulez bien aimer un succès de multitude et de solitude. Continuez de me dire vos impressions à travers ce hallier de vers et de strophes où vous êtes si courageusement entré pour arracher les épines et combler les pièges à loups ou à lecteurs que les imprimeurs multiplient volontiers sous les pas des poëtes et du public. — À ce propos, je constate vos soins admirables. À cela près de deux feuilles (les feuilles 15 et 16 qui me manquent, oubliées sans doute. Envoyez-les-moi le plus tôt possible, je vous prie) ; j’ai lu tout le tome Ier, puis les quatre premières feuilles du tome II ; or, je n’ai trouvé qu’une seule faute sérieuse, ombrelle pour ombelle (p. 18, v. 11), et cette faute vient évidemment d’un correcteur excessif et puriste qui, au dernier moment, a aperçu ombelle et y a fourré soigneusement un r. Or ombelle importe, ombelle est le mot propre (voyez Boiste qui est un tout aussi mauvais dictionnaire que le dictionnaire de l’Académie), et, à moins que vous n’y voyiez de grands inconvénients d’exécution matérielle, il faudrait un carton pour rétablir ombelle. Parlez-en, je vous prie, à M. Claye. Il y a en outre des coquilles, p. 121, v. 2 et p. 338, v. 1. Cela vaut-il la peine d’un carton ? décidez-le. Le reste n’est que virgules — et je m’en fiche.

Envoyez-moi, le plus tôt que vous pourrez, la suite des bonnes feuilles. Le titre et la couverture sont très bien. Ajouter au bas du titre la ligne que j’indique ; refaire, avec les mêmes caractères (lettres augustales), la couverture sur le modèle que j’envoie ci-inclus. M’envoyer épreuve, si l’on a le temps. Je choisis bleu et glacé. — Mettre, comme vous l’indiquez. Tome I — Tome II — et non Ier et IIe. Dans la couverture refaite, mettre Victor Hugo dans les grandes augustales que voici et laisser Les Contemplations comme elles sont. Pas d’ornements. Encadrer d’un simple filet. Dans les annonces du revers mettre Dieu très gros et : par Victor Hugo, très petit ; car on ne saurait trop atténuer ce que ce titre, le seul possible d’ailleurs pour ce poëme, présente d’étrange à cause du par. Du reste conserver la proportion typographique et l’équilibre avec l’annonce qui suit. — Outre les oublis que vous m’indiquez, j’avais oublié mon excellent ami et avocat Paillard de Villeneuve. Je vous le recommande. Faudra-t-il envoyer les exemplaires pour tous la veille ? je ne crois pas. Pour les journalistes seulement. Les autres recevraient le leur le lendemain que ce serait mieux, je crois. Ce sera probablement le sentiment du libraire.

Sera-ce Gautier qui rendra compte ou Thierry ? laissera-t-on faire ce compte rendu ? Thierry n’est-il pas bien passé au trois quarts à l’ennemi ? — À La Presse, il serait souhaitable que ce fût Pelletan. Que pensez-vous des dispositions à ce sujet ? Au Siècle, sera-ce Jourdan ? ou Matharel ? Je ne puis que vous répéter : faites pour le mieux. Si c’était vous quelque part, ce serait admirable, mais comment vous demander encore cela ? Vous me diriez dans votre clémence :

Je t’en avais comblé. Je t’en veux accabler.

Je vous envoie encore quatre premières pages pour des amis ; je vous en enverrai d’autres dans mes prochaines lettres. Si j’oublie quelqu’un, dites-le moi.

Faites remarquer à M. Claye qu’une édition de plus (Houssiaux) est annoncée sur la couverture.

Pendant que vous avez tous les ennuis de mon esprit, votre charmante femme a toutes les corvées de notre matière ; nos meubles, notre affreuse queue de ménage parisien, l’assomment et l’écrasent, et, dans tout cela, elle trouve moyen d’écrire à ma femme des lettres charmantes. Demandez-lui pardon de ma part, et mettez-moi à ses pieds. Je vous serre dans mes bras.

V.

Veillez bien sur les imprimeurs pour les apocalypses de la fin, car ils n’y comprennent pas grand’chose, et ils tâcheront peut-être de civiliser cela à grand renfort de corrections-fautes.

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