À Alphonse Karr.

Hauteville-House, 5 avril 1857.

Mon cher Alphonse Karr,

Je viens de lire votre livre charmant et profond : Promenades hors de mon jardin. J’en suis ravi et attendri. Vous y parlez de moi comme je parle de vous. Vous racontez vos souvenirs avec cette grâce sérieuse et puissante qui est à vous. Vous posez votre ongle unguem leonis sur les vipères qui rampent en sifflant dans les pierres de mon écroulement. Je vous remercie et je vous aime. Continuez de penser un peu à moi. C’est une grande douceur de savoir, à travers l’espace, qu’on est ami, qu’on s’entend, qu’on se comprend. Un abîme de distance, un mur d’événements ; c’est encore nous. Je suis dans les ténèbres, vous êtes dans le soleil. Je suis dans la brume de l’océan, vous êtes dans le rayonnement de la méditerranée. Eh bien ! tout cela n’est rien. Vous écrivez une page, elle m’arrive ; vous dites un mot, je l’écoute. Vous pressez votre plume dans vos doigts en écrivant mon nom, et ma main sent cette pression de votre main. Il y a dans ce siècle, au milieu de lâches et de petits, quelques hommes grands et bons, vous êtes l’un d’eux. Je vous envoie ce que j’ai de meilleur dans le cœur.

Victor Hugo.

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