Monsieur Th. de Banville. à l’Établissement hydrothérapique, Bellevue près Paris.

Hauteville-House, 26 Xbre 1857.

J’ai lu votre livre lentement ; je ne l’ai pas lu, je l’ai savouré ; je l’ai bu goutte à goutte, cher poëte, il me semblait que j’avais peur d’en voir la fin, comme si ces livres-là étaient de ceux qui se vident, et comme si l’on pouvait trouver le fond de ces pleines coupes de poésie ! — Que vous avez bien fait de nous donner ce livre, que vous avez bien fait de [le] donner à ceux qui sont à Paris, et qui vivent toutes ses joies et tous ses enivrements ! que vous avez bien fait de le donner à ceux qui sont absents et qui sondent toutes ses profondeurs et toutes ses mélancolies ! — C’est une idée charmante que vous avez eue là de rappeler toute votre éblouissante et charmante nuée d’oiseaux et de les percher sur ce grand arbre que vous appelez vos poésies complètes. J’écoute vos chansons et je rêve à votre ombre.

À toujours, mon noble et cher poëte.

Victor Hugo.

Et toutes ces choses douces et splendides çà et là où je suis mêlé ! Je devrais vous remercier, mais est-ce que toute cette lettre n’est pas un cri de remerciement ?

Paul de Saint-Victor fit partie, en même temps que Charles Hugo, en 1848, du cabinet de Lamartine ; puis il collabora au Pays, à La Presse. Il laissa une importante œuvre de critique et plusieurs volumes de haute valeur littéraire. Quoique d’une opinion politique fort éloignée de celle de Victor Hugo, il lui conserva toute sa vie une admiration qu’il manifesta en toute occasion. Les heures sombres de 1870 les rapprochèrent encore et leurs relations devinrent si amicales que Victor Hugo écrit dans son carnet en apprenant la mort de Saint-Victor : « Coup violent. J’ai pleuré. C’était une noble et grande âme. Il était de ma famille dans le monde des esprits ». À propos d’un ballet représenté à l’Opéra et intitulé : Esmeralda, Paul de Saint-Victor, dans un article publié dans La Presse du 28 décembre 1856, avait fait un éloquent rappel de Notre-Dame de Paris. Collection Paul de Saint-Victor. « Les journaux annoncent les répétitions de Rigoletto. J’ai vu les Escudier, mandataires de Verdi. Ils font cause commune avec vous pour empêcher les représentations du Théâtre Italien. Ils vous conseillent de ne pas attendre l’annonce de Rigoletto sur l’affiche, et d’envoyer un huissier pour empêcher l’annonce même ; sinon, on va en référé au dernier moment, et le référé autorise la représentation, sauf jugement… Paillard de Villeneuve est l’avocat, l’ami, le bras droit judiciaire de Calzado. Ne feriez-vous pas mieux de prendre pour avocat Crémieux ? Envoyez-moi vos instructions le plus tôt possible. Il y a urgence ». (Lettre de Paul Meurice, 1er janvier 1857). Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice. Inédite. Eugène Sue venait de publier ses Lettres sur la question religieuse. La dernière est datée 16 novembre 1856. Communiquée par la librairie Cornuau. Albert Lacroix, le futur éditeur des Misérables, de William Shakespeare, des Chansons des Rues et des Bois, des Travailleurs de la Mer, publia un drame et quelques volumes d’histoire. Il fonda, en 1861, une maison d’édition. Histoire de l’influence de Shakespeare sur le théâtre français jusqu’à nos jours. Le 13 décembre 1856, Lacroix avait demandé à Victor Hugo la permission de lui envoyer son volume. Le Temps, 20 février 1902.

« ... Lundi, je sors à midi. Je vais aux affiches et qu’est-ce que je vois ?

théâtre italien
par ordre
Première représentation de Rigoletto
Opéra en 3 actes. Paroles de M. Piave
Musique de Verdi

... et, le soir, la représentation a eu lieu, mais On n’est pas venu. (Les mots par ordre indiquaient que l’empereur ou l’impératrice devait assister à la représentation.) L’affaire est venue hier mercredi au tribunal. Crémieux a été admirable. Il est allé aussi loin que possible. Il a noblement et vaillamment parlé de vous… l’attestation si formelle du Comité de l’Association a produit un tel effet que l’avocat du Théâtre italien n’a pas osé soutenir que Rigoletto n’était pas la contrefaçon du Roi s’amuse. Mais savez-vous sur quoi il s’est appuyé ? Encore sur la prescription. L’avocat du Théâtre italien n’a pu finir et l’affaire a été renvoyée à huitaine, pour l’achèvement du plaidoyer, la réplique de Crémieux et le jugement. »

Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice. L’affiche, décollée par Paul Meurice, est à la maison de Victor Hugo. Profils et Grimaces. Clément-Janin. Victor Hugo en exil. Inédite. Bibliothèque Nationale.

Voici cette lettre, publiée par L’Indépendance belge du 2 mars 1857 :

À M. Empis, directeur du Théâtre-Français.

« Monsieur,

J’apprends que le Courrier du Figaro signé Suzanne, est de Mlle Augustine Brohan.
J’ai pour M. Victor Hugo une telle amitié et une telle admiration que je désire que la personne qui l’attaque au fond de son exil ne joue plus dans mes pièces.
Je vous serais, en conséquence, obligé de retirer du répertoire Mademoiselle de Belle-Isle et Les Demoiselles de Saint-Cyr, si vous n’aimez mieux distribuer à qui vous voudrez les deux rôles qu’y joue Mademoiselle Brohan.

Veuillez agréer, etc.

A. Dumas. »

Avant tout poëte exquis et complet, Banville s’illustra dans tous les genres : auteur dramatique, conteur, critique littéraire et dramatique, il collabora à plusieurs journaux. Grand admirateur et disciple de Victor Hugo, il lui consacra maint poème ; le plus connu est une ballade, publiée en 1869, et dont le dernier vers de chaque strophe est resté célèbre : « Mais le Père est là-bas, dans l’île ». Ces vers avaient été envoyés à Victor Hugo en 1841 (Banville avait 18 ans) ; ils furent publiés en 1857. Gustave Simon. Revue de France ; avril 1923. Inédite. Herzen avait envoyé à Victor Hugo son article sur la mort de Worcell. Worcell, socialiste démocrate polonais, ne cessa de protester contre les violences que son pays subissait ; par son exemple et ses écrits, il entraînait ses compatriotes à la lutte. Communiquée par L’Institut d’Histoire sociale. Amsterdam. {sc|Gustave Simon}}. Victor Hugo et Louise Colet. Revue de France, juin 1926. Inédite. Bibliothèque Nationale. Inédite. Collection de M lle Bouyer-Karr. Victor Hugo fait allusion au procès fait à Flaubert après la publication, dans la Revue de Paris, en décembre 1856, de Madame Bovary. Dès que le livre parut, Flaubert l’envoya à Guernesey. Archives de M me Lauth-Sand. Inédite. Communiquée par la fille de Nefftzer. Avant d’être le poëte universellement connu et admiré des Fleurs du Mal, Baudelaire se fit remarquer par sa critique du Salon de 1845 ; l’année suivante, son Salon de 1846 eut plus de succès encore. Pendant dix-sept ans, il traduisit avec passion toute l’œuvre d’Edgar Poe et à partir de 1857 il publia son œuvre personnelle qui ne connut le grand succès qu’après sa mort. Politiquement, littérairement et moralement, il était aussi éloigné que possible de Victor Hugo. Il fut au nombre des insurgés de juin 1848 ; en 1852, il réprouva les principes démocratiques qu’il avait soutenus quatre ans auparavant. Littérairement, Baudelaire haïssait l’humanitarisme, niait le progrès et l’utilité de la mission du poëte et n’admettait que l’art pour l’art. Moralement, sa duplicité et son cynisme s’étalèrent complaisamment dans sa correspondance avec ses amis et sa mère ; nous les signalerons au fur et à mesure. Les Fleurs du Mal qui venaient d’être condamnées comme immorales. Inédite. « Je n’ai pas à m’expliquer sur des écrits qui sont la fonction même de ma vie et qui résument pour moi le devoir dans son acception la plus haute. Mais je dois vous poser une question ». Ces dernières lignes sont écrites en travers de la page et devaient sans doute précéder la lettre. Voici un extrait du passage incriminé (après avoir cité des vers de Barbier écrits en 1830, il les compare à « d’autres » dont il ne nomme pas l’auteur) :
« De telles satires sont des coups de foudre et non des coups de lanières. Cela ne blesse pas, cela écrase.
« Les autres sont un supplice personnel infligé, comme disent les satiristes, par le fouet de la satire à des hommes dont ce fouet déchire la peau. Eh bien ! quelle que soit la justice de ce supplice, nous ne pouvons ni approuver ni excuser ceux qui se donnent la mission de l’infliger au ridicule et même au crime de leur temps. On m’apportait, il y a peu d’années, en Italie, une de ces œuvres de colère légitime qui stigmatisent en vers terribles des noms d’hommes vivants et qui font saigner éternellement les coups de verge ou les coups de poignard de la plume. Comme j’exprimais par ma physionomie ma répulsion involontaire pour ces œuvres de colère, quelqu’un me dit : « À quoi pensez-vous ? Ne faut-il pas que justice soit faite de toutes ces iniquités ? Ne faut-il pas que toutes les mauvaises fortunes aient leur Némésis ? » — Oui, répondis-je, dans les sociétés d’hommes un exécuteur est nécessaire à la justice ; il faut un bourreau, peut-être, quoique je n’en sois pas parfaitement convaincu, mais il ne faut pas être le bourreau ».
« Le satiriste sanglant est le bourreau des renommées ; il jette au charnier les noms dépecés de ses ennemis littéraires ou de ses ennemis politiques. Ce n’est pas le métier des immortels. Ce sont là de ces gloires dont on se repent ; il faut se les refuser, sinon par respect pour ses ennemis, du moins par respect pour soi-même ». — Lamartine, dans sa réponse, nia avoir voulu désigner Victor Hugo ; mais il ne donne pas le titre de « l’œuvre de colère » qui avait provoqué sa « répulsion » .
Collection Louis Barthou. Inédite. La Normandie inconnue. Bibliothèque Nationale. Le Monde marche. Catalogue Charavay. Inédite. Le papier est déchiré à ce mot, qui manque. Archives de Chantilly. Collection Spoelberch de Lovenjoul. Inédite. Bibliothèque Nationale. Nouvelles acquisitions françaises. Inédite. Auguste Vacquerie. Premier titre de La Légende des Siècles. Bibliothèque Nationale. Inédite. Poésies complètes. Lettre reliée dans l’exemplaire des Poésies complètes de Th. de Banville. Collection Louis Barthou.

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