À George Sand.

Hauteville-House, 12 avril 1857.

Daniella est un grand et beau livre, laissez-moi vous le dire. Je ne vous parle pas du côté politique de l’ouvrage, car les seules choses que je pourrais écrire à propos de l’Italie seraient impossibles à lire en France et empêcheraient probablement ma lettre de vous parvenir. Je vous parle, à vous artiste, de l’œuvre d’art ; quant aux grandes aspirations de liberté et de progrès, elles font invinciblement partie de votre nature, et une poésie comme la vôtre souffle toujours du côté de l’avenir. La révolution, c’est de la lumière, et qu’êtes-vous, sinon un flambeau ?

Daniella est pour moi une profonde étude de tous les côtés du cœur. Cela est savant à force d’être féminin. Vous avez mis dans ce livre toutes ces délicatesses de femme qui, mêlées à votre puissance virile, composent votre forte et charmante originalité. Comme peintre, je défendrai contre vous toute la vieille ruine italienne, et en particulier cette éblouissante et formidable campagne de Rome que j’ai vue enfant, et qui m’est restée dans l’esprit et dans la prunelle comme si j’avais vu du soleil mêlé à de la mort. — Mais que vous importe ! vous allez devant vous, lumineuse et inspirée ; vous laissez s’envoler autour de vous les pages éclatantes, généreuses, cruelles, douces, tendres, hautaines, souriantes, consolantes, et vous savez bien qu’en somme tous les lecteurs sont pour vous, écrivain, comme toutes les âmes sont à vous, esprit.

Prenez donc la mienne avec les autres, madame.

Ma maison s’achève et vous espère tout doucement, et je baise humblement votre main.

Victor Hugo.

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